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Full text of "Fabliaux ou contes, du XIIe et du XIIIe siècle, fables et roman du XIIIe siècle, traduits ou extraits d'après plusieurs manuscrits du tems; avec des notes historiques et critiques, et les imitations qui ont été faites de ces contes depuis leur origine jusqu'à nos jours. Nouvelle édition, augmentée d'une dissertation sur les troubadours (tome 2)"

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s tAB L IAUX 

O U 

I C O N T E S, 

DU XIV ET DU Xlir SIECLE. 
TOME SECOND. 



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FABLIAUX ou CONTES, 

x>u xiv *T dv xnr Siskii, 

FABLES ET ROMAN du XIH% 

Traduits ou extraits d'apres plufieurs Manufcrits 
^u terns; 

Avec des Notes hiftoriques & critiques , & les 
imitations qui ont ere faites de ces Contes 
depuis leur origine jufqu'a nos jours. 

Nouvelle Edition , augmentU d'une Dijfertation 
fur les Troubadours, 

Par M. Lb G r a n d. 4 ' &*<*<*/ 

Sit apud te honor antiquitati , €r fabidis quoquc* 
Plin. Epift. 

TOME SECOND. 



A P A R I S> 

Chez Eugene Onfroy, Libraire , 

/ quai des Auguftins. 

M. DCC. LXXXI. 

Avec Approbation, & Privilege du RoL 

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OBSERVATIONS 

S V R 

LES TROUBADOURS. 



E 



n parlant , au premier volume 
de cet Ouvrage , de ce qui regards . 
lancicnne Litterature franjaife , j'ai 
dit que nos Provinces meridionales- 
avaient etabli fur cette mariere un 
prejuge , ^lorieux pour elles , mais 
peu fonde ;.qui leur attribijait Fhon- 
neur d'avoir non-feulement cultive 
ks premieres la Poefie en langue vul- 
gaire > mais Thonneur , plus grand 
encore , davoir en ce genre fourni 
au refte de la France les premiers 
modeles & les premiers mairres 
quelle ait eus. . 
Comme perfonne jufqu'ici n'avait 
Tomt II. A 



301x^0 



oogle 



2 Observations 

fonge k difcuter la validite de cef 
pretentions, elles fe font accreditees 
avec le terns , & ont acquis .prefque 
rauthenticite d'une verite hiitorique. 
Moi-meme , feduif par des titres fi 
peu contefles , long-tems , je Tavoue^ 
je les cms insonteftables. Mais le 
hafard qui , fans nous , decide fou- 
vent de notre etat & des occupa- 
tions de notre vie 3 m'ayant aflbcie 
"FeuM. aux travaux d'un Savant eftimable^ 
Pa?"' l e< J ue l setait confacre fpecialement 
k l'etude approfondie des deux Ro- 
manes , franjaife & proven^ale , je 
me vis enfin k portee dapprecier les 
Po&es des deux Ungues. Quelle fiit 
ma furprife , lorfqu'en parcourant 
tcs Troubadours fi vantes , ces Trou- 
badours quon nous jeprefentait 
comme les Precepteurs de la- Nation y 
je ne trouvai chez eux que des 
poefies trifles , monotones 3 infipides 
& illifibles ; tandis que les Rimeurs 
4e nos Provinces feptcntrionales , 



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svr les Troubadours. 3 
inconnus &r dedaignes , moffraient, 
a mon grand etonnement , dcs pro- 
ductions pleines dc gaiete , d'e/prit 
& d'imagination. 

Ce jugement neanmoins contre- 
difait fi formellement la fa^on dc 
penfer commune fur cecre double 
famille de Pontes , qu'il m'infpira k 
moi-meme une certaine honte. Je 
rougis de me voir em oppofirion 
avec Topinion generalev& pendant 
long-tfcms fen accufai mon gout. 

Cependant, au milieu de cetre 
inquietude que m'infpirait une jufte 
defiance fur la faibleffe dd mes Iu^ 
mieres, furvint un evenemcnt dont 
je fus temoih , & qui fembk me 
confirmer , malgre moi , dans mes 
preventions. L'Academicien dont je 
v,iens de parler, jaloux de jouirda 
long travail qu'il avait entrepris fur 
les anciens Poetes proven^aux , & 
en meme-tems hors d'etat, par les 
annees , d'y mettre la dernierc main > 
A 2 

# 

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4* Observations 

en cherchait quelqu une qui put lc 
fupplccr. Dans ce deflein il offrit & 
livra fucceflivement fes materiaux a 
des Gens-de-Lettres qui , deja connus 
avantageufement par d'autres ou- 
vrages , donnaient lieu d'efperer 
quilspourraient fans peine, & mcme 
avec gloire , rediger celui-ci. II y en 
eut qui Tentreprirent j & de ce nom- 
bre'furent , T Abbe Laugier & Quer- 
lon. D'autres., fans ofer fe charger du 
fardeau entier , effayerent feulement 
de mettrc en vers certaines pieces. 
Mais ceux-ci , apres s'etre efforces 
en vain de ranimer ces poefies mortes 
8c fans vie , furent les premiers a 
jetter au feu celles fur lefquelles its 
avaient inutilement travailje. Les 
autres , tels que Querkm , qui avaient 
cntrepris Thiftoire entiere , n'eurent 
pas le courage de l'achever. Laugier 
feul finit fon travail ; & ce travail 
futjuge ne pas meriter Thonneur de 
rimpreflion. 



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sur lbs Troubadours. ? 

Enfiii un autre homme dc lcttrcs 
plus heureux 8c phis habile , en eft 
renu k bout. II nous a donne , en 
trois volumes , une Hiftoire Utttraire 
des Troubadours ; laquelle contient 
quelques anecdotes fur la vie de ces 
Poetes , avec un choix de leurs 
Poefies^ 

Je ne rappellerai pas le foible fucces 
dont fut honor£e cette colledbon , 
roalgre toute Tadreffe qu'avait em- 
ployee TEditeur pour corriger au 
moios par Tinteret Sc par Tin/trac- 
tion, Tennui qu'elle devait infpirer. 
Quant k moi le froid accueil que 
lui fit le public 3 non-feulement 
me confirma dans Topihion defa- 
vantageufe que j'en avals con$ue pre- 
cedemmenf, mais encore il occa- 
fionna chez moi une foule de re- 
flexions dont fai depuis publie une 
partie , en publiant les Fabliaux, 

Mon intention pounant n'etair 
gueres alors de les rendre publiques. 
A3 



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6 Observations 

Hcureux 8c content dans mon obf- 
curite , je me flattais de pouvoir 
cultiver en paix les Lettres qui, 
toute ma vie , avaient fait mes de- 
lices ; mais , dans le lifteme de 
bonheur que je m'etais forme k moi* 
meme , ma premiere loi avait ete de 
ne jamais ecrire.. Je craignais de rifr 
quer mon repos & ilia tranquillite 
fur ces mers remplies d'ecUeils , cou- 
vertes d'ennemis , & fans cefle in- 
feftees de pirates. Helas ! on ne* 
chappe point & fa deftinee. Un eve- 
nement de fociete , dont je ne pre- 
voyais gueres les fuites , derangea 
tous mes projets & rompit mes 
fermens. 

Onparlaitun jour, dans une com- 
pagnie ou je me trouvais , de nos 
fieeles d'ignorancej & Ton enpar- 
lait avec ce mepris infultant qu ont 
infpire mal-a-propos quelques-uns de 
nos Hiftoriens. Je pris la liberte de 
dire que, pour le ftile, le gout, la 



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SUR^LBS TROUBADOURS. J 

critique, pour tout ce qui ticnt k 
Tart , U ne fellait point le chercher 
dans les ouvrages de ce terns ; mais 
que fi Ton voulait fe contenter d'ef-^ 
prit & ^imagination , on pourrait, 
a une certaine epoque , en trouver 
chez nos vieux Poetes ; & j'ajoutai 
quil nous refiait deux , en ce genre, 
des chofes fort agreables, qui meri- 
taicnt d'etre .xonnues. On me de- 
manda lapreuve de ce que favan^ais. 
Je m'engageai k la fournir > & , trois 
ou quatre jours apres , effe&ivement , 
je revins avec quelques-uns de ces 
Fabliaux, que j'avais appris a con- 
naitre chez M. de Sainte-Palaye. Je 
les avais traduits k ma maniere , 
non litteralement , comme >ai dit 
depuis , mais avec fidelite neanmoins : 
& japportais en meme-tems une 
copie des originaux , afin que 3 fi 
1'on me faifait un crime d'avoir 
elague chez eux quelques defauts , 
on ne m'accusat pas aumoihs d'avoir 
A 4 



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8 Observation* 

ajoute a leurs beautes. lis caufcrcnt 
d mutant plus de plaifir qu'on s'at- 
tendait a eprouver un fentimcnt rout- 
4-fait contrairc. La maitrcffe du logis 
rrfen demarida quelques autres. J'y 
confentis , fans prevoir ou allait m'en- 
gager ma complaifancc : mais quand 
clle en eut en main un certain nom- 
bre , elle exigea de moi que fen pu- 
bliafle le recueil •, & en cas de refus , 
me menacja de publier elle-meme 
ceux qu'elle pofledait , malgre l'etat 
d unperfe&ion ou neceffairement lis 
etaient encore. 

Cc fut alors qu'il fallut renoncer 
a tous mesprojets de pareffe, & 
commencer un travail qui , autant 
que je. pouvais entrevoir , allait mc 
couter plufieurs annees entieres : car 
independamment de la recherche , 
du depouillcment , de la confron- 
tation des manufcrits , je fentais 
tres-bien que , pour rendre utile un 
pareil ouvrage , il fallait y joindre 



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rent les Troubadours. 9 
une quantite immenfe de notes fur 
les moeurs & fur les ufages du terns, 
dont il offrirait k cheque page des 

# veftiges. Mais d'un autre cote i 
travers cette longue route d'epine$ , 
) entrevoyais un but bien confblant 
pour moi ; la gloire de ma patrie. 
Oui,j'aime monpays avec tranfport, 
il eft vrai •, je me glorifie d'etre Fraii- 
gais , & ne Vois fur la terre aucune 
Nation chez laquelle je defirerais de 
preference que la Nature eut place 
mon berceau. Or Touvrage que j'al- 
lais entreprendre me paraiftait tenir m 
a la gloire de la France. J'allais etre 
a portee de prouver que rOccideht* 
doit aux Franjais la renaiffance dc 
la Poefie , 8c fur-tout celle du genre 

N des Contes > & cette feule idee 
m'infpirait d'avance un courage in- 
fatigable. 

Neanmoins monprojet, en com- 
menjant , fut d'abord de garder Ta- 
nonyme. J'efperais par-U pouvoir 

A 5 

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ro Observations 
refter meconnu , comme je me Fe- 
taispromis & moi-meme. Maispeut- 
on fe flatter de celer fonnom,lorf- 
qu oblige de fouiller dans toutes les 
Bibliotheques , on fe pique enfuite 
de temoigner fa reconnaifiance k 
ceux dorit la complaifance nous a 
procure des fecours ? Des critiques 
dailleurs m'ont denonce , en com- 
battant mon opinion-, 8c moi-meme 
quand j'ai vu Tanonyme des trois 
premiers volumes devenu inutile > 
fai pris le parti enfin de me nommer 
•auffi au cfuatrieme. 

Mais quoique tout ceci detruisit 
pour jamais le fiftema de vie qui 
m'avait rendu heiireux, ce netaic 
pourtant pas le feul inconvenient; 
que je devais £prouver. En parlant 
des productions de nos anciens Ri- 
meurs fran$ais , j'avais cru devoir 
dire un mot de celle des Trouba- 
dours : & k cette occafion je laiffai 
cchapper unc partie des reflexions 



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sur les Troubadours, ii 
que ceux-ci m'avaient donne lieu 
de faire autrefois. Mais qu'eft-il ar- 
rive demon imprudence ? J'ai debute 
dans la Litterature par une querelle ; 
moi qui ■n'eftime rien fur la terre au 
prix de la paix & du repos > moi 
qui, comme Sofie, voudrais etfe 
rami de tout U mondc* 

Au refte , il m'etait aife de prevoir 
tjue moninfurre&iontrouveraitdes 
contradi&eurs s & }e devais my at- 
tendre. II -eft des tetes od tout£ 
. opinion qui entre la premiere , jette 
de telles racines , que tout ce qui , 
vient ejifuite la contredire n'efl: rc- 
garde d'abord que comme une erreur. 
Mais ce a qudi je ne m'att<endais 
pas, e'eft la chaleur que certaines^ 
perfonnes ont mife k mecombattre. 
Iitrange effet de Tamour-propre ! 
parcc que j'ai dit que les Poe'tes 
qu'avaient produits autrefois les 
Provinces meridionales n'etaient pas 
k beaucoup pres auffi , admirablcs 
A 6 



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\i Observations 
qu'elles lc pretendenti il y acu des 
Gens-de-Lettres , d'ailleurs tres-efti- 
mables , mais nes dans ces Provinces , 
qui fe font exafperes , comnie fi 
, j'euffe attaque leur propre merite. 

. De tomes parts fentends crier a la 
tolerance fur la Religion ; 8c Ton nc 
m'a point pardonne a moi une opi- 
nion en Litterature. 

Le premier qui ait fonne rallarmc 
contre mon aflertion, a ete le Re- 
da&eur des Affiches de Province y M. # 
TAbbe de F. . , , II a pretendu quelle 
infultait .la moitiq des habitans du 

• Royaume } &c Von dolt /avoir , m'a- 
t-il dit a qu'on ne Us attaque jamais 
% Annie impunc'ment. y Lui-m£me , non content 
YJ.'zo. ^ e me fWciter des ennemis, a pris 
les armes , & m'a combattu. Avec 
de l'efprit , du ftile Sc du gout , s'eut 
ete pour moi dans toute autre m*- 
tiere unadverfaireredoutable;mais 
quand il s'agit de prononcer fur les 
ouvrages en Rom^ane fran$aife & 



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sur ins Troubadours. i$ 
proven^ale , ces qualites ne fuffifent 
point. II faut, avant tout*, connaitrc 
& avoir etudie les ouvragcs memes, 
Sc les deux langues dans lefquels ils 
font compofes. Lui-meme au reflc 
la fi bien fenti, quil a appcile au 
fecours de la caufe commune le P. 
P . . . . Oratorien ; qui , comme hif- 
torien de Provence^ devait au moins, 
s'il entrait dans la li£e , avoir plus 
davantage du cote des armes. 

Peu de tems apres ont paru dans 
lc Mercure trois autres adverfaires , 

M. Mayer, M. M. , & M. 

l'Abbe qui fucceffivement 

font venus rompre une lance comre 
moi. Enfin le P. P . . . . , cet Achille 
auquei onreprochait de refter oifif 
dansTa tente, tandis que les Grecs 
etaient attaques , s'eft arme aufli. IJ 
a publie un Voyage litteraire de Pro- 
vence y ou fe trouvent inferees cinq 
lettres furies anciens Poetes frai^ais 
ficproven£aux> Sedans lefqueUesU 



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14 Observations 
donnc , comme il etait aife de lc 
pre voir , toute la preference aux der- 
niers. Quelques Journaliftes ont ap- 
plaudi k fes raifons; & je n'en fuis 
point furpris. Dans des matieres 
comme celle-ci , fur lefquelles peu dc 
gens font en ctat de prononcer , parcc 
que peu de gens les connaiftent , 
celui qui parle le dernier a toujours 
raifon. 

On fera moins etonne encore que 
M. FAbbe de F . . . . ait .adjugfc la 
couronne du triomphe au champion 
qu'il avait appelle .dans *la lice. A 
en croire l'extrait quil a donne des 
cinq lettres , le combat eft decide 
pour jamais ; & les Fabliers frarv 
$ais , ces mauffades plagiaires des Trou^ 
badQurs , font remis d Uur vraie 
place* 

Je ne penfe point auffi honora- 
blemenc fur ce vainqueur pretendu, 
fen conviens. Scs preuves m'ont 
paru meme fi feibles , que ma pre- 



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sur les Troubadours, ij 
miere refolution, enlelifant, avait 
cte de ne pas lui repondre ; & je l'ai 
aanonce. Cependant , eomme on 
ma fait obfervA: que ce filence 
pourrait etre repute la rufe adroite 
d un ennemi vaincu , je dois au 
public , je me dois k moi-meme , dc 
motiver mon opinion. 

Tels font les cinq adverfaires dont 
les critiques font parvenues k ma 
connaiflance. Ellds m'ont autant 
flatte que les eloges dont m'ont ho- 
nore quelques-uns d'entr'eux ,.& je 
vais le prduver par mon exa&itude 
a leur repondre. 

Ma diiTertation, pfljfque c'eft ainfi 
qu'on Ta nominee , avait pour but 
de prouver que le$ Troubadours ne 
meritent pas it bcaucoup pres la re- 
nommee dontils jouiffent; &qu'a\i 
contraire les Trouveurs qui ont ecrit* 
en Romane fran^aife , n'ont pas ob- 
tenir toute cellc qu ils meritenu 
Pour la feconde partie dc ce process 



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i6 , Observations 
c'etair amoi de la prouver; &c'eft 
cc que j'ai tache d£ faire , en pu- 
bliant les Fabliaux. Quant a la pre- 
miere , elle etait toute decidee : ce 
qu'on nous a donne des Poefies pro- 
ven^alcs avait ete regarde unanime- 
mentcomme tres-mediocre ; fur cela 
il n'y a qu'une voix , & je nc crains 
pas d'etre contredit. 

Mes critiques ont tres-bien fenti 
tout Tavantage que j'avais fureux 
dc ce cote-la. IJs ont rejette fur 
l'Editeur Tinfipidite de ces Poe- 
fies ' t quoique ccljii-ci encore une 
fois ait employe beaucoup d'art 
pour y repar^fe quelque .interet. 
«*Vous deitianderez pourquoi elles 
» font ennuyeufes , 8c en general 
» infupportables 4 la le&ure, dit 
'P. 44j, » TAuteur du Voyage Litte'raire y ? 
» C*eft qu'elles n'ont pu confer rer 
j> dandle franjais les beautes qui 
9> font proprcs & la langue proven- 
P $ale $ c'efl que l'amour qui fur 



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sur les Troubadours. 17 
» prefquc le fcul fujet que les Trou- 
" badourstraiterentdansleurschan- 
» fons , y repand unc uniformite fa- 
» tiguante. On voit fouvent dans la 
» tradu&ion fran^aife les memes 
» images & les memes tours, quoi- 
» que dans Toriginal ils'foient va- 
» vies, » 

I/Auteuri pour prouvcr qu'elles 

ne font pas aujfi meprifabUs qu'oh veut 

le faire entendre , en cite lui-meme 

trois morceaux differens} & je re- 

marquerai ici que de routes les per- 

fonnes qui m'ont critique , il eft le 

feul qui ait ofe citer. On ne m'ac- 

cufera point de partialite en copiant 

dapres lui coux qu il rapporte. Or 

voici ce quil donne commc Texem- 

pie (Tun trait fin d&icat. K C'eft le s p. 43S . 

fouhait dun Amant en parlant de fa 

Maitreffe. « Je voudrais qu'elle ac- ' 

» cordar amour 8c merci •> puif- 

» quelle accorde en fa perfonne des 

w chofes bien plus oppofees > qui 



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18 Observations 

» font la blancheur & l'incarnat de 

n fon tcint. ^ 

Telles font les beautes que le ven^ 
geur des Troubadours trouve 4 ad- 
mirer chez ces Poetes. Pour moi je 
puis me tromper ; mais de bonne 
foi je doute fort que celles-ci ajou- 
tent beaucoup a Tidee qu'on a d'eux; 

M. TAbbe de F . . . . s'en prend 
auffi k leur tradu&eur du peu de 
fucces quont obtenu leurs Poefies. 
Mais non content de les juftifier aux 
depens de celui-ci , il pretend quon 
ne peut apprecier paf fakement leur 
merite fur ce qui nous en eil par- 
venu ' y « que nous ne jouiffons pas 
» de toutes leurs produdttons; qu'il 
» en exifle encore d'autres dans les 
» Archives & 4es Bibliotheques des 
»» Provinces meridionales , iRome 
« meme , dans la Bibliotheque du 
»> Vatican , & particulierement & 
»* Naples -, enfin que les. Curieux 
•» pourraient faire la-deffus des re* 



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SUR LE8 TnOUBADOV RS. If 

•* cherches qui ne feraient pas in- 
« frudiieufes. » 

Et moi je confeilk aux Curieux 
qui voudraient fe dcvouer k ces 
fouilles ingrates , de ne point lcs en- 
rreprendre s'ils'font jaloux d'em- 
ployer utilement & leur terns & 
leurs peines. Quoique ks manufcrits 
de Pocfies provencales foientrares, 
cependant ceux qui nous font par- 
venus font entiers , & non mutiles. 
II y a peu d'efperance d'en trouver 
de ncuveaux dans les Bibliotheques. 
dltalie. M. de Sainte-Palaye lcs a 
fouillees dans un voyage qu il en- 
treprit a deffein , lorfqu'il eut forme 
le projet de faifeconnaitre ces Pontes 
au public. II y a fait copier ks prin- 
cipaux manufcrits qu'elks conte- 
naient : deja il avait des copies de 
ceux que poflede chez nous la Bi- 
bliotheque du Roi. La redaction de 
tous ces differens materiaux a forme 
cnfin quinze volumes in-folio , qui 



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ao Observations 
contiennent quatrc mille pieces. Ceft 
d'apres ce recueil , la colle&ion la 
plus complette fans conrredit qui 
cxifte en ce genre, qua etepubliee 
rhifloire des Troubadours. Quel 
efpoir apres cela de faire pour leur 
gloire quelque decouvejte nouveile ! 
mais en rout cas , fi quelqu'un a le 
courage d'entreprendre ce travail, 
qu'il fache que ce ne fcra point affez 
de recouvrer quelque piece dont le 
fivant 8c laborieux Academicien 
n'aura p6int daigne parler , ou meme 
qui lui aura ete inconnue •, 11 faudra 
encore , pour meriter d'etre citces , 
que ces pieces foient intereflantes & 
propres i faire honneur au genie de 
ceux qui les compofcrcnt. 

Enfin nous en poffedons au moins 
quatre mille. Ceft de ce nombre , 
oommc je Tai dit k l'inftant, qu'eft 
compofee la collection de M. de 
Sainte-Palaye > e'eft la fleur 8c Telitc 
de ce$ quatre mille pieces qua 



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SUR LES TROUBADOV RS. II 

choifies FEditeur pour former le 
recueil qu-il a publie. Or Ton con- 
viendra qu'il y a li de quoi afleoir 
i un jugement; & que par consequent 
on peut fans fcrupule apres cela 
prononcer fur le- talent* des Trou- 
badours. 

Envain Ton m'obje&era que depuis 
cinq ou fix fiecles , le terns a du cer- 
tainement detruire plufieurs de leurs 
productions. Je conviendrai de cette 
verfce fans doute > mais je deman- 
derai A mon tour fi le terns a dft 
refpedrer davantage celles de nos 
Trouveurs. Cependant comment eft- 
il arrive qu'il nous eft parvenu de 
ceux-ci d'aflez jolies chofcs , & qu il 
ne refte gueres des autrcs que de 
trifles Sirventes (*) , & des chanfons 

(*) Les Sirventes font des pieces oi;di- 
tuircment fatiriques. Comme elles corn- 
potent en grande partie le recueil des 
Ppcues proven^ ales , j'ai temoigne* quel- 



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11 Oese&vations 

d'amour plus triites encore. Quoi I 
le tems fe ferait plu a exercer uni- 
que furprifc de voir le genie des Trou- 
badours d enclin a la Satire. Des critiques 
m'ont reproch£ cette remarquej m'accu-* 
fant d'infulter aux Provinces qui fiirent 
la patrie de. ces Poetes. Qu'ils faflent done 
le meme reproche aux Auteurs de VHif* 
toire Litteraire de la France , lefquels 
ont annoncd le meme fait que moi , & 
* T. yi , donne* lieu a la meme reflexion. % cc Tout 
F' S3* » a la fin du xe fiecle , difent ces Hifto- 
» riens , il commenca a paraitre en France 
» quelques POetes' Satiriqucs , fur - tout 
» parrrii les Troubadours- : mais ils y fu- 
» rent ttes-rares ailleurs - y puiCque lc la- 
» borieux & favant M. Lebeuf n'a pu 
» avec toutes fes recherches en deterrer 
» qu'un feul. Ce gout pour le genie Sa- 
» tirique fe communiqua au fiecle fuivant. 
« Jufqu'ici ( x*i e fiecle "} , ajoutent les 
» m£mes Ecrivains , le genre Satirique 
t » avait 6t& afTez rare en France* Peut-etre 

* T rn * * e 2 * 1 en vint ~^ ^ es P°* tes provenfoux 
p. 13$. » oui enfaifaient beaucoup d'ufage. v » 



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SVR LES TrO VBADOURS. 2$ 

quement fes ravages fur tout ce qu'ils 
avaient de meilleur ! Quoi ! les Co- 
piftes , qui dans le terns formerent 
des collections -, fe feraient tous 
accordes k n'inferer dans kurs 
manufcrits que les pieces les plus 
medicares ! en verite , ce double 
malheur eft difficile k croire > il faut 
Tavouer. 

Dailfeurs ncJ fait-on pas que les 
Troubadours ont eU «» differens 
terns le bonheur de trouver, rant 
en Italie qu en France , des Hiftoriens 
qui nous ont tranfmis non~feulement 
des anecdotes Ait leur vie particu- 
liere, mais encore plufieurs de letffs 
Poefies. Cet avantage a manque aux 
Poetes de nos Provinces feptentrio- 
nales. Les ouvrages de ceux-ci, ainfi 
que leurs noms , font reftes dans le 
plus profond oubli , jufqu'a Fauchet , 
qui le premier enfin a reveille leur 
memoire ; mais qui affurement n'a 
pas reveille le defir dc les cpnnaJfcc. 



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24 Observations 

L'Auteur du Voyage LitUraire me 
propofe de traduire les chanfons 
amoureufes dc nos TroUveurs , pour 
qu'on puiffe lcs comparer a celles 
des Troubadours. C'eft Ik un defi. 
que je n'ai garde daccepter. J'ai 
deja declare ce que jc penfais de ces 
chanfons , qui , i dke lc vrai , ne 
valent pas mieux que celles de leurs 
rivaux. Les fcules en cc gebre qui 
mcritent d'etre citees font quelques 
Romances , & quelques PaftourtUes. 
J'ai fait connaitre les Romances au 
troifieme volume des Fabliaux. Pour 
les PaftourelUs, quoique le genre 
foit monotone, ainfi que jel'ai ob- 
ferve , j'en donnerai quelques-i^nes , 
fi on Texige , afin qu'on puifTe les 
comparer aux Paftourelles proven- 
<plc?y.8c de peur quonne me foup- 
jorme de les embellir , jy joindrai 
Voriginal. 

' Mais une preuve que les Trouba- 
dours avaicnt quelque meritc. , con- 
tinue 



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$V* les Troubadours, if 
tinue l'Auteur du Fay age Littiraire^ 
c'eft qulls ont joui daps leur terns 
« dune reputation etonnante. On 
» les rccherchait non-feulement en 
» Italic , mais encore en France , en 
» Angleterre , en Efpagne. »' % P. 412. 

La Romane proven^ale ayant beau* 
coup danalogie avec lalanguc Ita- • 

Benne, il n'eft pas etonnant que 
Htalie , dans un tems oti elle n'avait 
pas encore de Poetes , ait accueilli, 
ait honore 8c lu raeme avec pkifir 
gcux que produifaient nos Provinces 
meridionales. Leur langue &c leurs 
poefies durent fans doute , par la 
ffieme raifon y fe repandre dans T Ar- 
ragonnais &c dans la Caralogne, 
lorfquclcs Rois d'Arragon , Comtcs 
de Barcelone , devinrcnt, par un 
marine , Comtes de Provence. Auffi * 
voyons-nous des Icaliens-, des Arra- 
gonnais Sc dfes Catalaus , rimer en 
ptovengal , & fe placer fur la lifte 
des Troubadours. 

Tome II. B 



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%6 Observations 

11 n'en fut pas de meme de TAn- 
gleterre , quoique les Rois anglais 
euflent , par un manage femblable , 
acquis aufli la Gtiienne. Peut-etre 
apres tout eft-il probable que parmi 
les Gafcons , qui de terns en tems 
paflaient k Londfcs , foit pour sy 
fixer , foit pour faire leur cour au 
Monarque , il y en eut quelques-uns 
qui par fafte , ou par gout, s'y firent 
accompagner de Menetrier$ & . de 
Chantetfrs proven^als (*). Mais ce 
n'eft pas la ce dont il s'agit. La 

(*) J'ai remarque* ailleurs qu'ancienne- 
merit on appellait Provencaux tous«les ha- 
bitans de nos Provinces au midi de la 
Loire , qui parlaieht la langue* proven- 
cale > mais comme ce mot provencaux eft 
confaci'4 aujourd'hui aux habitans de la 
fcroyence propremeht dite , & que par 
confcquent il peut former amphibologie , 
je me (ervirai toujour* de celui de Pro- 
venpals , quand je voudrai deiigner les 
compatriotes des Troubadours , foit con- 
temporains, foit modernes. 



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sur les Troubadours. 17 
queftion importance eft de favoir fi 
ces Muficiens,.& les Poefies qu'ils 
chantaient , fiirent, felon Texpreffion 
du Voyage Liit€raire y recherches en 
Angleterre , c'eft-d-dire * par la Nation 
anglaife. VbiU ce que je voudrais 
voir prouve bien clairemenc , & ce 
que franchcment je crois difficile £ 
prouver. Car enfin q'etait la langue 
fran^aife # qu on parlait en Angle- 
terre depuis la conquete de Guil- 
Iaume. Or pour les peuples qui par- 
laient cette langue , le pro venial ^rait 
inintelligible , comme elle etait inin- 
telligible elle-iroeme pour ceux qui 
parlaient le proven^al. Ceft-li. une 
verite incontcftable : j'ai cite , pour 
la prouver , Tautorite meme du 
fevant Hiftorien de Languedoc , 
Dom Vaiffette , qui dit que la Ro- 
manefra^aifefutjufqu'au xv«fiecle 
ohfolumcnt ttrangtre dans nos Pro- 
vinces meridionales , & quelle y 
(tait entendue de tris-peu de per formes % 



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1$ Observations 

*T.iv 9 mime parmi celles du premier rang** 
p- 502. Mais il fcmble que mes adverfaires 
affe&entfans ceffc d ? oublier cc fair. 
Cc'n'eft pas- rout. Si lcs Poefics 
proven^ales avaicnt ete en Angle- 
terre auffi repandues , auffi eftimees 
qu'on le pretend , tant d'eclat n'eut- 
il pas infpire k qttelque rimeur An- 
glais le defir de fe diftinguer auffi 
dans cette langue , devenu$ Tidiome 
des Poctes du midi de TEurope? 
Rien de plus naturel affurement, & 
c'eflce qui arriva en Efpagne &en 
Italic Ccpendantconfultezlliiftoire 
des Troubadours ; & vous verrez 
que parmi les cent quarante dont 
la patric eft connue , il n'en exilic 
- pas un feul Anglais. Si Tony compte 
le Roi Richard, e'eft une erreur : 
je lai prouvi dans la Preface du 
premier Volume.' 

Ce quon vient de lire concernAnt 
F Angleterre doit s'appliquer egale- 
nient a la France, e'eft-a-dire, aux 



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suit les Troubadours* 29 
Provinces qui parlaient la Romane 
fran$aife. Les Troubadours , loin 
dy etrc recherch^ , n'y furent pas 
plus connus que fur les bords de la * 
Tamife. lis ne pouvaient l'ctre da- 
vantage en effet ; & Ton ne trouve 
pas plus de noms fran^ais fur leur 
lifte quon y trouve 4e noms anglais. 
Encore une fois, les deux moities 
dulloyaurae differaient de langage. 
Quoiqu'il put y avoir dans Tune ou 
dans Tautre certains individus qui 
fuffcnt les deux idiomes , elles ne 
s'entendaient pas. Moi-meme qui 
fais paffablement bien la Romane 
franjaife , j'ai beaucoup de peine i 
comprendrc la proven^ale ; Sc fans 
les fecours que m'ont procures les 
commentaires de M, de Sainte- 
Palaye , jamais , je Tavouc , je ne 
fcrais parvenu k les lire* Enfin Ton 
ne trouvera pas chez les Trouba- 
dours un feul paffage oOl ilfoit men- 
tion des Trouveurs. On n en trou- 

5.3 



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1 

30 O B S E RVAT TON S 

vera pas un fenl chez nos Trouveurs 
ou il foit parle des Troubadours : au 
moins jc protefte de bonne foi que 
► jc nc m'en rappclle pas un > & je ne 
crams pas de le dire , puifque , fi je 
me trompe , jc fuis sur d'etre con- 
tredit par mes adverfaires: 

Que devient maintenant cette re- 
putation itonnanu ?--, dont on veut 
gratuitement qu aient joui les Ri~ 
meurs proven^als. Malgre tout leur 
eclat pretendu, les voili inconnus 
£.la plus belle moitie de la France , 
£ celle qu'habitaient nos Roi$! Mais 
quand meme tout ce qu'on leur at- 
tribue de renommee aurait exifte en 
effet , que prouverait encore cet 
argument? Rien. II nc s'agit point 
de favoir s'ils ont ete loues , mais 
s'ils ont merite de Tetre. Quel ou- 
vrage *a jamais excite autant d'en- 
thoufiafme que notre Raman de la 
Rofe} Regu avec tranfport des fa 
naiffance > lu , admire , prone d'age 



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SUR LES TROUBADOURS. 31 

cn age , il ne nous eft parvenu , s'il 
eft permis de parler ainfi , qu au 
milieu d'une efcortc pompeufe d'e- 
loges & de panegyriqucs , qui au- 
jourd'hui encore en impofent k la 
plupart des Gens-de-Lettres. Cepen* 
dant enrrcprenez de le lire , fi vous 
f ofez y cherchez-y ce qui a pu oo 
cafionner ce refpe& , qu'on lui porte 
toujours fans trop favoir pourquoi : 
& vous conviendrez que jamais peut- 
etre ne parut en France production 
plus ennuyeufe 3c plus miferablej 
que c'eft ce mauvais pofc'me, qui , en 
introduifant chez nous les infipides 
perfonnages de bel-accueil , de bon 
vouloir , de male-boijche, &autres 
pareils, agate le gout des Fran^ais* 
ou plut6t a introduit chez cux , pour 
plufieurs fieclcs , le mauvais gout * 
enfin qui Texception de cinq oufix 
vers qu'on a retenus , il n a abfolu* 
mcnt d'autre merite /pour plaire , que 
I'allegorie orduriejte qu'il preferop* 



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|i Observations 

Cefl: ainfi que doivent etre ap« 
precies les eloges donnes aux Trou- 
badours. Mais au refte, ccoutons 
fur ce point leur Editeur : un pareil 
temoignage nc peut etre fufpe&;& 
jamais on nc parlera tnieux en ma 
feveur. 
T. // , « De tout terns il y a eu de fauffes 
*• 4-79- „ reputations , fondees fur quelques 
» jugemcns particulicrs > dont Tau- 
» torite prevaut fans examen; jut 
*> qua ce qu'enfin la critiquyfifcute, 
»> la verite' perce , & le fantome du 
» prejuge s'evanouit. Telle a ete la 
" reputation d'Arnaud Daniel. Nul 
» Troubadour n'a regu plus d'eloges 
» des premiers auteurs Italjens. Le 
« l>aiite le celebreplufieurs fqis danx 
» foh traite de Teloquence vulgaire* 
» Apres avoir marque les fins prin- 
» cipales de la Poefie , Vhonnete , 
at * utile & Vagrfabk, il ajoute quo 
v lagreable fut le partage (FArnaud > 
« & qu'U exQella. particuHerement 



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SUJt LES T&OVBADOVRS. 33 

» i chanter i'amour. II dit encore 
» a la fin du vingt-fixieme chant du 
» Purgatoire , que ce Poete maniait 
» fuperieuremenr fa langUe > que 
» fes vers tendres & fa profe en 
» Roman furpaffent tout ce qui 
» avait paru av&nt lui dans le meme 
» genre. 

» Petrarque le nomme & la tetc 
» des PoStes proven^aux* les plus 
» celebres , en Tappellant le grand 
» Maitre d y amour A\ la meme imite 
» en phifieurs chofes. » 

» De pareilles autorites ontparu 
» comme infoillibles aux ItaUens des 
» fiecles fuivans , occupes du meme 
» fgjet. lis ont fait d'Arnaud , le 
» Prince du Parnaffe provengal. 

» Cependant , & Texamen de fes 
» pieces , on nc voit point ce que 
» Dante &c Petrarque pouvaient y 
» trpuver de fi merveiHeux. Rien 
» na peut-etrc plus contribue a fe* 
» fucces , en <les terns oA Ton ayait 



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34 Observations 
~» fi peu dc gout , qu'un nouveau 
« genre de compofition, nomme 
» Seftine , dont il fut l'inventeur , & 
» dont le merite confiftait dans la 
» difficulte de certaines combinai- 
» fons de vers y repetes dans un 
» certain ordre. Ajoutes 4 cela une 
" recherche curieufe de rimes, qu'il 
» appellait caraf rimas 9 rimes riches 
» ou difficiles. Cetalt de quoi fe 
» faire admirer , finon des deux 
» Poetes Italiens , au moins d'un 
» public ignorant , toujours pret k 
» s'extafier fur des inepties. » 

D'apres ces reflexions , didees par 
le gout & Timpartialite , on peut ap- 
precier maintenant de cjuel poids 
peuvent etre tous ces eloges donnes 
aUx Troubadours par les Italiens, 

« Les Italiens ne parlent que des 
» Provengaux , dit M, TAbbe dc 
» F ♦ • • • , ils avouent les obligations 
* qu'ils ont aux Proven^aux •, ils 
>* imitcnt les fujet* traites par les 



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sur les Troubadours, n 
» Provengaux -, en un mot , il eft 
« toujours queftion chez eux des 
« Proven$aux , & uniqucment des 
» Provenfaux. » 

Javoue que j ignore quels f6nt ces 
fujets pris par les ltaliens chez les 
Troubadours *, & j'eufie defire que 
M. FAbbe de F . . . . eut bien voulu 
me les indiquer. Mais &u refte , 
comme je ne connais que mediocrc- 
ment la litteratuie italienne , & que 
je Ten crois beaucoup mieux inftruit 
que moi , je m'en rapporte k lui 
fur cet avantage de Ccs compatriotes. 

lis en one un autre, bien plus 
glorieux encore , dont je les ai fe- 
licites moi-meme ailleurs* celui da- 
voir infpire & Htalie le gout de la 
Poefie en langue vulgaire , & de lui 
avoir donne en ce genre les premiers 
modeles. Quoiquelesdifciplesaiftit 
laiffe bientot leurs maitres beaucoup 
en arriere ; dependant il eft flatteut 
pour ceux-ci de compter de pareils. 



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$6 O nS E R VAT ION 9 

eleves parmi leurs titres dc gloire. U 
n'eft done pas etonnant que d'apres 
cc que Tkalie dcyait aux Provei^als , 
quelques-uns dc fes Ecrivains aient, 
par reconnaiflance , vante quelques- 
uns des leurs. 

Cependant depuis la publication 
des Fabliaux , il a paru un ouvrage 
dans lequel TAiiteur , M. Bar toli , 
Antiquaire du Roi de Sardaigne , 
att^que les pretentions quont a ce 
fiijet nos Provinces meridionale$. 
Loin que leurs Troubadours aient 
ete les premiers a faire renaitre ai*- 
deli des Alpes lc gout des Lettres , 
il avance au contraire que les etudes 
y furent anterieures au fiecle ou 
peux-ci commenccrent a rimer. U 
pretend qu'avant eux l'ltalie avait 
deja des Ecrivains en Hi/loire , en 
Aftronomie, en Jurifprudence, en 
Medecine &c. > qu'au xn e fiecle on 
y faifait des vers italicns , comme il 
paraitpar uncinferiptiqa de ce terns ; 

quau 



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sun les TrovbadOvhs. if 
<jii'au reile , pour tourner vers la 
Poefie les ralens de cecte Nation, il 
lui fuffifait des Auteurs grecs & latins 
doHt elle avait conferve , & done 
clle poffedait les manufcrits j enfin 
que fi le Dante & Petrarque ont cite 
avec eloge quelques-uns des Trou- 
badours y il s'en faut de beaucoup 
que le refte de Tltalie ait partage fur 
ce point leur enthoufiafmc ; & qua- 
pres tout, Petrarque lui-meme efti- 
m||t en general fort peu ces Poetes , 
puifqu il nous les reprefente avec un 
langageaujji Strange que leur exterieur. 

Di portamenti e di volgari (Irani. * ^m • r 

* ** 2. rionjo 

Lamaniere dont M.Bartoli difcute d ' amore » 
ces reflexions diverfes , prouve un cap ' 
hommc tres-inftruit en Litterature y 
8c dans la Litterature italienne fur- 
tout : mars elles ne font pas les feulcs 
qu il ait faites k ce fujet. II en an- 
nonce d'autres encore qui ferviront 
de fuite aux premieres, 

Cefl: aux Provinces qu'intereffent 
Tome IL £ 

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38 O B S E R V A T10 tf$ 

ces nouvclles attaques , qti il appar- 
tient de les rcpouffer. Pour moi , 
qui ai cru pouvoir difputer & ces 
Rimeurs tin meritc qu ils n ont pas, 
mais qui me fais un devoir de re- 
connaitre celui quils ont reellcment , 
favoueavec impartiality que fiparmi 
les argumens du favant Antiquaire 
II en eft beaucoup qui m'ont para 
concluans ; il en eft aufli qui ne m'chit 
point convaincu , & fur lefquels 
fattens les preuves nbuvelles qp'U 
promet. Ce n'eft point la Medecine „ 
l'Aftronomie ni la Jurifprudence que 
les Proven$als fe glorifient d avoir 
tranfplante au-deU des Alpes , mais 
le gout de la Poefie & des Lettres. 
Or voil* ce que M. Bartoli ne me 
parait pas avoir detruit encore. II 
appuiefon opinion fur une inferip- 
tion en vers : mais une infeription 
n eft point de la Poefie ; & tant quunc 
Nation ne pourra me citcr que de 
pareils monumens, ellc naura pas 



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SUA LES T ROVBADOUKS. $? 

droit, je penfe > de fe vanter d'avoir 
cu des Poetes. Pour lui accorder 
cette gloire , je veux des recueils , 
des pieces jiombreufes & d'une cer- 
taine etendue ; en un mot, un corps 
d'Auteursdont les produ&ions aienc 
ete connues , lues ou chantees pa* 
kurs contemporains. Telle eft la 
gloire des Provencals avant le xin* 
fiecle y & jufqu& ce que l'ltalie 
m'offre des ti tres pareils , je me croirai 
fbjjde a croire qu'ils ont ete fes mai-» 
rres. A-t-elle unPoete enlangue vul- 
gaire quifoit anterieur a Tan ni2> 
Alors mourut le premier des Trou- 
badours. En a-t-elle qui aient verfifie 
en italien avant le Lombard MalaP 
pina? Celui-cirima en pro venial fur 
la fin du xn e fiecle. Les autres Ul^ 
tramontains , qui a Texemple de 
Malafpina, choifirentpourcompofer 
la langue de nos memes Poetes , ne 
prouvent-ils pas le cas qu'elle faifait 
de leurs Poefies } Enfin n'eft-ce pas 

C z 



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\fy Observations 
a nos Rimeurs meridionaux que de 
Con propre aveu elle doit les Stftinest 
Ici neanmoins fe prefente une re- 
flexion , qui malheureufement n'eft 
point a Thonneur des derniers. II 
yaeu, comme je viens de le dire > 
des Italiens qui ont rime en pro 
venial. Mais par quelle fatalite , ces 
etrangers , que nos Provinces trou- 
badourefques fe font une gloire d'inf- 
crire fur leur lifte , font-ils done tous 
des homines au-deflbus du mediocre , 
dont pas un feul ne nous a laifle un 
nom connu en litterature } Comment 
eft-il arrive que les premiers Ecri- 
vains illuftres dont lltalie puiffe fe 
vanter , Ubaldini , Guitton d' Arezzo, 
Cino de Piftoie , le Dante , Bocacc , 
Petrarque , Sec. aient tous egale- 
ment, commed'uncoiiimun accord; 
renonce k la Romane proven^ale , 
pour ecrire dans leur propre idiom e ? 
Pourquoi enfin des ce moment-li , 
les Troubadours , malgre la repli- 



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sun les Troubadours. +t 
tation ttowxante dont ils jouiiTaient , 
font-ils tombes tout-a-coup dans un 
tel mepris que depuis on ne trouvc 
leurs Poefies citees chez aucun Ecri- 
vain de merite 3 ou qu'elles ne le font 
que comme matiere de critique 8c 
d'erudition ? 

La verite de ce fait a ete rcconnue 
par leur Editeur. De bonne foi fur 
le degre precis d'eftime qu'ondoit 
a leurs talens , il ne fe laiffe point 
aveugler par Tamour de la patrie j 
Sc ceil toujours avec confiance que 
je cite fon temoignage , parce qu'or- 
dinairement ce temoignage eft celui 
d'un homme impartial. « A la fin 
>> du xm e fiecle , s dit-il , le Dante » Dtfit 
» donna Teflbr du genie a la langue P riL P? 
» Iralienne. Des ce moment, on la 
» vit fort fuperieure au Provencal. 
» Petrarque parut j lamour Tinfpira > 
»> & fous le ciel meme de Provence , 
» il fit entendre des fons fl melo- 
» dieux » des vers fi elegans •, en utk 



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%t Observations 

» mot , il eclipfa tellemeat les Trou- 
w badours , que leur nom , leur 
» langage & leurs poefies difparu- 
« rcntprefque entierement aux yeux 
?* de TEurope. » 

Je prie mes Le&curs d'obferver 
que ce Petrarque , ce Dante , qui 
aneantirent pour jamais les poefies 
des Troubadours , font ces memes 
If aliens cependant qui les ont loues, 
ceux-la memes qui nous ont tranfmis 
leurs noms , & fans lefquels ceux-ci 
feraient aujourd'hui entierement in- 
connus. Quoij. malgre de fi hono- 
rables eloges , malgre tant de merite 
& une reputation fi ttonnanu, la 
memoire des Troubadours a peri 
tout-a-coup 1 Ce phenomene eft rare 
en litterature. 

Qnant a lobje&ion qu'onme fait, 
que les Italiens n ont point parle de 
nos Rimeurs fran^ais; quand memc 
clle ferait vraie , elle ne prouverait 
lien encore. Les Italiens nentendaiit 



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SUK LES TROUBADOURS* 4$ 

point notrc Romane , il etait naturel 
qu'ils ne connuflent point les ou- 
vragcs compofes dans cette langue. 
Nos Trouvcurs n'ont point fait 
mention de leurs Poetes non plus; 
fcra-ce neanmoins un demerite pour 
ceux-ci, 8c une preuve contre leur 
reputation } Non certainement. 

Mais , loin que Tltalie ait parle 
wiiquement des Troubadours , commc 
Font avance M. TAbbe de F . . . . & 
FAuteur du Voyage Litu'raire , j'a- 
yance a mon tour, qu'elle a connu 
& cite nos Rimeurs. Ouvrez ce 
Poeme bifarre que le Dante a in- 
titule Comedie \ vous trouverez qu il 
y parle de notre Roman de Lancelot, 
& qu'il le regardait rneme commc 
une le&ure amufante. 

Noi leggiavam un giorno , per diletto ; 

Di Lancelocto , com' amor lo ftrinfe. * « Enfcr i 

Ailleurs il fait mention de Char- ch ' *' 
lemagne , de Rolland fi celebre chez 
nos Roaianciers \ 8c de cette derouce % Ib - ch * 

c 4 |l ' 



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44 OBSERrAT10N$ 

de Roncevaux , ou le Paladin mou- 
rant , fonna du cor d'une maniere 
fi effrayant;e. Dans fon traire de vul- 
gari eloquemid (*) , il nomme par 
trois fois notre chanfonnier le Roi 
Thibaut, des chanfons duquel il 
cite a chaque fois un premier vers. 
On peut dire la meme chofe dc 
Petrarque. Dans fon triompke Ma- 
inour , il celebre les Romans de Lan- 
celot , celui de Triflan > & ceux de 
nos Chevaliers errans > dont les hif* 
toires, dit-il, font remplies de men- 
fonges. 

Ecco quci , che lc carte empion di fogni , 
Lancilotio, Triftano , & gli altri erranti, 

(*) Triflino a & apres lui quelques autre* 
Italiens , ont paru dourer que ce traite fqt 
du Dante. Leur opinion n'a plus de partifans 
aujourd'hui. Mais quand meme le de vul- 
gari eloquentid ferait d'une autre main con- 
temporaine, ce ferait au moius un ouvragc 
d'une antiquity reconnue ; & a ce titre , il 
prouverajt egaiemcnt eft que j'ai avanc^. 



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aun les Troubadours. +f 
Mais dailieurs , quand nous nau- 
rions pas pour nous les temoignages, 
n'avons-nous pas les faits qui depo- 
fent en notre faveur ? Les Romans 
que y pendant deux ou trois fiecles , 
publierent les Italicns , ne furent-ils 
pas des imitations > des traductions 
ou des fupplemens des notres? 
Buovo d'Antona , il Danefe Uggierri % 
la morte del Danefe , lo iwiamor amenta 
di Milone & di Berta , le prime imprefe 
di Orlando , Orlando innamoraio y Or- 
lando furio/b , Orlando handito , la rotta 
di Roncivalle> morte de Palatini y il 
Mambriano , Rinaldo ^Rinaldo furiofo , 
Cuidon Selvaggio > Guerin mefchino % 
Giron cortefe , Lancelotto i Ginevra § 
&c. &c. &c. Qui ne reconnait li les 
aventures & les Heros de nos Roman* 
ciers 1 Et les Auteurs eux-memcs, pour 
qu'on ne s'y meprenne pas , n'affec- 
tent-ils point fans ceffe de citer, pour 
garantdeleurs fidions^notrearcheve- 
queTurpin. Aurefte,dans toute cctte 



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46 Observations 
lifte y je n'ai cite que des Romans 
italiens en vers. Que ferait-ce fi jc 
rapportais tous ceux qui font en. 
profe ! Une page nc fiiffirait pas. 

Le Dante lui-meme , dans fon de 
vulgari eloquentid^ziAi en convenir. 
Au chapitre ou il traite des diffe'rens 
ididmes qu'on parlalt de fon terns a 
droite & a gauche de Vdpennin , il dit 
fur lalangue de nos Provinces > qu'il 
appelle langued'oil, qu un des mc'ritcs 
dont ellefe vante , & dont cite eft rede- 
vable a fa facilite' & a fon aff/e/nent t 
x'eftde pouvoir revendiquer tout ce qui 
a ete redige , ou invente en profe vul- 
gaire ; tels que le/ livres fur les beaux 
/hits des Troy ens & des Ro mains % fur 
ceux du Roi Anus , & beaucoup dautres 
hiftoires. 

Enfin n eft-ce pas avec nos Fa- 
bliaux que Bocace a procure a fa 
patrie, & qu'il s'eft procure a lui- 
meme , aflez facilement , un hon- 
jieur immortel > Quoiqu'il pafle non- 



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stra les Trovbadovhs. 47 
Xeulement pour lmventeur de fes 
Contes, mais encore pour le pre- 
Ifcier qui ait renouvelle dans TOc- 
cident cc genre agreable 5 il doit k 
nos Fabliers un grand nombrc de 
fes fujets 8c le genre lui-meme. Pof- 
terieur k eux d'un fiecle environ > il 
Jes a copies : le recueil que je publie 
en oiFrira la preuve ; 8c cette preuve 
Je defie de la detruire. 

Ilrefultede tout ceci que fi Tltalie 
doit aux Troubadours le gout des 
vers & la Poefie lyrique , elle doit 
k nos Provinces feptentrionales les 
Contes 8c les Romans. Ce font-li 
des obligations reelles , des obliga- 
tions incontefiables quelle ne peut 
defavouer : mais les Provencals les 
•xevendiqueront fur nous \ car ce 
n'eft .point feulement k lltalie qu'ils 
fe Vantent d'avoir donne les pre- 
mieres le£ons de Litterature 8c de 
Poefie , e'efl: k la France , e'eft k 
l'Europe entiere. 

C6 



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48 Observations 

Si on les en croic , nos Provinces 
leur doivent jufqu a lcur langue. M. 
Mayer, dansle titredefadiffertation 
contre moi , qualifie la Romane pro- 
vencjale , mere dt la Romane franpai/e j 
& il r^pete cette expreffion dans lc 
cours de fon ecrit. Comme M. Mayer 
ne donne aucunc preuve pour la juf- 
tifier , fignore ce qu'il entend par- 
la. Une langue doit etre repuree mere 
d'une autre , quand elle exifte avant 
clle chez un peuple quelconque , & 
que celle-ci lui fuccede. Ainfi , par 
exemple , dapres cette definition > 
jiotre frangais moderne doit fa naif- 
farice aTancienne Romane frangaifc. 
Mais raremenc l'Hiftoire offre de 
ces filiations qui foient pures. D'or- 
dinaire , une autre langue etrangere 
vient interrompre , s'il eft permis de 
parler ainfi , Tingenuite de ces ge- 
nerations ; & c'eft ce qui eft arrive 
£ la nocre. 
Pes que ks Romains ont foumfe 



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sur les Troubadours* 45J 
la Gaule , ils y aneantiflent les dif- 
ferens idiomes qu ony parlait , pour 
y fubftituer le leur. Celui-ci dominc 
feul pendant quelques fiecles. Mais 
enfin divers peuples barbares vien- 
nent s'etablir par droit de conquete , 
les uns au midi , les autres au nord 
de la Loire, Alors la langue fe cor- 
rompt par le melange de la leur, & 
forme dans les deux moities du 
Royaume , deux langues nouvelles i 
qui ehacune de leur cote fe cor- 
rompant elle»-memes de plus en 
plus par les annees , deviennent , 
Fune la Romane frangaife , Tautre 
la Romane proven$ale. J'ai parte 
plus au long de cette double ori- 
ginc dans la Preface du premier vo- 
lume •, & ce font -la de ces faits 
connus dont on ne peut , je penfe , 
contefter la verite. Le peu que je 
viens de repeter fur cette matiere 
fuffirapour detruire Taffertion de M* 
Mayer. La Romane proven$ale ncft^ 



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$0 O B S E*V AT I ON S 

4c na pu etre , comme on vient dc 
lc voir , mere de la Romane fran- 
<jaife , non plus que la franjaife , 
mere de la provenjale. Ce font deux 
faeurs qui, pour employer toujours 
k meme fa$on dc parlcr, ayant eu 
une meme mere, mais un pere dif- 
ferent , conferyerent pendant lcur 
cnfance quelques traits d'une origine 
commune ; mais dont la.'reflem- 
blance s'altera enfin tellement avec 
Ms annees, quau tems dont nous 
parlon* il etait difgcile de recon-* 
naitreenelles une meme naiffance. 
« Les Francs , qui netaient que 
» des barbares, ajoute M. Mayer, 
w confier^nt aux Troubadours le 
. » foin penible de polir leur langue 
9» & leur genie. Appelles a leur Cour, 
» attires aupres du Trone , princi- 
» ^palement par Conftance , fille dun 
» Comte de Touloufe , qui Venait 
» d'epoufer le Roi Robert , ils ( les 
w Troubadours ) devinrent les pre^ 



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8UR L£S TrOVBADOVRS. %f- 

* tcptcurs&les oracles desFrah^ais. 
» Telle eft Torigine de la tranfplan- 
» tation du gout de la. Poefie pro- 
is ven^ale en France. » 

J'aurais ici quelques obje&ionsa 
feire fur ces Francs 3% que TAuteur 
feit contemporains des Troubadours, 
fur cctte langue quil prete aux pre- 
miers y tandis qu il aavance plus haut 
que la leur etait fille de la Proven- 
$alc > mais ce font-la fans doute dc 
ces impropriates d'expreffion qui 
quelquefois echappent a un Ecrivain > 
lorfque dans la chaleur de la compo- 
fition il laiffe couler librement fa plu- 
me \ &jaitrop d'interet moi-meme 
£ ce qu'on me pardonne mes fautes, 
pour ne pas excufer les negligences 
des autres. 

J'euffe defire pourtant que M* 
Mayer , qui parait inftruit > eut cite 
quelque autorite fur les faits qu'jl 
allegue : car je me refoudrai diffici- 
lement i croireque nos Provinces* 



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$i Observations 

qui dans tous les fiecles , foit lorfquc 
la langue latine fubfifta chez elles » 
foitlorfqu'elleeut degenere dans unc 
autre , ont cu des Rimeurs , doivent 
lc goiit de la Poefie aux Trouba- 
dours. Jc croirai plus difficilemenc 
encore que nos Rois & les Grands 
de leur Cour , qui nentendaient 
point la langue des Rimeurs pro- 
vengals , leur aient envoye des de- 
putes pour les attirer aupres d eux, 
& que Ik ils leur aient dit equiva- 
lemment: «MM. nousnefommes 
9» dans ccs contrees-ci que des igno- 
»> rans &c des fots ; notre langue eft 
»> barbare aupres de la votre, quoique 
» nous ne Tentendions pas : foyez 
9» nos maitres ; & avant tout, ap- 
*> prenez-nous a parler. » 

C'eft-la pourtant un des prejuges 

avec lefquels naiflentleshabitans de 

quelqikes-unes de nos Provinces me- 

ridionales. Ils croient de bonne foi 

*«jue pendant plufieurs fiecles les Sou- 



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sur lbs Troubadours, if 
vcrains de l'Europe n'ont eu , pour 
embellir leur Cour,d'autres beaux 
efprits que ceux qui fortaient du 
midi de la France. lis croient fur- 
tout que ces pretendus beaux efprits 
ont ere, felon rexpreffion de M. 
Mayer, les pre'cepteurs & les oracles 
des Frangais. (*) 

(*) Peut-etre eft-ce la propoficion con* 
traire qu'il faudrait avancer. Jc fais bien 
au moins que fi je voulais foutenir celle- 
Ci , fen trouverais une preuve chez un 
de mes Adverfaires. En rendant comptc \ 
des Poe^es de Guillaume , Comte de Poi^ 
tou ' , il cite du Poete ce paflage ,je neus % ffjfi m j § 
jamais a ma Cour ni Franpais ni Nor** Prov. T % 
mana\ Il faut bicn remarqucr que Guil-. * p ' * z? * 
laume eft le premier des Troubadours con^ 
nus. Or s'i! fe glorifie de n'avoir admis 
aupres de lui aucun Fiancais , il s'enfuie 
que les Fn ri^ais &aient done admis & re- 
cherche's dans les Cours des Provinces me*- 
ridionales , meme avant qu'il y eut det 
Rimcurs Provencals qui^fTent i'etre dan* 
Jcsnotres. 



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J4 Observations 

De pareillcs prerogatives , II elles 
imcnt reelles , feraient bien hono- 
rabies pour les Troubadours allu- 
rement ; mais fi elles font reelles , 
fans doute elles font fondees fur des 
ffreuves inconteflables •> & ces preu ves 
on pourraprobablement les fournir 
en foule. Sans doute on nous aura 
tranfmis le nom de ces bienfaiteurs 
dune moitie de la Narion ; on nous 
dira les ouvrages qu'ils ont publies 
dans ce deflein , les fervices quils 
ont rendus , les eleves qu ils ont 
formes. Je m'attends que chez tous 
nos Ecrivains , Chroniqueurs & au- 
tres , il n'y aura quun cri & unc 
acclamation generale. Mais malheut- 
reufement je ne vois rien de tout cela. 
Jevais confulter Yhiftoire des Trouba^ 
dours'j & bien loin d'y trouver les 
preuves que je recherche , jc n'y vois 
pasmeme cite un feul Poete proven- 
jalquiaitpar^laCour de nos Rois. 
Ils y furent , dit M, Mayer , prin- 



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sur les Troubadours, if 
eipalement attires par Conftancc , 
fille dun Comte de Touloufe y Iorf- 
qu'elle ftit devenue l'epoufe du Roi 
Robert. M. Mayer n'eit pas le pre- 
mier qui ait avance ce fait. Beaucpup 
dautres avantlui Tavaient allegue de 
meme; & comme lui, ils Tont al- 
legue fans preuves. On n'en trouvera 
pas une dans Thiftoire des Trouba- 
dours, ou Ton etait interefle a l'e- 
tablir , s'il cut ete vrai. On y voit au 
conrrairc que le premier de tous les 
Troubadours fut , comme je l'ai dit, 
Guillaume , Comte de Poitou , qui, 
loin de fieurir en 1070 , ainfi que l'a- 
Vance l'Auteur du Voyage Liue'raire^ 
nc naquit qu'en 107 1. Or le Roi 
Robert avait epoufe Conftance Tan 
998 , e'eft-i-dire , cent ans environ 
avant que Guillaume put fonger k 
feirc des v$rs , avant qu'il y eut des 
Troubadours, 

Je fais que le mariage de la Prin- 
ceffe Toaloufaine cfut conduire 8c 



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^ 6 O B S E R V A T 1 O H S 

attirer a laCour de France beaucoup 
de Provencals. L'Hiftoire Tatteflc : 
mais elle attefte auffi qu'ils n'y ap 
porterent que des modes nouvelles 
&£ des moeurs etrangeres, auxquelles 
la Nation ne gagna rien ; 3c qu'ils y 
furent vus du meme ceil a peu-pres 
quon y vit , cinq ou fix fiecles plus 
tard, ces Iraliens qui, dans uneoc- 
cafion pareille , vinrent en foule a 
la fuite de Catherine de Medicis. 
Voici ce qu'en dit un Hiftorien con- 
*Glabtr, temporain \ Par egard pour les Pro- 
*' 3 ' vinces qu'il parait avoir traitees avec 
trop d'humeur , je me contenterai de 
citer fon temoignage fans le traduire. 
CircamiUefimum incarnati Vcrbiannum^ 
cum Robertus accepijfet fibi Reginam 
Conjlantiam a partlbus Aquitani<E in 
conjugium , caperunt confluere , gratia 
ejus Regince , in Frahciam atque Bur- 
gundiam (*) , ab Arvernid & Aquitania y 

m i ' i ■ i I... ■ ■ 

(*) Robert , prefquc auflkot apres Con 
joariage , hcrita du Duche" de Bourgognc ^ 



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SUR L&S TROUBADOURS* tf 

homines omni levitate vaniffimi y mo- 
rlbus & vefie dlftorti , armls & equorum 
phalerls incompofiti , a medio capitis 
nudatij hifirlonum more bar bis tonfi 9 
caligis & ocreis turpijfitni , fidei & pads 
fttdere omnlno vacui ; quorum itaquc 
wfan la, exemplar! a , he u I proh dolor I 
iota gens Franco turn ( nuper omnium 
honeftiffima ) ac Bur.gundidnum , Siti* 
hnda rapuit. 

On peut appr^cier maintenant le9 
obligations prerendues quont en 
Poefie nos Trouvears aux Rimeurs 
dcs Provinces meridionales ? C'eft 
au Le&eur a juger fi ces pretentions 
font fondees. 

II en eft de memc des inculpations 
it Plagiat , intentees contre nos me- 
roes Poetcs. A entendre M. Mayer , 
ceux-ciyont venus depouiller les Pro- 
vencals, & semparerde leurs finds. 

qui appartenait a fon oncle Henri, $C 
que eclui-ci lui laiffa par teftament , n'ayan^ 
point d'enfans legitimes. 



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j8 OBSERriTlOKJ 

Si Ton en croit M. l'Abbe de F...« 
plufieurs dfcs Contes qu'on lit dans 
mon rccueil ont e't/ prls des Trouba- 
dours ; « & il lui ferait aife de le 
» demontrer , dit-il , en rappro- 
« chant les moeurs , les ufages, 8c 
» d'autres objets purementlocaux. »»- 

Enfin l'Auteur du Voyagt Littc- 
raire fait aux Trouveurs le memc 
reproche •, & il k pouffe meme plus 
loin. Pareil i ces deux femmes de 
la fable qui rendirent un homme 
chauve en lui arrachant , Tune les 
cheveux noirs , Tautre les cheyeux 
gris , il depouille fucceflivement nos 
Conteurs de leurs plus jolis Fa- 
bliaux. 

Scion lui , ceux qu on peut lire 
avec plaifir ne font point fortis^de 
leurs mains ; les uns ont ete pjilles 
chez les Arabes , les autres chez les 
Italiens ; d'autres enfin chez les 
Troubadours. Cell fur cette triple 
affertion que roule prefque tcute 



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SUR LES TrOUKADOVRS. ft 

entiere la differtation qu'il a com-< 
pofee > au moins , de fes cinq let- 
tres, il y en a trois employees a la 
prouver. 

Cependant, par une forte de com* 
paflion, il veut bien ne pas reduire 
a la nudire nos pauvres Fabliers* 
Son impartiale & noble generofite 
leur abandonne ceux de leurs Con- 
tes qui font plats & infipide^ 
« Comme la plaifanteric , dit-il * 
» demande une delicatcfle & un 
» agrement dans Tefprit que les 
* Trouveurs n'avaient pas j commc 
» ccs memes Trouveurs n'avaient 
» ni aflez de talent ni affez de gout 
m pour reunir ces qualites ; quite 
» font froids & infipides , ne fakes 
» pas difficulte de leur attribuer les 
» Fabliaux oil vous trouverez line 
» gaiete fans vivacite & fans faillie, 
»» une plaifanterie fans fel & fans 
,J agrement. Je vous avertis que 
v vous les diftinguerez k ces de^ 



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#0 Observations 
» fauts , qui leur donnent un air 
M de famille auquel on les reconnak 
;* aifement. »> . , » 

Lorfque fai annonce que les Poe tes 
de nos Provinces feptentrionales 
avaient fait de jolis Cbntes , je n ai 
pas pretendu qu ils fuffent les in- 
venteurs du genre. J'ai declare au 
contraire avec impartialite qu ils de- 
vaient quelques-uns de leurs ' fujets 
aux Arabes , dont probablement 
ils avaient appris 4 connaitre la 
litterature pendant les Croifades. 
Mais ici fe prefence une quefliona 
faire. 

• II ieft vraifemblable que la partie 
meridionale du Royaume a du four- 
nir aux differentes guerres d'Qu- 
tremer aucant d'hommes 4 peu-pres 
que la partie feptentrionale. II eft 
probable encore que les uns & les 
autres furent egalement a portee de 
connaitre les mcsurs & les ouvrages 
des Arabes. Cependant comment 

cft-ij 



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SVR LES TROUBADOURS. 6t 

cfl-il arrive que les Soldats de nos 
Provinces ont ete les feuls qui aient 
rapporte en Europe le genre des 
Contes, auquel leurs enfans fe li- 
vrerent avec difiin&ion ; & que les 
Provencals, certe Nation fi gaie, 
non-feulement ne sy font appliques 
que pofterieurcrnent a nos Poetcs; 
mais encore qu'ils n'ont fait en 
rout que deux Contes , affez infi- 
pides. II eft fort etonnant que tou- 
tes les fois quon savife de com- 
parer enfcmble ces deux families 
d'Auteurs , l'avantage foit toujours 
du cote des feptentrionaux. 

Les Fabliaux, que dans le terns 
ont compofes ceux-ci, n'ont pas 
peri tous ; il nous en eft parvenu tin 
certain nombre qu'on retrouve dans 
les manufcrits de nos Bibliotheques» 
Or d'apres les regies que favent 
& que pratiquent les Savans 
pour connaitre & pour etablir Tagc 
Veritable dun manufcrit, ceux-<4 
Tome II. * D 



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6l OBSERFATlCnfff 

font du xm c fiecle, c'eft-a-dire >. 
anterieurs d'un fiecle environ au 
terns ou Bocace, le premier, ecrivic 
des Contes en Iralie. Ce fait eil in- 
conteftable ; &c encore une fois , je 
defie de le detruire, 

Un autre qui ne l'eii pas moins, 
c'efl que ce meme Bocace a copie 
nos Fabliers : car de l'aveu meme. 
d'un de mes critiques , M. Mayer , 
on na jamais attribut* I * invention des 
Contes aux ItalUns. ,De-l& , on peut 
coiiclurc , je le repete , que les Ita- 
liens nous font veritablement rede- 
vables du genre des Contes , quoi- 
que nous memes peut-etre nous le 
devions aux Orientaux. 

Que repondre apres cela k TAu* 
teur du t'oyage Littirain , qui foU* 
tient que nous le devons au con- 
traire a lltalie ? Mais que repondre 
fur-tout aux preuves qu'il en donne? 
« Un Auteur Italien du x« fiecle fe 
elot!* " plaignait, dit-il x , que tout reten- 



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bur tsa Troubadours. 6f 
» tiflait de vers, la villc & la cam- 
»> pagne. 

•« H*ec ficiunc urbi , hare quoque rare viri. 

» Querait-ce done que ces petits 
« poemes latins dont la ville & la 
» campagnc retentiflaient ? N'eft-il 
» pas narurel dc croire que c*e- 
» taieht des Fabliaux , puifque e'eft 
w par les Fabliaux que les Nations 
» modernes ont ouvert la carrierc 
» de la Poefie » ? 

Lorfque les Francais commence- 
rent a compofer en langue vulgaire, 
leurs premieres productions poeti- 
ques furent des Romans. Bientot 
apres ils y joignirent des Fabliaux; 
mais ils ont ete , fi je ne me trompe , 
la feule Nation- d'Europe dont les 
Poetes aient ainfi debute. Pour les 
Italiens, on fait quit la naiffance 
de leur litterature , Bocace fe dif- 
tingua par <\es Contes ; mais on fait 
auffi que ces Contes font en profe. 

Quant au raifonnement de l'Au* 
D i 



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£4 O BS ERVJLT 1 N s 

tcur , tout le monde faijait des vers df 
la villc & a la camp ague ; done on 
faifait des Fabliaux : mes ledteurs me 
difpenferont dy faire reponfe. 

« Comrnc les Italiens font natu- 
» rellement railleurs , ajoure-t-il > je 
•> ne fais pas s'ils ecouteraicnt fans 
w rire eclui qui leur dirait ferieu- 
•9 fement qu ils ont imite nos Fa- 
« bliaux ». 

Pour moi j'ignore fi les Italiens , 
tout railleurs qu'ils font , riraient & 
celui qui viendrait, preuve en main, 
leur annonccr qu ils nous ont uni- 
tes. Mais je fais que le DucHat> 
dans fes notes fur Rabelais, avait 
dit fe'rieuftment que Bocace a copie 
le Conte de Grife'Udis d'apres un de 
nos anciens manufcrits , intitule lc 
parement des Dames \ Sc je fais en- 
core que Tun des plus ardens pane- 
* M. gy rifles du ConteurFlorentin * , d'a- 
Qtannu ^ s ccrte a fl* ert i orij q Ue probable- 

ment il a lue fans rire f a rcftitue 



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sun les Troubadours. <Jf v 
aux Fran^ais la propriete du Conte. 
Avant moi les Benedi&ins , auteurs 
de YHLfioire Litteruire de la France , 
avaient dit : « un de nos Savans ' qui s T.vi 9 
99 a beaucoup travaille fur Torigine . ' * s * 
•9 de notre langue , aflure que le fa- 
99 meux Bocace a pris des Romans 
» franjais la plupart de fes Nouvel- 
99 les •, que Petrarque & les autres 
» Poetes italiens ont pille les plus 
» beaux endroits des chanfons de 
» Thibaud > Roi de Navarre , de 
» Gace Brulez, du Charclain de 
99 Couci &c des vieux Romanciers^ 
» fran^ais » : 8c je n'ai pas eotendu 
dire que les Italiens fe foient moque 
de notre Savant ni des Benedi&ius 
qui le citaient. 

« Je vous demande , continue 
» TAuteur du Voyage y en quel terns 
99 & comment les Fabliaux^ ont ete 
» connus au-dela des Alpes*»? % P. -$<>*« 

J'ignore , il eft vrai , qui les y 
porta. Je n'ai ricn dc certain non 



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66 Observations 
plus fur Tepoquc precife ou ils fa- 
rent tranfplantes dans ces contrees , 
quoiqu'st coup sur ils y aient ete 
introduits pofterieurement aux Poe- 
fies proven9ales. Mais je fais que 
pendant le long efpace de terns od 
lltalie fut dechiree par des (Men- 
tions civiles 3 beaucoup d'Ultramon- 
tains vinrent fe refugier en France. 
Je fais que la plupart des ufuriers 
de nos villes etaient Italiens ; que la 
Cour de Rome, pour le maintien 
de fes droits , pour la perception 
de fes revenus , y entretenait beau- 
coup dltaliens 5 que prefque tout 
le commerce intericur du Royaume 
etait fait par des Italiens , & qu'ils 
occupaient meme dans la Gapitale 
une rue que de leur nom on ap- 
pella rue des Lombards-: Je fais 
enfin que Brunetto Latini ecrivit 
i Paris fon trefor ,• que le Dante y 

paffa quelque terns (*) \ que Bocace 

" " *' "" ' ' ■ ■ ■■ ■' ii 1 » . 

(*) Dans fon Purgatoire , Chant xi\ ca 

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bur les Troubadours, 67 
Sc beaucoup dautres y etudierent; 
<jue des le commencement du xm e 
iiecle , fon Univerfice etait cjdcbre 
dans l'Etat de Venife , & que plu- 
iieurs Venitiens venaient y etudier 
le Droit ' : apres cela je ne fuis plus % Fofia- 
ctonne que nos Fabliaux aient pu r } niddl <* 

rr t t. * Lettcra- 

paiicr en Italic tura Vc- 

Le critique n'en veut pas moins "£*£"*• 



parlant d'un certain Ode'rifi , peintre en 
miniature, il le nomme Yhonneur deccp 
art que Us Parifiens appellent enluminer. 

. • • • L'honor di quell' arte 
Ch' alluminar c chiamata in Parifi. 

Au chant i^ e il emploie des felons dc 
parler franedfes, 

.... Quanco a mio avifo 
Diece pafli diftavaa quei di fuori. 
Sotco cod bcl del , comm' io divifo**,. 

les Commentateurs remarquent fur cet 
endroit, que ces expreflions , quanto a mia 
avifo , comm io divifo a font de pms 
jallicifracs. 



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£& Observations 
attribuer la propriete aux Italiens i 
& comme il manque de preuves 
poficives pour etablir ce fait , il 
cherche a Fappuyer Xtyr des conjec- 
tures , fur des probability , quelque- 
fois memefur des inculpations hafar- 
dees. Par exemple , il y a un Fabliau , 
intitule la femme qui ay am tortparut 
avoir raifon , dans lequel une epoufe 
trompe fon mari. « La jalouiie du 
» mari, dit-ii, decele par fa ma- 
» niere feule le lieu oil le Conte 
« fiir invente » ; comme fi tout Ita- 
lien etait neceffairement jaloux , ou 
comme s'il ny avait de jalouiie qu en 
Italic 

Dans le Fabliau de YEnfant qui 
fondit au fokil > on lit quun mar- 
chand alia vendre & Genes , comme 
efclave ? un fils adulterin que lui 
avait donne fa femme. De-la TAu- 
teur du Voyage conclud que ce 
Conte eft vifiblement italien. « Les 
» marchands , tics fur les bords 4e 



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svr xes Troubadours* 6$ 
\> la Meufe , de la Seine ou de la 
» Loire , n allaient gueres & Genes , 
» dit-il y avant la fin du xm c fiecle. » 
Mais quand meme cc fait ferait vrai 
{ ce que je naccorde pas ) , etait-il 
done neceiTaire , pour qu'uh de nos 
Fabliers connut le nom d'une ville 
auiu floriffante que Tetait alors Ge- 
nes. UAuteur a-t-il oublie que ce- 
taient les Genois qui fournilfaient 
en grande partie i la France Ccs 
foieries 8c fes epices > & ne s'eil-U 
pas rappelle que ce fut a Genes que 
s'embarqua un grand nombre de nos 
Croifes ? 

Ceft avec des raifonneftiens pa- * 
reils qu'il attribue aux Troubadours 
utie partie de nos Fabliaux. D abord 
il convient riavoir aucun thre au~ 
thtntique pour prouver ce plagiat, * % p #4Z 2# 
" Mais, ajoute-t-il incontinent, 
» quand un Fabliau refpirera la 
" loyaute Sc Tamour pur, tels qu'on 
» les trouve dans plufieurs chanfons 



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jo Observations 
» amoureufes des Troubadours 3 ou 
» dans quelques-uns de leurs Con- 
» tes; quand ces fentimens fetont 
» peints avec une naivete , une can- 
« deur & une fimplicite que n*ont 
»> point les ouvrages qui apparticn- 
9. nent veritablement aux Trouve- 
» res; quand les Fabliaux contien- 
» dront des circonflances locales 
» qui defignent le pays ou ils ont 
» ete faits > quand ils paraitront vi- 
w liblement caiques fur des poefies 
» pro venules ^ enfin quand ils fc- 
»* ront publies fans nom d'auteur , 
» ne ferons-nous pas autorifes 4 
» dire qu'ils ont ete traduits du Pro- 
» vencal , ou dumoins quils ont ete 
m faits d'apres des pieces que vous 
99 connaiffez dans cette langue. « 

Quoi ! des qu'on Conte fera ano- 
nime , des que la fccne y fera pla- 
cee dans les Provinces ' meridioria- 
les, il appartiendra aux Trouba- 
dours ! en verite de pajreils raifo«- 



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stTR les Troubadours. 71. 
nemens mc confondent. D'apres ccs 
principcs pourtant , TAureur artri- 
buc aux Provencals les Fabliaux de 
Grifelidis & d' Aucaffin ; lef quels vien- 
nentj dit-il , fe ranger d'eux-mfmes 
parmi leurs ouvrages , parce que les. 
avenrures de Tun fe paffent 4 Sa- 
luces , fur les confins de la Pro- 
vence , & celles de Taurre a Beau- 
caire. C'eft ainfi qu il attribue aux 
Italiens le Fabliau d'Hippocrate , 
dont la fcenc eft a Rome. Mais avec 
cetrc fagon de raifonner; les Anglais 
pourront revendiquer Cleveland, 8c 
les Efpagnols , Gilblas •, Zaire fera 
due aux Arabefr,- Alzire aux Peru- 
viens. 

Ce qui m'etonne encore plus , c'eil 
delire que quand un Fabliau refpirera 
l'amour pur & la loyaute , quand 
les fentimens en feronr peints avec 
naivete & candeur, il fera traduic 
du Provencal. Ainfi , «t entendre 
l'Auteur , il ne pouvait y avoir dans 



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72 Observations 
toutes nos Provinces feptentrionales 
hi loyaute ni amour pur , ni nai- 
vete, ni candeur: toutes ces vertus 
appartenaient exclufivement au midi 
de la Loire. Mais ou a-t-il done vu 
dans les Conres & dans les chan- 
fons amourcufes des Troubadours, 
ces fentimens fi naifs , fi loyaux: & 
fi purs y qu'il leur prete ? Quant a 
moi , je ne leur connais que deux 
Contes qu on puiffe vraiment ap- 
peller de ce nom \ 8c je Tai dit ail- 
leurs. Dans le premier, un Che- 
valier met le feu au chateau dc fa 
Maitreffe , afin de lui procurer la 
facilite de s'evader & de fe trouver 
k un rendez-vous. Dans le fecond , 
une femme, pour fe venger dun 
mari jaloiix , lui fait une infidelite> 
& Toblige encore a demander par- 
don. A dire le vrai , je ne vois dans 
tout ceci ni amour bien pur , ni 
fentimens bien loyaux. 
- Les chanfons 8c les autrcs Poefies 

des 



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$ur zes Troubadours. 7$ 
dts Troubadours en offrent-ils da- 
vantage ? Leur Hiflorien nous lap- 
prendra. 

« H y eut fans doute s parmi nos ^ r% p * 
» preux Chevaliers & nos galans 
» Troubadours), dit-ii , qpelques 
» phenomenes d'amoUr epure , ou 
» Ion reconnaitra des mceurs exemp: 
» tes de tout reproche. Cependant 
» combien verrons - nous d'exem- 
» pies contraires ! un commerce de 
» galanterie entre les deux fexes , 
» dans ces terns de defordres effre- 
» nes , devait evidemment rendre 
» fort rare ce que Ton a fuppofefi 
» commun. » 

Le Le&eur remarquera que pour 
refuter les panegyriques outres que 
mes critiques ont fairs des Trouba- 
dours , il me fuffit ordinairement de 
titer le temoignage de leur hiftorien 
meme. Ceft encore ce temoignage 
que j'evoquerai fur ce qui concerne 
les pieces drartiaaques. 
Tome //, E 



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74 Observations 

J'avais avance que le theatre efl 
France a ete , non-feulement perfec- 
tionne dans les derniers terns par les 
Poetes de nos Provinces fcptenttiona- 
les , mais encore qu'il fut originaire- 
ment ouvert par eux. Au refte > je h'd- 
vais point fonde cette affertion fur les 
mots vagues de Com4Jie,dt Trag£. 
die, de Reprefentation , quon trouve 
chez les Iicrivains ancieits > expref- 
fions indeterminees > propres a in- 
quire en erreur , & avec lefquelles 
je ferais remorirer 3 s'il me plaifait, 
Torigine de noire theatre )uk[u'hl& 
feconde Race.' Je 1'ai prouvee pat 
de veri tables pieces dramatiqiies y 
tirees des manufcrits du tettis qije 
j'ai cites, Ori rna objecte ( &, ce 
quil faut bieri remarquer,' bouj&irs 
fans preiives ) y que nos vieiix Pontes 
dramatiques avaient copie les Trbu- 
badours : cat/ encore urie fols, 
on veut que ce foient les Trouba- 
dours qui aient ete nos maittes en 



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SUR LES TROUB ADOVRS. Jf 

four. Iicoutons a ce fujet leur Hif- 
torien. 

~ A en croire Noftradamus dc Pr. pi 
n une foulc d'Auteurs y ces Poeres lxuc% 
» connurent & pratiquerent Tart 
» dramatique. Sans doute lufage du 
» dialogue , fi commun parmi eux , 
» devait conduire en peu de terns 
» aux repr6fentations theatrales. 
» Ceft pcut - etre le fondement 
» d une opinion dont la fauffete pa- 
» rait demontree par leurs ouvrages 
» memes , ou Ton ne voir rien de 
*> relatif i cct objet. Quoi ! un objer 
» fi intereflant , qui devait fournir 
» matiere 4 tant d'allufions & def 
» remarques , ils Tauraient toujours 
•> perdu de vue , tandis qu ils par- 
» laient des moindres ufages de !a 
« fociere. Pourra-t-on le croire ? 

» Uart dramatique fut toujours 
» ignore des Troubadokrs , dit-il 
» aiUeurs. Environ <juatremille pie- x. /./• 
• ces> que nous avons raffemblees +* 3 * 
Ei 



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j6 Observations 
» d'eux, rappellent une infinite d'u- 
» fages de leur terns ; & aucune , 
» Tidee de tragedie & de comedie. 
» Quoi cependant de plus capable 
» d'interefler des Poetes, de leur 
» foUrnir des images ou des re- 
st* flexions \ Leur filence demontre 
» que le theatre n'exiftait point. » 
Mais continuons d'examiner les 
differens genres de merite quattri- 
buent aux Troubadours leurs pane- 
gyriftes. 

L'Auteur du Voyage leur en trouve 
un qui les eleve au^dejfiis de leurs ri- 
vaux \ & ce merite confifte dans les 
lumieres t[uils offrent> dit-il, fur 
l*6tat des perfonnes , dans des anec- 
dotes fur le cara&ere 8c fur la con£- 
duite privee des Princes & aucres 
perfonnages importans, dans cer- 
tains faits inconnus fur les Croifa-* 
des 3 enfin dans des details fur les 
gucrres particulieres de Seigneurs i 
Seigneurs , fur les Legats du Pape* 



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sun lbs Tro ubadours. 77 
fur le Clerge , les Moines , les an- 
cienncs Families &ccr ? « on trouve 
»> chez ces Pqetes , f felon lui , unc 
*> peinture vraie & naturellc des 
» mceurs; il y regpe une teinte dc 
*> Cbevalerie qui fait plaifir , & que 
» n'ont pas les ouvrages des Trou- 
»> veres. » 

Voite de grands elogesaflurement; 
& encore une fois , il eft malhcu- 
reux qu avec tant de titres pour 
reuifir , les Poefies provcngales aient 
plu neanmoins auffi peu. 

<« Les Fabliaux, ajoute TAuteur, 
>* ne prefentent aucuns de ces avan- 
» tages ni pour Thiftoire generate m 
» pour celle des families. » 

Ceci eft un reproche tres-formeL 
Mais peut-etre TAuteur ne Teut-il 
pas fait, s'il cut reflechi qu'il op- 
pofait a la fois, la colle&ion entiere 
des Poefies proven^ales «t une tres- 
petite partie des Poefies fran^aifesi 
& qu'exiger .des feuls Fabliaux au* 

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78 Observations 

tant de chofcs utiles quen peuvcnt 
fournir tous les ouvrages des Trou- 
badours pris enfemble , ce& par- 
confequent etrc injufte. Si au lieu 
de m'aftreindre uniquement aux 
Contes de nqs vieux Poetes , jeuffe 
voulu y comme TEdireur des Trou- 
badours , embraffer tout ce que les 
premiers'nous ont laifle > fans doutc 
j'eufie pu y ramaffer beaucoup de 
ces prctendues anecdotes , de ces 
£tits inconnus fur d'anciennes fa- 
milies , fur telle petite ville ou vil- 
lage , fur tel ou tel perfonnage obf- 
cur y fur la guetre que fit tel Sei- 
gneur k un autre Seigneur fon voi- 
fin ; mais qu'eufTent produit de pa- 
jreilles decouvertes ? De Tennui. 
Ceux qui ecrivent THilloire ajta- 
chent foutfent trop d'importance i 
routes ces minuties qu'ils prennent 
£. tort pour leurs vrais materiaux, 
& qui n'intereffent gueres que les 
pcrfonncs qui y retropvent le nom 



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sun les TrOi/badours. 79 
de leurs ancetres. UHiftoire vie de 
grajids tableaux, comrac la Poefic 
vit d 'images ; les petirs details fa re- 
froidiiTent & la tuent > & peut-etre 
cft-ce a cette caufe principalement 
qifil faut attribuer le peu de fucces 
qu'ont obtenu jufquici la plupart 
de nos Hiftoires particulieres de 
Provinces. 

Ce n'eft pas pourtant que l'Hif- 
toire exclue tous les details. II en eft 
d'importans qu elle admet. Tels fdht 
fpcialement .ceux qui peignent & la 
Nation les mceurs de fes ancetres - y 
ceux qui, apres avoir expofe fur la 
fcen^ un grand perfonnage , le re- 
prefenrent dans fa vie privee , 8c 
font reiTortir fon cara&ere; ceux 
enfin qui font d'un genre a inte- 
reffcr egalement tous les L^dreurs : 
car tel eft le grand art , Tart feci-et 
de THiftorien. Veut-il etre lu ? II 
doit alors , ft je ne me trompe , 
ccrirc , non pour fa Province , non. 
E 4 



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80 Observations 
meme pour fa Nation feule , mafs 
pour tous les peuplcs qui font cul- 
tives & qui lifent. 

Au nombre de ccs chofcs faitcs 
pour etre admifcs par lui , on peut' 
compter fans doutc tout ce qui re- 
garde la Chevalerie : inflitution ro- 
manefque , qui pendant plufieurs 
fiecles , influa fi univerfellement en 
Europe fur Tart Militaire , fur les 
moeurs de la Nobleffe , & meme 
fur les Gouvernemens. Mais pour la 
bien connaitre , il faut , quoiqu'en 
dife TAuteur du Voyage , avoir lu 
nos vieux Poetes fran$aisa c'eft-a-dire, 
nos Romanciers. Lk fe trouveranon- 
feulement une teinu de Chevalerie \ 
mais la Chevalerie toute entiere , 
avec fa prodigalite , fa grandeur 
d'ame, fon audace indocile, fon 
avidite d'exploits ; en un mot avec 
tous fes defauts & fes vertus. Jofe 
meme affurei? , fans crainte d'etre 
contredit, que fi nous etions re* 



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bur les Troubadours. 9t 
duits , pour la connaxtre , aux feules 
lumieres que peuvent nous fournir 
nos Hiftoriens anciens , nous n'en 
aurions aujourd'hui que des notions 
tres-imparfaite$. Encore, une fois, 
c'eft dans nos Romans que refidc 
le veritable efprit de la Chevalerk. 
Aufli voyons-nous tous ceux qui 
ont ecrit fur cette matiere , Mene- 
trier, la Colombiere , Saintc-Palaye 
Sec , les citer a chaque page. 

Plufieurs de nos Fabliaux offrent 
le raemc genre d'utilite > parce que 
plufieurs roulent uniquement fur 
des aventures de Chevaliers. Mais 
fi Ton defire , felon Texpreffion de 
FAuteur , une peimure vraie & na- 
turelle des moeurs ? out la trouvera- 
t-on mieux que chez nos Fabliers ? 
En effet , un Conte n'etant ordi- 
nairement que le reck d'une adtion 
bourgeoife,il eftaife de concevoir 
que ce recit doit contenir mille de- 
tails concernant la vie privee de 

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2i Observations 
nos Peres. Qu'o'n me cite xm feul 
ouvrage du terns oil les moeurs dc 
tous les etats foientreprefentees avec 
autant de verite , d'agrement 8c d e- 
tendue que dans les Fabliaux. Si le 
recueil que j'ai donne a eprouve 
quelque fucces , je conviens avec 
franchifc que je le dois en grande 
partie k ce merite > & aux notes 
qu'il a occafionnees, C'eft-li au 
moins ce qu'en ont approuve les 
Journalises , les Gens-dp-Lettres 8c 
mes critiques eux^nemes. 

II eft vrai que nos Fabliers nc 
contiennent rien fur les anciewui 
Families y fur les Ligats &c. Ce x 
n'eft point liordinairement ce quon 
s'attcnd k trouver chez des faifeurs 
de Contes -, 8c apres tout des Con^ 
teurs peuvent plaire fans cela. Mai$ 
les notres, au milieu de tous leurs 
defauts , ofFriront de la variete a 
fouvent de Tinteret , & fur-tout unq 
fccondite dlmagination 8c une gaieta 



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sur lbs Troubadours. 8j 
que je vois avcc d'autant plus dc . 
furprife manquer chez les Trouba- 
dours , quon attribue ordinaire- 
ment cette double qualite au climat 
qui donna naiffance i ces derniers. 
Cette xemarque nous conduit i la 
derniere objection de M. l'Abbc 
de F . . . . ; & elle y repond davance. 
<< Je demande a TAuteur , me dit- 
»» il, s'il ne penfe pas que des hom- 
»> mes ncs fous un climat enchan- 
» teur y aSe&esfans cejfe par les ob- 
•> jets Us plus agriabks , d'une ima- 
» gination vive , brillantc , & d'une 
99 finfibilitt profonde , parlant un 
*> idiorae doux , flexible , fonore % 
*» cadence , abondant en augmen- 
** tatifs & en diminutifs ; je de- 
w mande, dis-je, & TAuteur s'ilne 
•> penfe pas que ces hommes foient 
« fairs pour exceller dans la Poefie. 
» Ne font-ce pas la precifement les 
* memes avantages quavaient les 
v Grecs & les Roraain$ , qui nous 
E 6 



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84 Observations 
w ont donne des chefs-d'oeuvre en 
9* ce genre ? Et quelle ell cette aveu- 
» gle temerite ( je tranche le mot ) 
» d'ofer mettre en parallele des 
» Poetes feptentrionaux , cux qui 
» dans un cllmat glaci y au milieu des 
>» brouillards , ne voy ant qu'une nature 
*> trifle & dicolore'e pendant plus de 
9» fix mois de Vanne'e , avaient des or- 
» ganes e'pais y engourdis qui fe refits 
» faient aux douces emotions ; par* 
» laient une langue informe , bar- 
» bare , lourde , monotone , rem- 
» plie d'e muets qui font encore 
» aujourd'hui la partie honteufe dc 
» notrc Poefie quoique tres-culri- 
» vee , avec des prononciations na- 
>» fales qui provoqucnt involontai- 
« rement le rire des etrangers quand 
w ils entendent parler pour la pre- 
» miere fois des Franjais. Bicn plus > 
*> il ne ferait pas impoffible , id 
*> difficile meme , dc prouver que 
«» de toutes les Ungues exiftantcs* 



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Bun LE8 Troubadours. 8f 
9* la langue fran^aife eft peut-etre la 
9» plus rebelle k la Poefie ». 

Demelons ces differentcs incul- 
pations , un pcu confufes , & repon- 
dons-y avee mcthode. 

Si M. TAbbe dc F . . . . a vu rirc 
des etrangers , lorfquc leurs orcilles 
ont erttendu pour la premiere fois 
la langue fran^aifc > il a du etre 
etonne \ parce qu enfin il doit fa- 
vour , commc moi , que cette langue 
non-feulcmcnt fc parle dans toutes 
les Cours & fur prefquc tous les 
theatres de TEuropc , mais encore 
que chez les etrangers diftinguis , 
elle fait une partie de Teducation. 
Mais moi de mon cote je fuis etonn£ 
de le voir 3 lorfquil ne s'agit que 
des deux Romanes anciennes in- 
fulter fans motif k notre fran^ais 
moderne > a Fidiftme dans lequel 11 
ecrit lui-m&ne. 

II ne tiendrait qu'i moi , s'il m'en 
$renait envie , do refute* par des 



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%6 O B SE RVAT 1 N S 

fairs toutes les denominations m£- 
prifantes que M. TAbbe de F . . . . 
& l'Auteur du Voyage Litteraire , 
donnent a notre Romane fran^aife. 
Je pourrais alleguer en faveur dc 
cette langue l'eftime qu'en faifaient 
les Anglais , qui envoyaienr elever 
leurs enfans chez nous pour fe de- 
rouiller de la barbarie de la leur. 
Apud Ducern Neuftriz educatur , to 
quod apud nobilijjimos Anglos ufus 
teneat filios fuos apud Gallos nutriri , 
ob ufum armorum & linguae nativa 
'Gcrv. barbaricm tollendam \ Je pourrais cir 
iJp£* a ter le temoignage de Titalien Bru- 
netto Latini , qui voulant publier 
fon tre'for , prefera de Tecrire en 
fran$ais •, parce que la parlure , felon 
fon expreffion , en etait plus dilita* 
He & commune a tous langaiges \ e'eft- 
£-dire , parce qu'il la trouvait plus 
douce, & quelle fe parlait che* 
Cqus les peuples. II me ferait aife 
$e rapporter , k h fuite de ces aur 



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sum £E9 Troubadours, ty 
torites, lepithete defavorable dV- 
trangt que Petrarque donne a tt- 
diome dcs Troubadours ; mais je 
fuis de bonne foi > je ne fais point 
parler contre ma penfee > & je con- 
viens avec franchife que notre Ian- 
gue y & peine formee , encore bar- 
bare , fans profodie & fans prin- 
cipes, etait bien inferieure & la Pro- 
rtngale , quoiqu'elle f ut bien autre r 
ment repandue qu elle. 

Moi-meme jai avoue le meritc 
de celle-ci > j ai meme fait fentir 
combien elle donnait d'avantage 4 
fes Poetes fur les notre s. Aufli ne 
font-ce pas les deux idiomes que 
j'ai compares , mais les productions 
des deux peuples : car pour qu'up 
Muficien fe faffe une * reputation , 
il ne lui fuifit pas d'avoir le meil- 
leur des inflrumens ; il faut encore 
qu'il fache le toucher. Plus celui 
qu'avaient a manier nos Trouveurs 
ctait ingrat > & plus leur gloire e(l 



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88 O B8EKVAT 1 ON 9 

grande d'avoir neanmoins reufll £ 
nous plaire. Leur languc , dabord 
informe , s'eft perfedfcionnee avec lc 
terns. Apre & fourdc £ la fois au 
xn e & au xin c ficcle , fimplc & 
naive au xv e & au xvi c , elle eft 
devenue au xvn e pure , dlegante , 
& la plus claire de toutes ; mais elle 
eft toujours reftee faible. Elle n'a 
ni la pompe majeftueufe~ de FEfpa- 
gnol , ni la force energique de TAn- 
glais , ni la douceur , laccent , la 
flexibility de lltalien ; & cependant 
fes licrivains Font rendue la plus 
cilebrc & la premiere des tongues 
modernes. En voyant ce qu'elle etait 
au terns de nos Fabliers , qui jamais 
cut prevu ce quelle devait etre un 
jour ! 

Le fort qu'a obtenu la Proven- 
$ale me parait prefquc eritierement 
oppofe. Accueilfie des fa naiffance 
par lltalie & 1'Efpagne, elle fe voit 
appellee en qiielque forte k une def- 



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sua z2s Trowxadouxs. 8j 
tinee brillante. Mais bientot tout 
change. A peine les deux Nations 
qui lavaient adoptee ont-elles a leur 
tour produit des Pontes , que tout- 
i-coup la m£diocrite des fiens lui 
fait perdre fa renommee. EUe tombe 
dans Tobfcurite & dans Toubli, & 
neft plus qlie le patois dun can- 
ton particulier , dans lequel la Ro- 
mane fra^aife , plus Jieureufe , 
vient par la fuite s'etablir avec eclat 
& dominer commd fouveraine. 

II en eft tout autrement encore 
de la fortune dont a joui la langue 
italienne. Pareille k THercule dc la 
Fable y cette derniere a eu , prefque 
en naiffant, la gloire d'etouffcr fcs 
deux rivales. Au refte, plufieurs 
circonftances heureufes Jui avaient 
prepare ce triomphe. Lltalic au 
xiii c fiecle etait devcnue le centre 
du luxe Sc des richeffes dfc TOcci- 
dent. Un fol fertile , un commerce 
immenfe, le fejour des Papes , tout 



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<k> Observations 
avait contribue a Teiuichir , jufqu'i 
ces Croifades memes qui avaient ap-r 
pauvri le refle de TEurope. Par fes 
rrefors 8c fes flottes y elle s'etait ren~ 
due la reine de$ mers. Dans fon 
fein floriiTaient plufieurs Republic 
ques puifTantes , qui au-dehors pof- 
fedaient des empires & pouvaient 
declarer la guerre a des Souverains. 
La.langue* comme il arrive tou- 
jours , avait fuivi les progres d'une 
profperite fi brillante^ Deja elle avait 
aquis une certaine perfe&ion , & 
touchait prefque a Tepoque qui allait 
la fixer , quand elle vit naitre fes 
premiers Poeces. Ajnfi tandis que 
rips vieux Rimeurs franjais ne nous 
offrent quune langue qui ne s'en- 
tend plus , un ftile qui ne peut fe 
lire , des compofirions pleines d'ef- 
prit 8c d'imagination , m^is qu on 
n'ofe prefenter qu'en extraits ou 
traduits; non-feulement fltalie en- 
tend les ficnsy non-feulement elle 



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sun lbs Troubadours. $% 
peuj: les citer en original ,,, mais 
elle trfluve encore quelque plaifir k 
les lire. 

Tel eft , puifqu'il iaut etre vrai 
en rout > le defavantage qu ont nos 
Poetes anciens. Ce defavantage au 
refie , je n'ai garde de lattribuer , 

commc le veut M. 1'Abbe dc F 

a un climat moins propice : car , 
quoiqu il en dife , je ne crois pas 
quau nord de la Loire , le climat 
foit glace; qu'on xiy naife quau mi- 
lieu des brouillards , & avec des or* 
ganes e'pais & engourdis. Ccs trifles 
couleurs avec lefquelles on nous 
pcint ordinairemcnt le ciel dc Si- 
berie ou celui du Groenland , nc 
font point celles qui conviennent au 
ciel de Paris & d'Orleans. 

Mais apr£s tout , y fut-il encore 
plus rigoureux , je ne le croirais pas 
pour cela mauditdes Mufes. Non, 
ce n'eft point y je le repete , la tempe- 
rature Jkvorable dc tel ou tel climat 



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€)2 O B S E R V A T 2 N8 

qui fait que les hommes y excellent 
dans la Foe'fie ; ce n'eft point cet 
avantagc d'une latitude plus meri- 
dionale qui nous a procure les chefs- 
d'oeuvre des Grecs & des Romains. 
Si ce raifonnement etait vrai, il 
s'enfuivrait que les contrees favo- 
rifees davantage du foleil feraient 
celles qui produiraient feules les 
grands Ecrivains. Mais ce n'eft pas 
tout:comme ce principe createur 
y opercrait toujour&egalement, elles 
devraient toujours produire fans in- 
terruption des genies nouvcaux. Or 
Ion fait combien Texperience de- 
ment une pareille theorie. Qu'eft 
devenue cette Grece , la mere dc 
tant de grands hommes, cette Grece 
dont les Merits & les monumens ont 
itt pour toutes les Nations pofte- 
ricures le premier modele du beau ? 
D'un autre cote fi le climat de 
Rome & celui d'Athencs ont en- 
fente des imaginations vives % bril- 



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SVR LES TROVBADOpRS. $$ 

iantes , <?unt fenfibilite prbfondi , les 
contrees plus firoidcs , les cllmats 
glacts eux-memes * pour emprunter 
i'exprdfion de M. l'Abbe dc F.... , 
ne peuvent-ils' pas fe vantej: d'cn 
avoir enfantees auffi ? Qui ne con- 
nait les Poefies galliques 8c celles 
des Scandinaves ? Qui ne fait que 
lcslflandais naiflent Poetes , & meme 
improvifateurs * L'Angleterre enfin, 
an [tin des brouillards y ne compte- 
t-elle pas feule , depuis un fiecle & 
demi, plus de Poetes que toute 1*1- 
talic enfemble ? Et s*il faut chercher 
des exemples plus recules , Pindare 
ne naquit-il pas dans cettc Beotie , 
dont Fair epais etait devenu chez 
les Grecs & chez les Latins le fy- 
nonime de la ftupidit6. 

Certainement il n eft point de na- 
tion fur la terre quipuiffe fe vanter 
davoir plus d'efpric que les Gas- 
cons. Tous les livres font pleins de 
kurs reparties , dc leurs faiUics > de. 



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54 Observations 
leurs bons mots. D'aprcs ce prejug£, 
fi favorable en leur faveur , je m'at- 
tends qu'ils auront fourni feuls au 
theatre , a la Poefie , a la Littera- 
ture fran5aife , plq$ dauteurs ce- 
lebres que tout le refte du Royaunac 
cnfemble. En confequence , je cher- 
che leurs noms dans la Kite de nos 
Ecrivains fameux \ & j'y trouve deux 
Philofophes > Montefquieux & Mon« 
taigne. U parait que les Gafcons ont 
re£u leur efprit en monnaie. Apres 
tout, c'eft celui qui plait dans la 
fociete ; ils n'ont point k fe plaindrc 
de leur partage. 

Dc tout ceci Ton peut conclure » 
ce me femble , que la Nature , dans 
ladiftribution qu'elle fait du genie 
parait n'avoir aucun egard k la tem- 
perature des climats, Mais ce genie 
clle ne Taccorde pourtant pas k tous. 
II eft dcs pays au nord & au midi 
quelle femble avoir egalement dif T 
grades pour jamais. En vain Fpn a 



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§1/ k les Troubadours. $f 
Cherche jufqu a prefent a decouvri* 
les principes fecrcts de * ces aver- 
fions & de ces predilections , fi eton- 
nanres en apparence. On ny a point 
reuffi; & fur ce point , le fecr£t dc 
la Nature eft encore inconnu. 

On n'a point de raifons plus fa- 
tisfaifantes k donner fur ces quatrc 
fiecles fameux d' Alexandre, d'Atf- 
gufte , de Leon X , & de Louis XIV ; 
fur cc phenomenc fingulier qui tout- 
a-coup , a quarre epoques differcntes 
& affez eloignecs,. a fait paraitrc 
fucceflivementchez trois differentes 
Nations , plus de grand? homraes 
en tout genre que n en a produits 
peut-etre le refte de l'univcrs en- 
fcmble. Ce qu on peut conje&tutfr 
fur tous ces fairs inexplifttbles > e'ejj 
que pour faire^eclore & pour per- 
fedfcionner chez un pcuple les talens 
du genie , il faur plufieurs caufes , 
tant phyfiques que morales ; com? 
binecs enfemble > 8c que da^s cc. 



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$6 Ob SER^AT ION Jf 

nombre 1c climat eft pcut*etre une 
des moins neceflaires. 
- SidanslesprodudHonsderefprit& 
dcs arts il y avait quelque partie fur la- 
quelle on put foup^onner le fol &le 
ciel d'avoir une certaine influence * 
ce ferait particulierement le gout. 
Au moins Ton ne connait jufqu'ici 
que trois Nations qui jen aient eu ; 
& ces Nations font cclles qui ont 
produit les quatre fiecles celebres 
dont je viens de parler. 

Un de mes critiques m'a repro- 
che xie ne voir de tdUns en France 
que dans nos Provinces feptentrionales m 
Je ne me rappeUe point d'avoir 
avance une propofitipn auffi exclu- 
five, qui me convaincrait d'igno- 
ranee , outfde mauvaife foi. J'ai die, 
ileft vrai , que la Nature femblaic 
avoir deparci sp&cialement au nord 
de la Lotrt les dons e'tninens de Vef T 
frit. Or cette aflertion , je la repete. 
£n cflfet,4iommez les Conquerans 

qui 



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st*X us TROUBiDOi/ks. 97 
qu*£ eus la France , lcs trois Minif- 
tres dont clle s'honore, fes Offi- 
cicrs de mer fameux, fes grandsr 
Generaux &c. : & vous verrez que 
Charlemagne , Guillaume-le-Batard , 
les freres d'Hauteville; Godefroi de 
Bouillon ', que Sulli , Richelieu , 
Colbert ; que Bart , Tourville , du 
Quefne , Dugue-Trouin ; enfin que 
Conde , Turenne , du Guefclin , 
Catinat , Henri de Rohan , Bunois , 
Vendome > Luxembourg & Eugene 
lui -mcme , ( s*il eft permis de compu- 
ter au nombre des Heros de la France 
cclui qui Thumilia ) , appaftiennent 
tous a la partie feptentrionale de 
nos Provinces. Demandez qui pofa 
cette digue fameufe par laquelle fiit 
foumife la Rochelle ; qui eleva cette 
colonnade du Louvre , Tun des 
plus beaux monumens du Royau- 
me : demandez quels font les trois 
peintres celebres que la France 
nomme a la tcte des fiens •, & Ton 
Tome II. F 



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9$ OnsnxvAiiONS 
vous repondra que Metezeau , que 
Pcrrault , que le Brun 5 le Sueur 
& Je Pouifin , durent de meme leur 
naiflance aux Provinces de nos 
Trouveurs. 

Je borne 1£ mes exemples , quoi- 
qu il me fut ^ife de les multiplier, 
Je remarquerai feulement que le 
fait fur lequel ils font fondes n'eii 
point l'effet du hafard > ainfi qu'on 
pourrait le croire. II parait t£nir a 
un autre fait qu on ne peut contefter m y 
c eft la difference extreme qui fub- 
fifte entre les divers cantons du 
Royaume , non- feulement au phyfi- 
que , mais encore au moral. 

Pour $ y en convaincre , il fuffit de 
comparer enfemble quelques-unes 
4es Provinces * qui font contigucs 
entr'elles ; l'habitant de TAuvergne , 
par exemple,avec Thabitant du Lyon- 
nais; celui de TOrleanais & celui 
du Berry ; le Perigourdin & le Gaf- 
con j le Languedocien & le Pro- 



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sur Lis Troubadours. 99 
venial ; le Lorrain , le Bourguignon 
& le Champenois ; le Picard enfin, 
& le Normand ; le Normand & It 
Breton ; le Breton & le Manceau. 
II regne & la verite dans ces Pro 
vinces, comme dans les autres , une 
teinre generate de cara<£ere , qui 
rapproche tous leurs habirans, & 
qui les rend tous Francais j mais auffi 
quelle variete de nuances dnrr'elles. 
Tous ces differens proverbes & die- 
tons nationaux , auxquels la . mali- 
gnite a donne nai/Tance , Air les qua- 
lites & les defauts qu'on attribue k 
chacune d'elles , ne prouvent-ils 
pas que chacune a fon cachet par- 
ticulier , fon genre d'efprit Sc de ca- 
ra&ere qui la diflingue. 

Cette variete bifarre Sc inexpli- - 
cable, vous la. remarquerez dans 
tout •, dans les chofes memes , telles 
que les alimens , les jeux , les ufa- 
ges •, ou neceffairement les fujets 
d'un meme maitre devraient fe rap- 



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tOO O B SEJLVAT 10K 3 • 

prochcfi. Vous la remarquerez juf- 
qucs dans les profeflions aiycquelles 
fe confacrent par choix ccux de la 
claffe du peuple qui quittent leur 
Province pour trouver a vivre aik 
leurs (*). 

Enfin la fertilite h'eft point la 
meme dans les divers cantons dc la 
France *, Ton en conviendra. Ceux 
memes qui font egalement fertiles 
ne rapportent pas les memes fruits ; 
e'eft encore liun fait qu on nefau* 
rait nier. Mais, la Nature qui a tel- 
lement diverfifie fes produ&ions far 
un fi petit efpace, ne peut-elle done 



(*) Pourquoi par exemple les Auver- 
gnats £e font-ils de presence chaudron- 
niers 5 les Normands , paveurs > les bas- 
Bretons , valets d'e'eurie > les Gafcons 9 
barbiers & fraters ; les Limoufins , ma- 
sons & tailleurs de pierre j les Languc- 
dociens & les Bafques , cordonniers &c* 
&c,2 



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sun les Trovbadoves. ioi 
|>ad avoir diverfifie egalcment les 
efprits ? Et quand on voit unc fi 
grande difference entre les vins de 
Bordeaux ou de Champagne, & 
ceux de Bourgogne ou de Rouffil-* 
Ion , doit-on s'etonner que le Bour- 
guignon , le Champenois , le Gaf- 
con & le RouHillonnais puiflent 
differer en talens. 

Plus je reflechis fur le partage de 
ces talens , plus je crois voir qti'il 
a ere fait d'une manierc inegale. I! 
me femble au moins que dans la 
plupart des arts & des fciences, 
ceux des Fran^ais qui font epoque, 
ceux qui, les precaiers , les ont 
poufTes k un degre de perfection ^ 
inconnu avant eux, font les com- 
patrxores des Trouveurs. 

Qui a renouvelle la Philofophic- 
en Europe? Defcartes. Qui a fait 
naitre chez nous le gout des Mathe- 
matiques ? Fontenelle j le gout de 
ftfiftoiip Naturellef 4>hiche s celui 

F3 

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10.1 OBSERVATIONS 

de la Phyfique experjmentale } Po* 
liniere &: Noller. Qui 'a cree PArt 
des Jardins ? Le Notre &*Dufrefny. 
Qui le premier a porre k un certain 
point de perfe&ion TArtillerie ? Jean 
d'Eftrees ; la Fortification ? Vauban ; 
la Geographie ? Samfon; la Chymie? 
Lemery ;.la Tragedie ? Corneille ;la 
Comedie? Molierc, l'Opera? Qui : 
naut ; le Roman ? la Fayette *, la De- 
clamation ? Baron, Le premier bon 
Predicateur , le premier bon Avo- 
cat y le premier Pob'te , le premier 
Moralifte enfin qui y pour me 
fervir des termes de Voltaire , ait 
contribue a donner a la Nation un ef- 
prit dt pre'cifion & de juftejje , qui ait 
accoutume a penfir & a renfirmer fes 
penfe'es ^Lans un tour vif& dellcai , n$ 
font-ce pas Bourdaloue (*) , Patru , 

(*) Les perfonnes qui m'ont critique* , 
ont compte' lcs Ecrivains du Berry parmi 
ccux ^u'elles rcveadiquaient pour aos Pro* 



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sir* les Troubadours, ioj 
Malherbe , k Rochefoucaut ? Peut- 
on cirer un navigateur qui ait fait 
dans le nouveau mondc des decou- 
vertes & des etabliiTemens avant 
Carrier? Un negociant qui ait ea 
au-dehors , avant Jacques Coeur , 
uh commerce un peu etendu? 

Defceridez aux Arts mech^niques; 
vous aurez k faire les mcmes re- 
marques. Vous trouverez pour l'hor- 
logerie Jul. le Roi ; pour Forfevrerie 
Germain. Vous verrez que c'eft k 
Mellan quon doit lartde graver 
dun feul trait une figure yk Gara- 
mond que font dus ces beaux ca- 
rafteres d'lmprimerie qu'on n'eft 
point encore parvenu k furpaifer; 
k Gobelin , cette teinture en £car» 

-^- *— p— y*—,. , . . 

vinccs mdridionales. Elks fe trompent, 
ie Berry parlait la langue francaife , & 
non le Proven^aL Parmi les Troubadours, 
U n'y en a pas un feul $ui foit de; CW9 
Province, 



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1o4 Observations 
late fi eftimee > aux deux Grain- 
dorge , Tinvention de damaffer les 
toiles y &c. 

En Litterature , cherchez-vous les 
Ecrivains qui meritent d'etre cites 
comme modeles ? Vous les ren- 
contrerez dans la mcmc partie du 
Royaume. 

En effet, les Provinces meridio- 
liales ont-elles des lettres qu'on 
puifle comparer aux lettres de Se- 
vigne? Des oraifons fiinebres auffi 
eloquentes que celles de Boffuet ? 
Des Romans qui valent ceux de 
le Sage & de Prevot ? Une Hif- 
toire Naturelle quon ofe nom- 
mer avec Buffon ? Une critique ba- 
dine auili ingenieufe que celle de 
r *Chef Saint -Hiacinthe *? Nos cxcellens 
d*™ln- Ecrivains en Hiftoire , Vertot , Bof 
fonau. fuet> Bougeant , Voltaire , d'Or- 
leans , de Thou , TAuteur des dif- 
tours Jur VHiftoire EccUfiafiique^ celui 
des eloges des Academiciens > nc.font* 



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sur les Troubadours, iqc 
ils pas tous nes dans les Provinces 
feptentrionales ? Enfin fi quelqu'un 
avoir aflez peu de gout pour atta- 
chcr quelque merite au burlefque , 
ne pourrais-je pas lui citcr Rabe- 
lais , Scarron & Vade ? 

Mes Adverfaires ont bien fenti 
quelle preponderance tous ces faits 
donnaient «L ma caufe, puifqueux 
memes y ont cherche d'avance des 
reponfes. Si les grands Ecrivains 
font plus rares dans les Provinces 
mfridionales , a dit Tun deux, c'eft 
tyielles font plus eioign/es du vieux 
Louvre & du College de Louis-le- 
Grand. 

H n'eft point douteux que le fe- 
jour de la Capitale ne procure aux 
Ecrivains & aux Artiftes qu'elle ren- 
ferme , un avantage reel fur les Ecri- 
vains & les Artiftes des Provinces. 
Mais cet avantage en quoi confifte- 
t-il? En plus ou moins de gout. 
S'ils ont du genie , Paris le perfect 



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rod Observations 
tionnera en eux •, mais s'ils n'en ont 
pas , ni Paris > ni la Cour ne pour- 
ront leur en donner. Cette ville 
elle-meme , malgre les fecours nom- 
breux qu'elle offre en tout genre 
au talent > n'a produit neannioins 
que tres-peu dauteurs celebres , re- 
lativement a la multitude immenfc 
de ks habitans. 

Ces fecours , au refte , elle ne le$ 
referve pas feulement k ceux qu elle 
a vus naitre : tout Fran^ais eft admis 
egalement a en jouir. Quiconque fe 
ctoit du talent & fe fent de lam- 
bition , peut accourir dans fes murs. 
Lk il cultivera les difpofitions que 
lui a donnees la Nature ; il fe for- 
mera le gout , & compofera. Cet 
avantage eft egal pour tous les 
habitans du Royaume > pour le 
Provencal comme pour le Breton > 
poui* le Limoufin comme pour 
le Normand. Corneille vient de 
Rouen a Paris, Boffuet y vient d« 



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$VK LBS I ROUBADOURS. 10J 

Dijon ; ils n'ont fur Flechier qui s'y 
rend d' Avignon , fur Campiflron qui 
arrive de Touloufe, dautre avan- 
tage que la difference de talens 
qu'ils ont re$us len naiffant. La Ca- 
pitale n*ert pour eux que Tecole oi\ 
ils les perfe&ionnent * la lice oA ils 
les deploient* 

J'avais avance que tous nos grands 
Poetes font ncs au nord de la Loire. 
Un critique a repondu a cette affer- 
tion que fi les Poetes ont ete plus 
rares dans les Provinces meridiona- 
les , ceft que la Poefie n y eft pas 
affez conflderee. 

Ce raifonncment n eft pas. plus 
folide que le precedent. II ne s'agit 
point de favoir fi la Poefie eft en 
honneur dans le midi de la France, 
ni meme fi elle y eft cultivee •, mais 
/il en eft forti des Poetes. C^rtair 
"rieraent on ne Jsuk pas plus de cas 
des vers a Chateau-Thierri , k laFerte- 
Milon, qu a Bordeaux & 4 Marfeillc; 



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io8 Obsekvat ions 
La Ferte-Milon cependant nous a* 
donni Racine ; & Chateau-Thierri , 
la Fontaine. ♦ 

D'ailleurs ne fait-on pas que quand 
la Nature accorde aquelqu un qu'ellc 
favorife un talent reel , elle lui donrie 
en meme terns cette impulfion irre- 
fiftible qui , malgre tous les obfta- 
cles, le ramene bientot k fa voca- 
tion primitive , & le force de s'y li- 
vrer : Temoin Crebillon , deftine 
par fes parens k etre Greffier-, Boi- 
leau, & quelque emploi de robe fu- 
balterne; Moliere, a etre tapiflier 
du Roij temoins Catinat Sc Cor- 
neille, avocats, l'Auteur de la co- 
lonnade du Louvre 3 medecin &c. 
&c. Certainement fi les Provinces 
meridionales avaient enfente des te- 
res poetiques, elles compteraient 
aujourd'hui des Poetes parmi leurs 
grands hommes ; mais foyons vrais, 
ce n eft pas U une produ&ion de 
leur fol. 

Cettc 



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&vx*les TROVBADOxrns. 109 
Cette derniere affertion va revol- 
ter, je le fens bien j ellc eft propre 
a me fufciter des haines. Mon iiir 
tenrion pourtant n'eft point d'of- 
fcnfer. Je difcute feulement des pre- 
tentions, j'expofe des falts; & en 
les expofam > je declare avant tout 
que je ne fais nulle mention des 
Auteurs vivans. Loin d'attaquer 
ceux-ci , je reconnais au contraire 
qu'au moment 011 j'ecris , les Gens- 
de-Lettres qui honorent le plus no- 
tre Litterature , font les compatrio- 
tes des Troubadours, Moi-meme 
j'en connais plufieurs, recomman- 
dables par beaucoup d'efprit, de 
connaiffances & de merite; & qui, 
i ces qualites r joignent encore beau- 
coup de modeftie. 

Cependantilfaut cdnvenir qu'il re- 
gne parmi les habitans de ces contrees, 
& fur-tout parmi ceux des deux Pro- 
vinces qui font fituees £ ladroite & ala 
gauche de Temboucluire du Rhone , 
tome II. G 



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no Ob sb a Vat ion* 
une pretention un peu faftueufe. Ife 
croient recevoir , en naiffant , plus 
d'imagitiation que le refte des Fran- 
£ais. lis font perfuades , ( & le font 
de bonne foi ) , qu'un des attributs 
de leur climat eft l'imagination. II 
n'y a pas bien long-tems que dans 
le Journal de Paris , Tun d'entfeux 
parlait de t exaltation di fa tete me- 
ridionals Un de mcs critiques, cite 
plus haut , nc nous a-t-il pas peinr 
fes compatriotes comme doutfs dune 
fenfibilite profbnde , d'une imagination 
vive & brillante, Ce qu'il dit k ce 
fujet n'eft point Teffet de 1 amour- 
propre , puifque lui-meme n'eft point 
poete y non , il parle en homme qui 
annonce une verite reconnucj il la 
pofe en principe, comme un fait 
avere & qu on ne peut revoquer en 
doute. 

Pour moi, je vais en pofer un 
autre qui, je I'avoue 3 fera moins 
favorable aux tetes meridionales , k ce 



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StfR LES TrOZ/BADOURS* HI 

pays fi fecoitd en imagination : c'cfl: 
que non-feulement les deux Pro- 
vinces dont j'ai parte , mais memc 
toutes les Provinces troubadouref- 
ques enfemble , n'ont pas & citer un 
feul Poete du premier rang. Oui , 
je le repete, pas un feul; 8c ceci 
au refte n'eft point une exageration. 
En veut-on la preuve I Elk eft fa- 
cile y il ne s'agit que de nommer 
dans chaque genre les Auteurs les 
plus celebres, & cfaercher enfuite 
ceux que dans ce nombre elles peu- 
Vent revendiquer. 

Pour la Tragedie , Ton trouvera 
Corneille , Racine > Crebillon, Vol- 
taire: pour la Comedie , Moliere, 
Regnard , Deftouches , la Chauffee, 
Dufrefni , Dancour > Marivaux ; Y Au- 
teur de la Metromanie , celui de 
Nanine , celui du Mediant &c. : 
la Satire offrira Boileau , Regnier > 
VAuteur du Pauvre Diable & du 
«*# a Paris : 1'Ode , Rouffeau , 
G z 

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in Ob s zrva t io k s 
Malherbe :^ la Poefie •didadtique % 
Boileau : les Fables & les Contcs , 
la Fontaine : THeroide , Colardeau. : 
FOpcra , Quinaut , la Motre , Ber- 
nard , Fontenelle : rEpigramme , 
d'Aceilli , Rouffeau , Piron : la Poefie 
fugitive,, Chaulieu, Greffet, Cha- 
pelle, Deshoulieres , Dorat, Pavilion, 
Voltaire : la Poefie epique , Voltaire 
& Boileau , &c. &c. 

Mais e'eft affez d'exemples. Je 
laiffe au Ledeur'le plaifir dy fup- 
pleer pour les autres genres que je 
n'ai point nommes, & meme d'a- 
jouter > dans ceux quon a lus , les 
noms que jai pu omettre. 

Je m'abftiens auffi de tirer les dif- 
, ferentes confequences qui refultent 
de toutes mes obfervations. Quclles 
qu elles foient, je protefle , en finif- 
fant y que mon intention n'a ere 
d'offenfer perfonne, & que dans 
route cette queftion fi j'ai revele 
quelque verite peu agreable , jc n'ai 



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av* lss Troubadours, uj 
parle au moins que d'apres ma feule 
convi&ion intime , & fans aucun 
motif dc pafrialite. Eh ! que m'in- 
portc i moi encore une fois le mi- 
rite des Troubadours & celui de 
leurs neveux ! Quand meme les uns 
&: les autrcs feraient en Poefie bien 
au-deflbus de leur reputation , com" 
me fen fuis convaincu, & commc 
je crois Tavoir prouve , qu en re- 
fiilterait-il pour ma gloire ? 

Je me flatte que les Gens-de-Let- 
tres qu'intereffent ces reflexions dai- 
gneront les lire avec des yeux auffi 
indifferens que les miens ; & qu'ils 
ne croiront point leur merits per- 
fonnel detruit avec celui des Ri- 
meurs de leurs Provinces. Je n*i 
point Thinneur d'etre leur compa- 
triote ; mais reufle-je ete , je n en 
eufle pas moinfc publie, auffi impar^ 
tialement, tout ce qu'on vient de 
lire; & j'ofe meme aflurer que moa 
amour-propre n'eut point reclami 

G j 



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H4 Observations sur les Tr. 
uh feul inftant. Quoii parce que 
Dijon fe vante d'avoir produit Cre- 
billon, Rameau, BofTuet & Piron, 
je mc croirai humilie moi , d'etre 
ne dans une villc qui n'a donne i 
la Litterature que Voiture & Gref- 
fet! Non certes. Pardonnons aux 
gens fans merite de fe glorifier de 
celui de leurs ancStres. L'homme de 
Lettres ne connait ni ancetres ni 
patrie. Si la fienne n'a point enfante 
de perfonnages illuftres , e'eft k lui 
de rilluftrer y telle eft la gloire ou il 
doit pretendre : ou plutot il ne doit 
etre que Fran$ais , ne connaitre que 
fe gloire de la France , & n'etre ja- 
loux que de celle-la feule. 




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FABLIAUX 

OU CONTES 

DU XIP ET DU XIIP SIECLE. 

; ' ,i I' g 

LAI DE COURTOIS. 



ce Jt\ llons, allons , dcbout 5 c'eft 
» afTez dormi. II y a long-tems que 1c 
» roffignol chante , & il fait Jour j vdus 
» devriez d^ja etre aux champs avec vos 
» betes. — Eh quoi ! mon pere , tous les* 
r> jours me coucher tard & me lever matin 5 
90 parbleu , d c'eft-la la vie qu vous me 
» deftinez , elle eft aufli par trop dure. 
ip Je vous fers de mon ^ieux , & vous 
C 4 



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n6 Fabliaux 

» me traitcz en vrai ferf > tandis que 
» mon frere cadet vit pres de vous fens 
w rien faire , ou qu'il perd au Tre'merel 
n ce qu'avec bien des fueurs nous gagnons v 
r> tous les deux *>. 

Tel eft le dibut de cine piece originale , qui 
n'eft rien autre chofe 'que la parabole de V Enfant 
frodigue mife en action. Ten ai pen vues 
d'avfft mal icrites , (/ dont la narration fiti 
aujfi obfeure & avffi diffiife; mais elle a cela 
de Jlngulier qu'd I'exception de huit ou dix vers , 
tout s'y trouve ou en dialogue ou en monologue ; 
en un mot , c*eft une efpece de Drame , dans 
lequel cependant les diffirentes aclions fe fid- 
vent fans aueune interruption ni changement it 
fc\nc> Ainji le Prodigue , reduit au plus grand 
hat de pauvrete y forme la refoluxion de re- 
tourner che{ fon pere ; Cr dans le vers fuivant 
11 eft reprifente dfes genoux Cr \ui demandant 
pardon* Une autre fingulariti digne inattention 
eft un monologue que VAuteur a fait en vers 
Alexandrins , tandis que le re(le de la piece eft 
en vers de quatre puds, Je vais donner Vextraie 
de ce qui fuiu Cet exirait amenera quelques 
remarques importances que le fiijet me donnera 
lieu de faire fiur Vorigine du Theatre francais» 
'due » je penfe , d ce Fabliau* Elles firontfiiy 



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O U C O N T B S. 117 

vies de quelgues pieces curieufes que 'je croit 
inconnuts* 

Le pcrc defend fon fecond fils contre 

les reproches de l'aine\ Cct aind prdnd de 

Thumeur , il vcut s'en aller & demandc 

cc qui lui appartient. Lc pere lui donnc 

foixante (bus , qu'il accompagne de {ages 

tvis fur la maniere de fe conduire. L'c^ 

tourdi , e'bloui de cettc fomme qu'il croit 

ne devoir jamais finir , part fort cQntent. 

Dans fa route il emend crier , bon vin 

de Soijfons a fix dtnitrs It Lot *. UAu- * Mejvrt 

bergifte Tinvite a cntrcr j il lui fait dcs * e d ?** 

politeflcs & lui offre une chambre dans j^ rc " 

laquelle il trouvcra un bon lit fait a la 

franfaife , haut de paille & mou de 

plume , avcc un oreillcr parfum^ de 

violettes ; de Me&uairc & de l'eau rofc 

pour fc laver le vifage ; cnfin toutes les 

petites recherches qu'on peut defirer, 

Courtois entre. On lui donne a boirc. 

Enchante* de remprcfTement qu'on marque 

a le fervir, il s'applaudit d'avoir entre- 

pris dc voyager* & tout en fe moquant 

des avis circonfpects de fon pere , il 

trouve quilf ait-la mtillcur qua Viglife* 

Q 5 



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nS Fabliaux 

Un moment apres il eft accofte* par one 
fille de joie , nommee Perrette , qui lui 
prefentc la tafle d'argent pour boire 8c 
qui lui fait compliment fur fes beaux 
yeux & fur fes graces. " Que je me trou- 
,, verais heureufe , dit-eile, d'avoir fi bel 
„ ami ^ Je voudrais qu'ii n'eut rien a faire 
M & qu'on ne put trouver en France ni 
„ Due ni Comte auffi-bien mis que lui „. 
La-deflus arrive une autre droleiTe qui , 
feignant, quoique d'intelligence avec la 
premiere , de venir-la par hafard , s'en- 
tretient tout bas avec lui du mente de 
fa compagne , & le fclicite d'avoir ren- 
contre' pareille aventure. S'il ckerche uh 
cocur sur & fidele , c'cft-la fon fait , il 
lie faurait mieux trouver. Elles Pagacent. 
On boit enfemble , & meme on ne veut 
qu'une tafTe pour les trois. Les deuxco- 
quines lui avaient vu de f argent dans fa 
bourfe , & avaient complot^ avec 1'Au- 
bergifte de le lui d&ober : c*eft ce qu'elles 
font en propofant de jouer a la Merelle. 
pendant le jeu , la bourfe eft efcamotee , 
£c elles difparaiflent. I/Hotelier fe prefentc 
alors pour demander fon paicment. Cour- 



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O V C O N T E S. II9 

*0\s n'ayant plus rien a donner eft de- 
pouille' & abandonn£ ainfi far le grand 
chemin. Sans argent & fans reflburces , 
il fe rappelle , mais trop tard , les avis de 
fon pere , & fonge a ce frere qui nage 
dans l'abondance , tandis que lui il va man- 
quer de tout. Un Payfan touche* de fon 
£tat , lui propofe de garder fes pour- 
ceaux , & il fe trouve trop heureux de 
raccepter. Le pain dont il eft nourri , eft 

du pain d'orge , rempli de paille 

Le refit comme dans VEvangile. 



Dans la Bibliothcque du Theltre Frar^afs ; 
t. 1 > p* +, on trouve une piece de. ^Enfant Pro- 
.digue , femblable au Fabliau, 



U n'y a gueres que des conjectures i donner 
fir Vepoque bjur la veritable origine du Th&atrt 
«n France. On en attribue communiment la 
nriflanct d la devotion de quelgues particuliers 
S*i fitant reunis fous le nom de Confreres de 
la Paffion , commencerent , en 140* j d repre- 
Jtnter fur des treteaux , drejfes dans Far'u 4 

G * 



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no Fabliaux 

l*H6tel de la Triuite , des fijets dcpUti gu'otf 
appclla Miftercs. 

Iftift du Parfait x b Beauchamps "font remonter IV- 
"Re h V ^ * e notre Seine jufqu'aux Troubadours ; 

firltTh* & P arce 5" c t* s ^o'etts Provcngaux, ainfi que 
les Jongleurs , ont etc quelquefois appelUs Co- 
mics j par un abus de termts auffi reprehenfible 
jue Vignorance mime ils inferivent en tkt de 
leur Ufle dramatique ces Chanfonniers , tout-d- 
fait itrangers d notre Zittcrature francaife , C* 
encore plus d notre Litttrature dramatique. 

D'autres trompis parties mots de Comedies, 
Tragedies , Representations , qu*on rencontre 
dans des Ecrlvains anterieurs aux Troubadours ^ 
nous donnent un The'dtre dis la feconde Race* 

Iliacos intra muros peccatur , & extra* 

Les premiefes pieces dramatiques connues 6* 

Imprimies font , fans contredit^ les Miftcres. II 

y en a eu cependant de reprefenties dans Paris 

avant celles des Confreres de la Paflion. Unt 

«n m t ' vieille chronique en vers ** parlant de la fitt 

Jiiite du ?"* donna Philippe-le-Bcl en i j ij , tTVoccafion 

Rom, de de la Chevalerie conferee d fts enfahs , die que 

tauy.ma- y en & am l es quatre jours que durerentles rcjouif- 

R 4 6811. f ances » on eut dijjirens fpeftacles qui reprifen- 

taient Aim & Eve t Its trois Rois { It maJfacrA 



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O U C O N T I S. lit 
atcs Innoccns , N. S. riant arte fa Mere b man- 
geanr dcs pommes , Us Jp fares difant avec hd 
leurs patendtres , la Decollation de S. Jean-Bap- 
, tifte t Hiroie 6* Ca'iphe en mitre, Pilate layout 
fis mains , la Rtfitrre&ion, le Jugement, un Pay* 
rails dans lequel an voyait quatre - vingt - dim 
Anges , un Enfer noir & puant oil tombaient Us 
Repr olive's, b d'oii fortirent cent Biables qui 
cllaient faifir dcs ames gu'enjuitc Us tourmen- . 
taient. 

Parmi ces Jujets devots, le Chroniqueur en 
eompte plujicurs dans un autre genre; tels qui 
des forces fatiriques , b dcs danfes on panto- 
mimes burkfques ; deflinies probablement 4 
(gayer le Jerieux de la Piicefainte , en f err ant 
fintermeie, ou, felon Vexprefion du Jiecle , 
d*Entremets, dfes dijferens aftes. Ces Entre* 
mets (taient des Ribands qui danfaitnt b chan- 
taient en chemife, un Roi de la fere , un Tour- 
nois tfenfans , un homrne fauvage, un louf qui 
filait, un rojjignol b d'autres oifeaux qui chan- 
taient ; enfin } la vie entiere du Renard , d'abord 
Tdiiecin b Chirurgien , puis Clere b chantant 
une epitre b un hangile , puis Evfque,puis Ar- 
thevique 3 puis Pape a b tou jours mangeant 
poules & pouffins. ( II fera parU plus bos 4a 
tttttdcrnitrt allegoric. 



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*n Fabliaux 

Ces dijferentes pieces ne font point parvenuei 
jufqiCd nous ; mais fen ai dicouvert trois qui 
font ante'rieures , & que je vais donner ici , 
comtne des monument pre'cieux pour Vhifioirt du 
Thidtre Cf dt la Poifiefrangaife. On les doit d 
no* Fabliers. Ce font eux qui ont ouvert en 
France la carrier e dramatique; &• le genre dt 
lews Outrages , faits pour etre chantes ou de- 
dame's pat des Minitriers a devo.it naturellement 
les y conduire ;fw-tout quand lews Contes , dia- 
logues , comme ils en ont quelques-uns , ojfraient 
le ricit alternatifde deux perfonnages, LaTra- 
gedie che[ les Grecs rieut point une autre ori- 
gine. Pow avoir un vrai Dramt , U nefallait 
qu'augmenter le nombre des interlotutews f? 
joindre d ce ricit une action. 

Cefi ce qu'a fait d fa manlere VAuttw du 
Lai qu y on vient de lire; le plus ancien , ait 
moins Ji Von en jug e par le fiile , des Owrrages 
dmce terns qui ojfrent quelques traits de phijio- 
nomie dramatique, 6» VAdam, felon moi, de 
tons les Mifteres , Farces , Socties & Moralices 
qtCont produit les trois Jiecles juivans. Son in~ 
forme production n'eft quun cahos oil to us les 
dement <& Part Je trouvent confondus. Trois 
Au^ews contemporains , Ruttbeuf, Jean Bodel 
f? Adam de Le Hale ( ct Pqete furnommi t l* 



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OU CONTES, IZ£ 

Boffu d*Arras , dont $n lira ci-aprls un morccau 

intitule le Mariage ) , donntrent Us premiers , 

chacun d lew majdere 3 quelque arrangement & 

quelque forme d ces principes bruts & grojjiers. 

Dans la piece de Rutebeuf qui va fuivre , on 

trouvera des perfonnages clairement dejigncs , 

des fdnes diftinfles , une aflion qui marche & 

fid amene un denouement, II eft prai qu'on ne 

fourra gueres s*empeeher de rire quand on verra 

en quoi confiftent ces difiinclions de fcines t plus 

ridicules encore que le fujet 6* que le choix de 

quelques-uns des perfonnages ; mais ainfi dans 

/on enfance marche I'ejprit humain. Aujourd'hui 

qut Viniuffirie (* les arts nous ont procure 4 mille 

cpmmoditis Juperflues , nous nous moquons du 

ttms ou nos Aieux marchaiene nus pieds. Ce~ 

fendtnt ceiui qui le premier alors s'avifa de. 

creufer un morceau de bois pour s* en fair e une 

chaujfure, etait ajfurementun homme fortfupi- 

riev a fes contcmunrains. 



%# 



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124 Fabliaux 



Par Ru- LE MIRACLE DE THEOPHILE* 

tcbeuf. 

Mordite avec perfonnages, tirte dumanufcrit 
de la Bill, du Roi , n* 7» i * > M- l & » **£ 
col. I. 



PERSONNAGES. 

1a Sainti Yier.ce, 

L'ivEQOE DE SlCILE. 

Theophilb, Sincchal du dernier Evipic, 

Pierre, *J 

Thomas, V OJfrieri (fc FEwtpe* 

PlNCEGUERRE, J 

S a latin , Magicien. 
Satan. 



M, 



E X T R A I T. 



onologue de Th^ophile qui , 
deftitue* de fa place de Senichal par fon 
fcouvel Eveque , fe plaint de la mifere 



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, O V C ON T E $• llf 

tm il fe trouve. II a tout donne* aux pau* 
vr£s , & Yoit fa famille expofte a mourir 
de faiiti. II fouhaitc la mort au Prelat 
& fe deTefpere. Enfin , il prcnd la reTo- 
lution d*aller trouver lc forcier Salatin. 
Lc Magicicn lui promet de le faire ren- 
trer dans fa place s'il veut renoncer a 
Dieu & a fes Saints. Thfophile dans & 
colere s*y engage & fort. 

Monologue ou il peint ks divers mou- 
yemens dont fon ame eft agitee : 

Dieu affiigi ^ . 

Picx m'a greve , jc rgreverai , 

Jamais 
James jor ne le fervirai, 

lui rendrai la parcilh 
Je li envi : 

Jijefuispauvrt 
Riches ferai , fe povres fui 5 

S'il me hait 
Se il me hec , je hairai lui ; 

le tiens quitte 
Je li claim cuiue. 

Salatin eVoque le Diable en faveur dtf 
Th^ophile.Satanparaitj il promet de fervir 
le Sen&hal difgracie & lui donne rendez* 



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n<> Fabliaux" 

vous dans un vallon qu*il d&igne. TWo- 
phile vient chez le Magicien chercher r£- 
ponfe. On l'cnvoic an lieu diCigni 5 & le 
Diablc , avant tout, exige qu'il lui fade 
hommage les mains jointcs , qu'il de- 
vicnnc fon komme (a ) , & fe donne a lui 
par un billet fign£ de fon fang 5 precau- 
tion , dit-il , qu'il fe voit obligd d'em- 
ployer parce qu'il a 6ti fouvent dupe. 
TWophile confent a tout. On lui fait jurer 
aufll de nc jamais fecourir ni pauvre , ni 
malade , ni orphelin ; de renoncer pour 
tou jours au jeune & a l'aumone, &c. en- 
fuite on le renvoie en raffurant que fa 
place lui fera rcndue. L'Eveque en effec 
reconnait fes torts. Ii envoie chercher 
TWophile par Pinceguerre , lui parle avec 
ftmiti^ & lui rend fa place. 

Theophile content , nargue a fon tour 
Pierre & Thomas qui avaient infulte* a 
fon malheur. Mais il ne tarde pas a re- 
connaitre fa faute, & vient dans une 
Chapelle fupplier la Vierge d'avoir piti6 
. de lui. D'abord elle rejette fa priere & 
veut le chaffer. Elle fe laiffe enfin ^mou* 
voir , & Failure quelle lui rendra fon billet 



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O U C O N T E S. 12? 

II fort> Marie appellc Satan pour lui re- 
demander la c^dule. Satan refofc de la 
xendre ; mais fur la menace qu'elle fait 
de lui fouler la panfe , il la remet.No- 
tre-Damc vient elle-memc enfuite Tap- 
porter a fon protege' , & lui ordonnc 
d'aller la dormer a r£veque , qui , pour 
inftruire les Fideles dc la m&hancete* de 
rennemi commun, la lit publiquement 
en chaire & finit par fairc chanter un 
Tc Deum. 



'Afin de ne pas interrompre le rich , je 
jCai point voulu parler de la divijion des dif- 
ferences feints. Elles font de'fignies par ces 
paroles du Poetc* Ici vient Th6ophile & Sala- 
cn Or fe d6parc Theophile dc Sala- 
tin. • • • Ici parole Salatin au Deable. . • • 
Or vient le Doable qui eft conjure. . . • 
Theophile revient A Salatin , &c» t?c. La 
piece eft en vers de qu&tre pieds ; mais VAw 
teur en change la forme plufieurs fois. On a 
vu qu'elle ctait celle du fecond monologue ; 
Celle-ci eft encore emplojie plus has au moment 
§u la Vierge vient dans la Chapelle* Let 



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n8 Fabliaux 

regrets it Thiophile a quand il reconnait Jon 
crime , font exprimis en dou\t firophes ou 
couplets de quatre vers Alexandria* chacuru 
La priere qu'il fait d la Vierge eft de neuf 
firophes en vers de trois pieds , G» I* exhortation 
enfin de V Eve que au peuple en condent cinq 
de quatre vers fir une rime feminine. 

NOTE. 

(a , Exige quit devienne fon homme. ) 
Quiconque reccvaic ou cntrait en pofTefliou 
d'un Fief, devaic faire hommage au Seigneur 5 
& par cecte cercmonie il devenaic Ton homme* 
On faifaic hommage a genoux , la teie nue , 
fans 6pee & fans cperons , les mains jointes 
& renfermees dans celles du Suzerain , lequci 
ctait a (lis & couverc. La for mule du ferment 
prononcee , celui-ci donnait rinveftkure du 
Fief & baifait fon Vaffal fur la bouchc. 
Prefque toutes les terres en France Scant fco- 
dales , il y avait tres-peu de grands terriens qui 
jrie r«cuflent & ne fiflrnt cour-A-cour pluficurs 
hommages. Le Roi luj-mSme le devaic a fes 
propres fujecs quand il cenaic d'eux quelque 
Fief. On lie dans Br u (Tel des a&tfs de Phi- 
lippe-Augufte , ou ce Prince reconnait qut 



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r 

OU CONTES. *lf 

let Evequcs de T6roucnnc & d' Amiens Pont 
difpenle de rhommage auquel il 6tait tcnu 
▼is-i-vis d'eux. S'il n'y a point de preuveJ 
que nos Hois Patent fait en perfonne , il 7 
en a qu'ils Pont fait faire quelquefois par 
procureur.* II en 6tait de meoie du fervice pour * Differ*} 
la tcrre , quand le cas 1'exigeait : ils nom- J*j rlt - ta * 
maienc alors un ou plufieurs Nobles pour en jr r . 
Paquitcer , fit c/tte Jurifprudence fc trouve par Mm 
confirmee i l'lgard de Phil ippe-le- Bel , par ^^ 
un. ArrSt de la Cour des Grands-Jours de _ x8o»* 
Champagne, en 1186. Ce font encore la da 
ces vSrites que peu d'hiftoriens ont le cou- 
rage d'avouer , to'ut indifrerentes qu'elles foot 
aujourd'bui. • • 



'Tai tlri la piece Jitivantc <Tun manufcrit dt 
Jf« le Due de la Valliere , que m'a commu- 
nqui Vhomme de Uteres favant (f officieux*d 
qui itait confiie cette riche Bibliotheque que fes 
Joins ont formie* Les vers ici font , comme 
dans le Miracle de Theophile , de diff&entes 
formes ■: tamfo ils ont huit filiates , tantSt 
fist , tantSt doute. Quelquefois les rimes y 
tint erodes i quelguefoU dies font croijees & 



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130 Fabliaux 

redoubles. UAuteur a donni d fori Drame le 
titre dt Jeu ,* nom que porte aujji la Paflorale 
qui Juivrt , 6* que portaient probablement let 
Pieces dramauqu.es , parct qu'elles fe jouaicnc 
far Us Minitriers, 




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O U C 6 N T E s. ij| 



LE JEU DE S, NICOLAS* Par Jean 

PEflS02V2\MGEs. 

Un A n ge. 
S a i n t Nicolas. 
Un Chevalier Chretien. 
Un Vieilxard Chretien, 
yiufieurs Chretiens. 

Tervagant, Tun des Dieux pretendtxs <fe* 
Mahometans. * 

Le Roi d'Afrique. 

Son Senechal. 

{D E C O I $ N E. 
d'Oliferne. 
de l'Arire-Sic,* 
d'Orcanib, 
Aubehon, Courier* 
Cohnart, <~« :r public, 
Un Tayirnier* 
Caigne, Garc,on du Tavernier* 
Cli qu e t,"J 
P i n b d s , > Voleurs. 

RAS O I R, J 

Durant, GSoIier. 



Un premier Acteur. 

• Oeigneurs, & vous , Daihcs ^ 

• &outez-nous. Nous voulons aujourd'hui 



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iji Fabliaux. 

„ vous cntretcnir dc Saint Nicolas I<^ 

„ ConfefTeur , qui » tait tant de beaiufr 

,, miracles , lefquels font vrais* j[" 

„ Il y avait jadis Un Roi qui iaifait la 

M guerre aux Chreuens 8c qui les defo- 

M fait par des incurfions journalieres fur 

» leurs terres. Un jour qu'ils n'etaicni 

„ point fur leurs gardes , il les furprir SC 

„ en tua ou enleva un grand noihbre* 

^Parmi ces derniers fe trouvait unvieit- 

„ lard refpe&aWe. Saifi au moment qu'il 

„ Itait en prieres devant une ftatue de 

„ Saint Nicolas, il tut, avec la ftatue * 

„ prcTenti. au Roi pa'fen. Villain , lui dit 

M le Prince, tu as done confiance dans cfc 

„ morceau de bois } Sire , repondit le pru> 

„ d'homme , e'eft l'image d*un Saint que 

f , j*honore. Jamais hommc ne Veft re- 

„ commande* a hii , qu*il n*en ait M fe- 

„ couru auffi-tot : jamais on ne lui a rien 

„ confie , qu'on ne Tait trouve* , pcu de 

„ tems apres , mulriplie avec profit. Eh 

„ bien, je vais lui confier mon treTbr, 

„ repartit le Roi. Je verrai s'il le fait mul- 

„ tiplier ; mais s'il y manque , e'eft a tot 

M que je m'en prends , & tu pcux t'at- 

„ tendre 



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OV CONT!S. IJJ 

5> tendre a £tre lardi. Alors il envoya lc 
+, prud'homme en prifon , & fie couchex 
j>i J'image du Saint dans le coffre od £taic 
.„ {on treTor. Mais pendant la nuk le coffre 
9 , ayant hi enleve* par des voleurs , lc 
„ Roi furieux fit maltraiter le vieillard. 
„ Celui-ci invoqua i'affiftance de fon pro- 
„ te&eur ; & le Saint qui ne voulait pas 
„ Tabandonner alia trouver les voleurs 
„ qu'il avait expres endormis, & les obligea 
99 de rapporter le treTor. Touche* du pro* 
99 dige , le Roi (e convertit & fe fit ba* 
M tifer avec fef Sujets. 

„ Voila , Meffieurs , le beau miracle 
n qu'on lit dans {p. vie du Saint dont de- 
5, main fe cel£bre la fSte. Nous allons 
„ vous le repreTenter j & tel eft lc fujet 
w de notre Jeu. Faites'filence, nous com* 
9> mencons. „ 

On ne pent nier que ce nefoit U un pro-t 
logue trh-difiinil , &• Vannonce d'une virir 
table piece dramatique. Cepeniant comme cette 
Piece n*efi en grande partie que le miracle du 
prologue , unpeujtendu ; qu'elle effl trte longut 
(f encore plus enriuyeufe , je crois Juffifant d'e* 
donner un court extrak. 

Tome II. H 



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134 Fabliaux 

Le Courier Auberon ouvre la fcene ; en 
fouhaitant au Roi une longue prbfperite' , 
& fur-tout le bonheur d'exterminer fes 
ennemis 5 mais il lui annonce que les 
Chretiens ont fait une irruption fur Csl 
terre. Le Roi furpris ne peut le croire. 
Son Sen&hal avoue que depuis lejour ok 
Noe fit I'arche , jamais on ne vit pareilie 
hardiefle j neanmoins il eft force* de con- 
firmer la nouvelle , & dit que fi on ne 
repoufTe au plutot ces Ribauds , tout le 
pays va etre ravagd & brule\ 

L e Roi a fon Dieu Tcrvaganu 

Fils de p QuoK j*ai fait couvrir 

d'or ta laide figure , & tu me laiffe disho- 
norer a ce point i Je regrette bien main- 
tenant ce qu'il nVen a coutd pour roi. Jc 
veux te faire fondre & te diftribuer en de- 
tail a mes gens. . . Senlchal je fuis dans 
une telle fureur que je ne me pofTede plus. 

Lb Senechal. 

Sire , vous ne devriez* pas vous per- 
tnettre vis-a-vis de Tervagant des difcours 
que vous n'oferiez tenir i un Roi , ni memc 



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OU C'ONTES. I3J 

a un Comte. II ne faut jamais maudire fcs 
Dieux. Mais puifque vous me demandez 
nwn avis , je vous dirai que le parti Ie 
plus {age dans ce moment eft d'aller les 
genoux & les coudes nus , implorer le fe* 
cours de Tervagant , & lui promettre , 
s'il veut humilier les Chretiens, vingt 
marcs d*or pour couvrir fes joues, 

Le R o i. ' 

Allons done , puifque tu le veux. . . , 
Tcirvagant, j'ai lanfe* dans mon chagrin 
echapper contre toi mainte folie ; j'en dis 
ma coulpe & tc demande grace. Souviens- 
toi de notre loi, Sire ; accorde-nous ta 
protection contre ces Chretiens qui te mau- 
duTent, & daignqp nous en afTurer d'a- 
vance par un fourire ii je dois les vaincrc , 
ou par des pleors fi je dois en etre vaincu... 
Sen&hal , l'as-ru remarqu^ comme moi 2 
II me femble que Tervagant a ri & pleuri 
tout-a-la fois. Qu'annonce ce figne 1 

Le Senechal. 

Sire , il faut vous fier au ris , voui 
vaincrez les Chretiens, 

. Ht 



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%$6 Fabliaux 

L e R o i. 

Soit j & maudit celui qui park ou penfe, 
tutrement. Senechal , fais crier le Ban. 

D'apres cet ordre le Crieur Connart 
annonce aux Vaflaux du Roi qu'il leur 
eft enjoint de fe rendre en armes fous 
fes e'tendarts. On lui donne des lettres 
munies du fceau royal , pour aller publier 
par-tout le meme commandement 5 & il 
part. Mais il entend crier dans une ta- 
▼erne , du pain frais , des harengs chauds 
& 4u vin d'Auxerre. Il s'y arrete pour 
boire Scjoue avec le garcon. L'inftant 
d'apres on le voir parler aux Amiraux dc 
Coine, d'Orcanie, d'Oliferne & du Sec- 
arbre , qui promettentJ»des fecours. Lcs 
troupes arrivent ; le Monarque en donne 
le commandement au Senechal. Celui-ci 
les anime au combat , & d'une yoix una- 
nime , tous s'e'erient : marchons , Maho- 
met tordonnc. 

Les Chreuens voient Iuire dans la plaine 
les armes Mahom&anes 5 mais ils font 
glacis d'effroi a l*afpe& des troupes in- 
combrables des Infideles. Un des leurs 



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O U C N T I S. I37 

feft obligi de les ranimer , en promettanfc 
le Ciel comme r£compenfe a ceux qui 
mourront pour la gloire ^e Dieu (a). Un 
Ange vicnt de la part du Tres-haut leur 
faire les memes promeffes. II leur an- 
nonce qu'ils fcronc vaincus, mais quele 
Paradis les attend. 

L'Amiral de Coine recommande auz 
ibldats Mahometans de maflacrer fans mi- 
f&icorde tous les foldats Chretiens. Pour 
lui iLveut de fa feule main en abattrc 
autant quun moijfonneur ah at £ipis d'or- 
&. L'Amiral d'Orcanie a peur qull ne les 
tue tous , & le prie de lui lauTer au moins 
le plaifir d'en exterminer quelques - uns. 
Celui de 1'Arbre-fec s^crie : la void cette 
Nation exicrable qui maudit Mahomet f 
frappe^, frappv£> On combat, & tous 
Jes Chretiens font tais. 

Un vieillard Chr&ien eft furpris par 
les Sarrafins priant un Mahomet cornu M 
C Saint Nicolas , ainfi nomine* par eux a. 
caufe de fa mitre ). lis conduifent le pru* 
d'tomme k leur Roi , &c* &c &c 

Hi 

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ij8 Fabliaux 



^D'aprh le prologue on devine It iefte 4e 
la piece , b ce qu'on vitnt d'en lire Jiiffii 
pour en donner Viiie. A trovers tow fes 
defauts on y remarque beaucoup de mouvement 
& d y action , If fur-tout un grand Jpc&acle ; 
jpuifqu'independamment des principaux ABeurs 
fpiifont afle{ nombreux , elle ofirait deux armies 
if un combat* Qhe^ nos Dramatiques modernes 
Its perfonnages difcourtnt beaucoup, parceque 
les Auteurs , infiruits dans la theorie de leur 
crt , veulentetaler de Eloquence, Tout s'y 
pajfe en beaux collogues , en e'claircijfemens 
& en dijputes. Che{ un Po'ete ignorant , tels 
Qtitaient Its mdtrcs , ces jeux d'efprit font 
fa angers : comme il ne fait point Vart de 
faire dijferter fes heros , il les fait agir 9 
Voye\ dans Shakejpeare quel fracas d'aclion* 



N O TE. 

la Tnomenant le Ciel comme ricomptnfe d 
eeux qut mourront pour la. gloire de Dieu. ) 
Autre prcjuge de ces fiecles. Comme on 
croyHt fake uae a uvre meritoire en egorgeant 



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O V C O N T £ 5. IJ9 

les Infideles , on croyait auifi mincer le Ciel 
en mouranc dc leur main , op meme feule- 
ment fi. Ton mourait ■ dans une Croiiatjc 
contrc eux 5 dc e'eft la le principe de cecte 
forte de fureur epidemique qui , pendant deux 
cens ans , porta la Nation vers ces-guerres 
religieufes. Joinville , dans fa Vie de S. 
Louis', remoigne fa furprifc de ce qu'on * Pag, 44 
n.'avait pas mis ce pieux Monarque au rang 
des Martirs , pour les grans peine* qu'ilfougrit 
eu (au) pilemnage dt la Croix , par Vefpact 
de fix ans* Car ainfi quenotre Seigneur Dieu, 
dic-il j eft mort four Vumain lignage en la 
Croix , d femblable mourut croiJH a Tunes * 
U bon Roy S. Loys, 



Le 3 en' qui pa Juivre eft d*un genre different 
if d'un gout bien autrement dilicat que les 
deux pieces pricidentes. Quelquefois cependant 
la fuccejfton des evenemens y manque aujjl 
d?une 1 ertaine vraifemblance , fame de prepara- 
tion ou d*un jufte intervalle de terns. Robin , 
far exemple , fort pour oiler chercber /ft 
camarades ofin d'amufer fa maitreffe , 6* au 
vers Juivant il leur parle dejd, Mais on doit 
pardonntr ces difauts d la barbaric (Tun fiecU 



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140 Fabliaux 

ou Von ignorait mime ju'iZ y eut un art & 
des regies ; G» cette jolie paftorale avtc unc 
marche claire , avtc des mctwrs antiques 9 
fimples 6» pures , prefente d'ailleurs des d(- 
tails fi a gr tables (St une naivete fi exquife , qua 
fi on la compare aux Mifteres & aux Soma 
que renferment les premiers Ages de Vkifloire, 
de notre Thidtre , on ne pourra jamais croire 
d la prodigieufe diftance d'une degeneration 
pareille. 

Elle efi entremflie de plujlewrs morceau*. 
de chant* fen iniiquerai quelquts^uns. 




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OU CONTES. 141 

*■ ■'■■ ■ ■ ! — » 

LE JEU DU BERGER 

ET DE LA BERGERE. 



7irl du manufcrit de la Bibliothegue du Roi » 
»• 7#4- 



PERSONNAGES. 
Aubert, Chevalier. 

Marion ou Marotte, Maltreffe de Robin (<*)• 
Perette , amie de Marotte. * 

Robin , Amant de Marotte. 

Gau tier* ' r Bcr S ers & P arens de Robin. 

Mahotte chants. 
Robins m'aime , Robins m'a , 
Robins m'a demande fi m'aura 5 
nCaacheti 
Robins m'acata cotele ( cottejbrtc tfha* 

lillement )* 
D'cfcarlace bone & bete , ; 

petite ccinture s 

Soufcanie \ & cheinturelc. * ( Autre habilltg 

Robins m'aime , Robins m'a (fr). mint. ) 



E X T R A I T. 

Un Chevalier, nomrnt! Aubert, ford 
$rcc un faucon fur le poing pour chaffer * 



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t4* Fabliaux , ; 

pafle aupres de la Bergere 5 il faccofte 9 
lui fouhaite le bon jour , & lui demande 
pourquoi clle repete Ci fouvent & avec 
tant de plaifir 1c nom de Rotin. " Sire , 
n repond-elle , j'en ai ai fu jet 5 c'eft que 
„ j'aime Robin & que Robin m'aime. Et 
„ il m'a bien montr^que je lui fuis cherej 
„ c'eft lui qui m'a donne* cette panetiere , 
„ cette houlette & ce couteau „. 

Elle demande a fon tour au Chevalier 
ce que c'eft que cet oifeau qu'il porte fur 
le poing , quelle eft fa nourriture & fon 
ufage. Sur les reponfes Iqu'on lui fait ; 
<c Robin, dit-elle, n'a pas de ces gouts-la- 
„ Il {ait nous amufer ; audi , quand il joue 
§> de fa mufette , tout le village accourt „« 

A u B e R T. 

Faites-moi une confidence , jolie Bergere ; 
feriez-vous d'humeur a aimer un Chevalier * 

MiROTfE, 

Beau Sire , vous pouvez continuer votre 
ehafle, Je ne cpnnais point les Chevaliers 
& ne veux aimer que Robin. Tous les 
jours , le foir & le matin, il vient mc 



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OU CONTES. I43 

voir 5 il m'a encore apporte* aujourd'hui 
dttiromage frais & du pain* 

A U B E R T. 

Douce Bcrgerette , venez avec moi. Vous 
monterez fur ce beau cheval , & nous 
irons la-bas dans le vallon jouer au bord 
dc ce bofquet. 

Marotte. 

Sire, quel eft votre nom ? 

A U B E R T. 
Aubert. 

Marotte en chantant* 

Sire Aubert, vous pcrdez ici votre 
terns 5 je n'aimerai jamais que Robin. 

Aubert, 

Mais favez vous que je fuis Chevalier , 
$c que vous n'etes qu'une Bergere, vous 
qui faites tant la dedaigneufe } 

Marotte. 

Votre Cbevalerie ne vous fcra pag 



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444 F a b t i a u s: 

aimer davantagc. Jc nc fuis qu'une Be*S 
gere , il eft vrai 5 mais j'ai un ami gai r 
Jrien fait & joli. 

AUBEKT. 

Bergere , puifque e'eft ainfi , n'en par-* 
Ions plus. Que Dieu vous fafTe gouter 
avee votre ami beaucoup de plaifir 5 je 
Vous quitte. II fort en chant ant, 

Marotte refHe feule chante audi en ap- 
pellant Robin. Celui-ci l'entend de loin , 
& repute le refrein de la chanfbn de fa 
Mie. EUe le reconnaic a fa voix, il arrive,, 

Marotte. 

Robin , tu ne fais pas , doux ami , ce 
qui vient de m'arriver 5 mais au moins 
je t'en prie , ne te fache pas. £coute , il 
eft venu tout-a-1'heure un beau Monfieur 
a cheval qui m'a pri£e d'amour 5 mais il 
a perdu fes peines , je te ferai toujours 

Robin qui eft fort jaloux s'emporte en 
menaces contre le Chevalier. II protefte 
que s'il avait pu &re avertf*plut6t 8c 
4Unener fes deux coufins, fon rival ne fe 

ferai* 



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OU C.ONTSS, I4J 

lerait pas ainfi retire* impunement. Ma- 
rotte le calme de Ton mieux &, propofe de 
manger enfemble. On met fur l'herbe des 
prunes qu'il a apporties , du fromage & 
<Iu pain. Robin s'affeoit a cote* de fa Mie , 
& ils dinent gaiment. Apres ce repas fru- 
gal , il la prie de lui donner le chaptl 
qu'elle porte j elle le lui place elle-meme 
fur la tete > & en retour , il annonce qu'il 
va chercher Baudoin & Gautier fes cou- 
fins , afin de pouvoir pafTer agreablenient 
le refte de la journe'e. Marotte le prie d'a- 
mener audi fon amie Perette, Robin parr, 
& va les avertir. 

Le Chevalier pendant ce tems revient 
aupres de Marotte., Sous pretexte de de- 
mander des /nouvelles de fon faucon , 
qu'il pretend s'etre dchappe , il renoue unc 
' converfation avec la Bergere , & declare 
qu'il fc confolerait bientot de la perte 3e 
Toifeau , s'il pouvait avoir (i gentille amie. 
L'autre repond toujours qu'elle n'aime que 
Robin, & prie le Chevalier de la lailfer, 
de peur qtie fi Robin furvenait & qu'il. la 
trouvat caufant avec quelqu'un, il ne lui 
«n voulut Sc ne cefiat de 1'aimer. 
Tome II I 



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itf Fabiia V X 

Robin arrive en effet en jouant de fo£ 
flageolet d'argent, Aubert qui veut lui fairef 
. une querelle , Taccufe devoir tue* fon fau r 
cdn & le frappe. Marotte demande grace 
pour celui qu'elle aime. Volontiers , dir 
Aubert; a condition que vous viendrez 
avec moi. Elie a beau refufer , il l'enleve* 
Mais elle fait des cris fi affreux , elle le 
d£bat fi violemment qu'il prend le parti 
de la lacher , & de s'en aller. Elle ac- 
coiirt auffitot vers Robin & lui demande 
s'il eft blefft. 

Robin. 

Marotte, je fiiis gueri puifque je te vofcj 

Marotte. 

Eh bienl viens done m'embraffer. 

Puis vpyant arriver tout-a-coup Perrette* 
& les deux Coufins qui la furprennent 
eifcbrafTant fon ami , elle refte interdiw 
& confufe. N'ayez, pas home , lui dit Gau* 
tier en riant 3 il eft mon Coufin. 

/ Marotte. 

Ce n'eft point par rappon a vous quf 



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OU C O M T E S. I47 

je fuis fach^e , Gautier ; mais c'eft qu'il 
eft H etourdi qu'il m'embraflerait dc meme 
devant tout le village. 

Robin. 

Eh ! qui pourrait s'en empecher. 

Pour oublier le moment de chagrin qu'a 
donne* le Chevalier , on s'amufe a de pe- 
tite jeux , tels que S. Coifne. Gautier fe 
charge de faire le Saint , les autres vont 
*. genoux lui porter un prefent. Il em- 
ploie , pour les faire rire , dift&rens moyens ; 
& quand il y ituft\t , le rieur eft oblige* 
de dormer un gage. On joue enfuite an 
Roi. Ceft Baudouin qui Teft. Il s'afTeoit. 
On commence par le couronner ; Perrettc 
lui pofe pour cela fon chapel fur la tete , 
& enfuite les Sujets s'avancent pour lui 
rendre leurs hommages. A mefure que 
chacun fe prefente , le Roi lui fait ou une 
queftion ou un commandement. Par exefh- 
pie , il demande a Gautier s'il eft jalour. 
« Je Tai hi , repond celui-ci. Un certain 
5, matin j'entendis frapper a la porte de 
5, ma Mie , & je foupconnai que c'^tait un 
», amoureux ; mais je ne fas jaloux que 

I x 



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148 Fabliaux 

,, ce jour-la „. On demande dc meme k 
Perrette quel eft le" moment ou Amour 
lui caufe la plus grande joie. " Sire , r£- 
„ pond-elle , c'eft quand celui qui tnt 
„ donne* fon coeur & fon ame vient dan§ 
„ les champs me tenir compagnie , &C 
„ que , fens dire chofes villaines , il s*ak 
„ feoit aupres de moi ,,. Robin eft in- 
terroge" a fon tour 5 & le Roi fatisfai&de 
fa reponfe , lui ordonne d'aller donner a 
• Marotte an baifer fi doux qu'il puifle 
plaire a la pucelle. 

G A U T I E R. 

Marotte , reponds au Roi 5 comment 
aimes-tu Robin , ce joli garcon , qui eft 
mon coufin ? 

Marotte. 

Sire, je Paime plus que toutes mes 
brebis enfemble , & meme plus que cello 
qui vient de me donner un agneau. 

Pendant qu'on joue , un loup parait qui 
emporte un mouton de Marotte. Robin 
court apres Tanimal , arme* d'une maflue ;. 
il Tatteint , & lui arrache le mouton qu'ii 



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O U C O N T E S. 149 

rapporte a fa Mic. Le Roi , pour rlcpm- 
penfe, lui adjugc un fecond baifcr. Bau- 
douin demande a Perrette fi ellc ne fe 
fent point l'envie d'en faire autant. Non % 
r£pond-elle , je n'y fongc pas : & d'ailleurs 
quel eft celui qui voudrait de moi 1 Les 
trois Bergers s'ofrrent a Pcnvi , mais elle^ 
les refufe. On interrompt le jeu pour 
gouter. Chacun des Coufins avait apporte* 
quelque chofe , Pun du jambon , Pautre 
du fromage de lait de brebis. Robin , fous 
pr&exte d'aller chercher quelque chofe 
auifi,vaau Tillage & amenedes Menteiers. 
Sa premiere phrafe , en arrivant, eft de 
demander a Marotte fi elle Paime , & 
Ton devine quelle eft la reponfe. Ma- 
rotte voyant rever Gautier lui demande 
a quoi il penfe I 

Gautier. 

Ma fbi , je penfe que fi Robin n'e'tttit 
pas mon coufin , je t'aimerais de tout 
mon cceur. Tien , Baudouift , regarde * 
cft-ce la une tailie } 



1 i 

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Ijo Fabliaux 
Robin. 

Ocez , otez vos mains de la, s'il vous 

plait. 

G A U T I E R. 

Quoi I tu cs deja jaloux } 
Robin. 
Oui , je Jc fuis. 

M A R O T T I. 

Tu as tort ; & vous , Gautier , point de 
ccs jeui-la dorenavant , je vous en prie. 
Mais commencons notre fete. 

Gautier annonce qu'il fait chanter en 
d&lamant , & veut en donner des preu- 
ves ; mais comme il commence une chan- 
fbn poliflbnnc , on lui impofe filencc, 
Robin propofe alors de danfer , & il dame 
avec fa Mie 



La Juke manque , parce que les dernieres 
fcuilles du manufcritft trouvent dtchiries. Celui 
rie M • It Due de la Vallitrc , ou ec Jeu fi 



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ou C'ONTis, rji 

trouvt aujji , & ou it eft attribuc d Mam dc 
It Hale , contient quelques vers de plus , que 
chance Robin > 6" dont le fens eft : Vcnez 
avcc moi le long du fender , venez avec moi 
le long du fender du b6is. 

Je ne dome pas que le Mariage du mime 
[Adam y qtton va lire d Pinftant , 6* qui eft 
mijji intitule Jeu , ne joit un Drame du terns , 
6 1 qtCil n'ait etifait pour ttre joue comme les 
deux dernier s, Tav oncer ais volontiers la mimt 
chofe pour les Croifades de Rutebeuf, Fabliau 
qui fuivra celui du Mariage. C eft, felon moi , 
un vrai Jcu , avec fon prologue , comme S. 
Nicolas. 

Le manufcrit de M* le Due de la Valliere en 
contient encore deux autres dont je ne fais 
point mention , tant ils font plats. Le moins 
mauvais tft celui -qui portt le titre du Pelerin p 
fcf dans lequel un Pelerin veut en faire ac- ; 
croire d des payfans* Les uns fe moquent de 
lui , les autres veulent le battre, 

Je fuis convaincu que ce ne font point Id 
les feuls anciens Jeux qu'on trouvera dans les 
manufcrits , Ji Von veut y fouiller ; mais ceux- 
ci du moins Jbnt fuffifans pour prouver que 
Vtpoque de notre Thtdtre rem'onte plus haut 
tpiou nt I* a cru jufqu'ici , 6* qu'au trei\iemt 

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i J2. Fabliaux 

jiecle nous avions dcjd des Drames , & mime 
des Drames dans plus d'un genre , puifque 
volld une Paftorale , wie Faree ( le Jeu du 
Pelcrin , ) deux Pieces devotes , Cf deux Pieces • 
morales ( le Mariagc 6* les Ctoifades ). De ces 
trois demurs genres naquirent . vraifemblabtc- 
ment les Mifteres 3 les Farces 6" les Moralitcs 
du quiniieme Jiecle. Mais ce qui marque le 
mauvais gout de ce dewnier terns , e'eft que 
le genre abfurde de Rutebeuf t? tie Bodel fut 
imite' , b que la Paftorale charmante d'Adam 
ne le fut pas* 

11 y aurcit encore fur cette matiere intiref- 
fante guelques queftions d faire. ?°« Les Mc'nJ- 
ticrs qui reprifentaient les Jeux en reprifen- 
ta:ent-ils plujleurs defuite , (fplufieurs d'efpeces 
diffiJrentes ? Je le crois* lis fe trouvaient 
inter ejfis d varier les plaijirs de leurs Audi- 
teurs ; 6* fai dejd remarque qu'd la fete que 
donna Philipe le-Bel en ?ji} , il y tut une 
Farce 6» des Mifteres. 

2°. Les villes tfayant point , comme au- 
jourd'hui 3 de fpeclacles regie's , quandfe reprt- 
fentaient les Jeux I Je Vignore. Mais comme 
il n'y avair que des Princes 014 de grands 
Seigneurs qui fujfent en e'tat de faire ces di- 
$enfes , on peut conjeclurer que e'eiait un 



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O U C O N T n, ( iyj 
4es plaijirs des Ccurs-Plenieres (f des grandes 
folemnite's* On a vu dans celui de S. Nicolas 
qu'il Jut joud la veille de la flte du Saint : il 
riy eft point dit Ji ce jut pour cilibrer edit 
d*un Grand, ou pour quelque cirimonie de 
devotion* 

3°. Let Afleurs avaient-ils un Theatre i 
Avaient-ils des decorations $ Ces decorations 
dans le Jeu ,4u Berger , par exemple , dtaient- 
tllet differentes de celles du Jcu de S. Nicolas $ 
Les apparitions du Saint 6* de VAnge dans 
€ett€ dernier e piece , celle de la Vierge dans 
le Miracle de Theophile ,fc faifaient-elles par 
des machines t Yavait-il des troupes de Mine- 
tiers affc[ nombreufes pour reprifenter avec 
quelque forte de vrqifemblance un combat entre 
les Chretiens & les Mahometans f La troupe 
avait-elle des ASlrices pour les rSles defemmes, 
eu dtaient-ce des ABeurs habilles en femmes 
qui jouaient ces rdles f Satan , VAnge , h 
Vierge , £. Nicolas , Tervagant , les Sarrtjins , 
evaicnt Us ' des habits de coftume i Le Cheva- 
lier Aubert paraijfaitil reellement fir la fdn% 
monte far fon cheval ? Y voyait-on Robin Cf 
fa Bergere collationner 6* danfer ', 6 1 le Courier 
Auberon boire 6» jouer dans la taverne ? Dans 
les Pieces qui avaient du chant , cumme le leu 

u 

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tj4 Fabliau x 

da Berger , Vd&eur (tak-il accompagni par let 
inftrumens f FiniJ[ait-on It Miracle dt Thiophilt 
par ah Tc Dcum tn chaeur % Cfc fc»c. 6»r. A 
toutts ces qutflions favout avte chagrin qut jc 
n*ai point dt riponft ; ptut-itrt euffe-jt pu la, 
fairt Ji f avals at tn main plus dt mamifcrits* 
Ellt rtgardt ctux qui tntrtprtndront dt trahtr 
un fijtt qu'tn ct momtnt favout n'itrt pas It 
mien* 

JTai trouvt dans Its poejits mamtfcrites 
cPEuft. Def champs , qut poffteaic M. dt Saint" 
Palaye , unt Comidit d'Amphytrion. Mais ceci 
tfi pofieritur d nos Fahlitrs , Gfntlts rtgardt 
pas. Jt rttournt d tux* 



NOTES. 

{ a f Marion maiwtfft dt Robin. ) Je nc 
doutepas que ce ne foit cette Piece qui a donne 
lieu d l'expreflion proverbiale , ctrt' tnftmblt 
tommt Robin 6» Marion. 
* ( b , Robin m'aimt , Robin rria. ) I/Auteur 
met ici dans la bouche de Marotte une Chanfoa 
du terns, du nombre de celles qui couraicnc 
parmi le peuple. Je Tai trouvee dans un re- 
tcueij de Chanfonniers anterieurs a laPaftorale ; 



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ou Comti.s. iyy 

dependant lcs quatre dcrniers vers font diffe- 
rent , quoique le fens en foic le merae : 

Robins mVchata corroie (sourfoic, cfmturc)* 
Ec auraonicre de foie ; 

I'aimerais-jepasi 
Pourquoy done ne I'aimeroie \ 

&obins m'afane > Robirootfu 




16 



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Xj6 FABUAJt 



Par A. IE M A R I A G E. 

dam dele 

Halc,fur- Alias 

nomme 

U Boffu LE JEU D'ADAM,LE BOSSU D'ARRAS* 
F A v C h 9 T en fait mention* 



Les manufcrits qui offirent Ji fouvent plujieurs 
verfions tout -a- fait differences fun mime Contc* 
offrent quelqutfois aujji pour ces verfions un 
different titre. On en a vu un exemple dans le 
Fabliau <f Hueline , & Von en verra heaucoup 
dkmtrts dans la Jitite. Taurai foin d chaque 
Conte de tranferire ces titres , comme je le fais 
pour celui-ci. 

II commence par dou\e vers alexandrins S 
tout le refte eft en vers de quatrepieds. 

Le Poete nous apprend dans une autre piece 
que le Jitrnom de Boflii lui avait etc 4 donni 
tomme fobriquet ,fans quit le me'ritdt par unfi 
rm its reelle. 



J.VJLes amis , favez-vous pourquoi j'ai 
changi d'habk ? Vous m'avez vu mari£ , 



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O U C O N T E S. IJ7 

jc mc iais Clerc , & viens vous dire 
adieu. Paris ( a ) m'a ofFert des Beautis 
dignes dc mon coeur , je vole le re- 
trpuver. Ce n'eft pas a ton qu'on vantc 
cette ville j & vous voyez que je n'y ai 
pas perdu mon temps. — Infenfe* 1 quel 
eft ton pro jet } Tu crois bonnement qu'on 
va voler au-devant de toi , d& que tu 
te preTentefas ? Non , jamais homme de 
mente ne fbrtit d'Arras (£). Tu auras 
beau te faire annoncer , on te laiflera 
dans l'oubli. — Dieu m'a donne* quelqu'ef- 
prit , je veux en profiter. Ici'je ne trouve 
que des fbts qui me rient au nez quand 
je leur recite mes vers. Ma foi je ne 
trouve point parmi eux affez d'agrement ; 
& entre nous , j'ai tire un affez boh 
parti des Belles de la ville , pour n*y 
regretter perfbnne. — Et la commere 
Maroie , que devlendra-t-elle? —Ma 
femmc } Je la laiffe chez fon pere. — Ne 
t'attends pas quelle y refte , elle voudra 
t'aller retrouver. Et toi-meme auras-tu la 
durete 1 de sparer ainfi ce qu'a uni l'Eglife, 
— Faut-il vous parler vrai ? Eh bieni 
j'ai feit une fotrife. J^tais , quan<J j* 



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$58 Fabliaux 
Tepoufai , jeunc & ardent 5 a cet age 1c 
coeur s'enflamme comme paiile , & la 
taifon nc park gueres > bref, je devins 
amoureux. Vous eft-il arrive* quelque- 
fbis de voir un beau jour de printems ? 
Les oifeaux chantent > le ciel eft ferein, 
la terre verte & fleurie , l'eau des ruif- 
feaux claire & brillante. L'hiver vient 
enfuite ; & plus de chant , plus de ver- 
dure : tout change. Mes amis , voila en 
deux mots mon aventure. Ma femme , 
quand je la vis la premiere fbis , me 
parut blanche comme lis , vermeille comme, 
rofe. Je lui trouvai l'humeur joyeufc , 
la taille bicn faite , Tail amoureux. Peu 
de tems a fuffi pour lui faire perdre 
tous ces avantages 5 fon teint eft devenu 
jaune , fa taille epaifle , fon cara&erc 
trifle & grondeur. — Elle eft la memc 
encore ; vous feul etes chang^ , & ji'en 
lais la raifon. 

fait 
.... Ele a fee envers vous 

marchi 
Trop grant marchic de fes denreesj 

• Et tel eft feffet ordinaire des plaifirs 



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O V C O N ? £ S. If$ 

qti'on a droit d'exiger. — Tel eft auffi 
Tamour $ il embellit . tout , & d'une laide 
femme peut a fon gti faire'une belle 
Reine. Les cheveux de la mienne qui 
aujourd'hui me paraiflent noirs ( c ) & 
pendans , me femblaient alors blonds , 
luifans & boucle's. Ses yeux qui me 
femblent petits , je les trouvais bleus, 
charmans & bien fendus. Couronn& par, 
tin fourcil brun & deffine* comme au 
pinceau , quand elle vous lan^ait un re- 
gard il n'etait pas poflible de s'en d£- 
fendre. Sur fes joues vermeilles & arron- 
dies fe creufaient , dans le moment du 
rire , deux jolies fofTettes qu'on croyait 
voir naitre au milieu des rofes. Non , 
je n*imagine pas que Dieu puifle faire 
un vifage plus agreable. Que vous dirai- 
§e ? Son petit pied , fa jambe fine , fon 
menton fourchu , fes dents petites , blan- 
ches & ferries , tout m'enchantait. Ellc 
nc s'en appercut que trop la friponne ; 
ellejoua lareTerve, affe&a des rigueurs , 
& ne fit , comme vous vous en doutez 
bien , qu'accroitre mes defirs. Un grain 
de jaloufie, le deTcfpoir ? la rage, que 



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i6o Fabliaux 

fais-je ; tout s'en mela. Plus j'aimais , 
moins j'avais dc raifon. Enfin je n*y pus 
tenir & j'epoufai. Voila comme je fus pris. 
Mais je n'ai point trouve" ce qu' Amour 
me promettait 5 & puifqu'il ne m'a point 
tenu parole , il m'eft permis de lui en 
manquer a mon tour. Ainu* done , tandis 
qu'il eft terns encore de me repentir , & 
t avaHt qu'une groflefTe ou d'autres ob£- 
tacles viennent m'arreter s je prends mon 
parti , & je pars j car ma faim eft en- 
ticement appaifee. 



NOTES. 

(a, Paris m'a offert des bcautes dignts de 
mon cctur. ) Quoique Paris alors file bien loin 
d'etre ce qu'il eft devenu depuis , cependant le 
f£jour qu'y faifaicne les Rois , 1'afHuence des 
Strangers qu'y actirait la c&ebrite des Ecoles , 
plus de facilite pour les commodity de 1st vie , 
line liberie plus grande , inseparable des gran- 
des villes ,* une police meilleure en bien des 
points que celle des autres , pouvaienc .en fake 
tin lieu de del ices & de plaifirs. Une chanfon 
fit* x;w e ficclc , iiree d'un manufciit qui a ap- 



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o tj C o m t e s.. itfr 

partenu au Prefident Bouhier, apres avoir parl6 
des reflburces qu'offirait cc fejour pour lc luxe , 
pour la bonne chere Seles agremens de la vie, 
ajoute qu'on y trouvera des Dames d'honneur: 
& quelques aucres d'une vercu moins farouche 
pour le iecours de ceux qui font preffes* 

trouve-t-on J 

Et fi trueve-on entre deu« 

moindre qualiti 
De menre fuer pour homes defireus . 

( b , Jamais homme de merice ne forth 
itAiras ). Ce reproche fait a la Ville d'Arras 
a ete renouvejle , il n'y a pas long-ccms. 
L'Abbe le Bceuf a cru devoir y repondre *; & * A la 
pour le detruire il cite le nom de quatre ou fid** <*« 
cinq Precres ou Clianoines qui, dans le xi a ^ /' 
ou xu fi fiecle , ont ecritfur l'Office divin & fur \^ tat & 9S 
la Mefle. 'Outre Adam de le Hale , on compte Sciences 
encore parmi les Poetes d'Arras , au xme en ran ~ 
(iecle , Jean Bodel dont il vient d'etre parle \ t #ni .ft*, 
plus haut 5 & Ton a vu que ces deux Au- bert, 
teurs font , avec Rutebeuf , lqs premiers qui 
aient fait en Fiance , ou du moins les pre- 
miers dont il nous foit parvenu des Pieces 
dramatiqiies. 

{ c , Les cheveux de la mifnne qui an- 
jourSJiui mi paraiffent noirs & pendans , me £f 



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nCi Fabliaux 

femblaitnt dots blonds , luifans & bouclis. J 
J'ai deja prevcnu qu'on ne voyait loues dans 
Us Fabliaux que les bcauces blondes : ici 
voila des cheveux noirs regardes comme une 
marque de laideur. Ccpendant avee des che- 
veux blonds & des yeux bleus , le Poete 
donne plus bas 4 fa Belle des fourcils 
i>runs» 




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C U C O N T £ $• l£j 



LES C R O I S A D E S. £K? ■ 

Alias 

DISPUTE DU CROIsi ET DU NON-CROIst 

Cette piece , fur lejujet de laquelleje m'interdis 
toute reflexion , eft remarquable par fa forme ; 
front compojee de trente couplets , chacun de 
huh vers , Jur deux runes croiJe%s qui font al- 
ter nativement , excepti dans quatre ftrophes , 
tnafculine & feminine, Les cinq premiers cou* 
f lets ft trouvent employe's pour Vexpofition; les 
pingt-cinq autres font prononce's par les deux 
Intcrlocuteurs 3 qui tour-d-towr en difentchacw 
tm , ou chacuu deux* 



J e mc promenais a chcval 1'autre jour 
( c'&ait vers la Saint-Remi , ) & je mar- 
chais tout penfif , fongeant a nos pauvrcs 
Chretiens d'Acre , que rennemi prefTe , 
& que les Chreaens d'Europe abandon- 
nent. Cette penfte douloureufe m'affc&a 
fi fort, que fans m'en appercevoir jo 



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1^4 Fabliaux 
# m'egarai. Revenu a moi , & cherchant 
quelqu'un qui put mc remettrc dans ma 
route , je vis par hafard fortir cTune 
maifon peu eloignee deux Chevaliers , 
qui apres leur fouper, allaient refpirer 
l'air de la campagne ( b ). lis s'affirent 
au pied d'une haie & cauferent avec affez 
de chaleur. Comme la haie nous feparait 
& que je pouvais tout entendre fans etre vu, 
je m'approchai , j'ecoutai un inftant. Uun 
des deux avait pris la Croix ( c ) 3 il 
exhortait fon compagnon a fuivre Con 
cxemple, & lui parlaft ainfi. 

Vous favez , bel ami , que Dieu vous 
a donne* une ame raifonnable capable 
de difcerner & le bien & le mal , & 
qu'il vous a promis , fi vous pratiques 
ce qu'il ordonne , une grande & magni- 
fique r^compenfe. Or il vous offre en ce 
moment l'occafion de la marker, Vous 
n'ignorez pas en quel &at fe trouve la 
Terre-Sainae. Le Royaume de Dieu eft 
en proie aux Infideles. Si nous avons 
quelque courage , venons-nous de fang- 
froid une profanation pareille $ & pou- 
yons-nous mieux employer qu'a fa gloire 



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O \f CONTBS. l6$ 

la vie & les biens que fa main nous a 
donnas (<0. 

Je vous entends, repondit l'autre. Vous 

voulez , n'eft-ce pas , que pour ailcr , 

£ii prix de mon fang , reconquerir un 

pays lolntain , dont on ne me laiiTera riea 

quand on^en fera le maitre , j'abandonne 

ici & que je laifle en garde aux chiens 

mon heritage , ma femme & mcs enfans \ 

J'ai fouvent entendu dire , ce que tu 

liens , gardt'le. Ce mot a un grand 

fens. 11 me dit que ce ferait foUe de 

quitter cent fous pour en aller gagner 

quarante en folde. Dieu ne nous enfeigne 

nulle part a femer ain£ 5 & qui fait ce 

meuer , court grand rifque de finir par 

avoir faim. 

Lfc C a 01 s I. 

Vous naquites nu du fein de votre 
mere , & cependant vous, voila grand , 
fort & bien vetu. La Providence a pourvu 
a tout. OubUez-vous d'ailleurs que Dieu 
rend au centuple ce qu'on perd pouf lui , 
& ignorez-vous que ce n'eft pastrami- 
teraent qu'il donne fon Paradis (e). 



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3 66 Fabliaux 

Le No n-C r o i s e. 

Ami , jc vois tous les jours des gens 
qui out travaille* toutc leur vie & fm£ 
fang & eau pour amafTer quelquc chofc. 
On les envoie pour leurs p£cWs a Rome , 
en Afturie (/) , je ne fais ou ; & j'ignore 
ce qu'on leur fait dans ce pays-li : mais 
je les vois tous enrevenirnus, &n'avoir 
plus ni valet ni fervante. On peut fervir 
Dieu ici comme a Rome & menter Pa- 
radis fans courjr fi loin. Vous croyez , 
vous , quil faut ppur cela paffer la mer 5 
& moi je tiens que ce n'eft pas etrc 
fage que d'aller bien loin fe faire le fervi- 
teur d'un autre , tandis qu'on peut de 
meme chez foi gagner le Ciel & vivrc 
en paix dans Ton heritage. 

Le C r o 1 s i 

f Ce que vous dites eft tel que je ne 
dois pas y repondre feneufcmait. Vous 
penfez done vous fauver en riant & fans 
peine 5 tandis qu'il en a coutd la vie aux 
Martirs , & que tous les jours vous 
voyez des p&utens renoncer a tout , alk* 



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OU CONTES. l£# 

fc'enfevelir dans des Monafteres , & n$ 
croire jamais en faire affez pour merited 
la recompenfe qu'ils attendent. 

L E N O N-C R O I S E. 

/ Sire , en honneur vous parlez tres-* 
bien ; mais que n'allez-vous precher tous 
ces riches AbWs , ces gros Doyens & ces 
Prelats qui fe font vouis a fervir Dieu t 
Quoi 1 ce font eux qui ont ici bas tous 
fes biens 5 & e'eft nous qu'on vient ex- 
horter a aller le venger \ Convenez-en , 
la chofe n'eft pas jufte. Helas I peu 
leur importe la grele ou l'orage 5 les reve- 
xms leur viennent en dormant. Ma foi , 
fie'eft par ce chemin qu'on va en Para* 
&s , ils ieraient fous de le changer 5 cai? 
je doute qu'ils en trouvent un plus doux« 

Le Croise. / 

Laiflez-la les Pr&ats & les Pretres „' 
& confidcrez le Roi de France qui , depo- 
sit fes enfans entre les mains de Dieu(#) y 
va expofer fa vie pour lauver fon amc." 
H quitte bien plus que nous afTur^ment | 
& neanmoins rien ne L'arf£te. 



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*i6B Fabliaux 

Lb Non-Crois£. 

Mon ami , je dors touteS les nuits en 
paix , je ne fais tort a perfonne , je vis 
bien avec tous mes voifins ; & par Saint 
JSerre , fi cctte vie vaut celle d'aller an 
loin obeir a un autre , je veux encore 
la mener quelque temps , & rire ici 8c 
chanter avec eux. Pour vous , qui vifant 
aux hauts faits d'armes courez abattre 
outre-mer l'orgueil du Soudan votre mai- 
tre , dites-lui , je vous conjure , que je 
me ris de fes projets & de fes menaces. 
S*il vient me troubler dans mes foyers , 
oh i alors je faurai me defendre : mais 
s*il refte chez lui , qu'il ne craigne rien, 
je n'irai certe$*pas rattaquer. 

L e C r o i s i. 

Vous ne parlez que de vie & de di- 
. vcrtiffemens. Eh 1 croyez-vous done vivre 
coujours ? Peut-etre votre terme eft-il 
proche ? Buvez , mangez , enivrez-voik j 
demain , aujourd'hui peut-£tre , vous ne 
ferez plus. La Mort marche au milieu 
dc nous , la maflue levee 5 jeunes & 

Yieux , 



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O U C O N T E $• \6§ 

vieux , elle renvcrfe a fes pieds tout ce 
qu'elle rencontre. Si par hafard elk vou* 
menac^ait , que de reproches en ce mo* 
ment votre confeience aurait k fe faire ! 

L E N O N-C ROISE. 

Sire Croife* , il y a des chofes qui m'e*-» 
tonnent toujours. Beaucoup de gens y 
grands & petits, fages & honnetes ,,vo«t 
dans ce pays que vous vantez tant. lis 
s'y conduifent bien , je n'en doute pas ; 
leur ame en eft fan&ifie'e , allurement. 
Cependant ( & je ne fais comment cefa 
arrive) , quand ils en reviennent ce font 
des mcchans& des bandits (A). Au refte, 
je le Tepete , fi Dieu eft par-tout , il eft 
audi en France 5 & il ne s'y cachera pas 
expres pour moi. D'ailleurs je vous dirai 
a Poreille que je paffe hardiment un 
ruifleau 5 mais* il y a tant d'eau depuis 
Acre jufqu'ici , & elle eft fi profbnde 
que , fi j'y plpngeais par accident, j'aurais 
peur d'y rafter. 

L E C R O I S E. 

Encore une fois , vous ne parlez qut 
Tome II. K 



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170 Fabliaux 
de vivrc , & vous # ne fongez done pas 
qu'on meurt ? Que deviendrez-vous quand 
arrivera ce moment } Voulez-vous ref* 
fembler a 1'animal de votre e* curie , qui 
finit d'exifter fur fa paille 1 Ah ! mon 
ami , penfez a l'Enfer 5 & noubliez pas 
que pour fauver fon ame , il faut perdre 
fon corps & renoncer a fa femme & a 
fes enfans. 

L E N O N-C R O I S £. 

Sire , vous m'avez convaincu. Je me 
rends a votre Eloquence tranchante , 8c 
confacre a Dieu ma vie & mes plaifirs. 
Au nom du Roi de gloire qui , pour 
nous racheter , fe fit une mere de (a 
creature, je veux prendre la Croix comme 
vous & meriter de voir la-haut tant de 
merveilles. Car qui ne ferait rien pour 
y entrer , ii ferait bien jufte qu'il reftat 
a la porte (/). 

1 ■ 

NO TE S. 

( a , Ruteleuf. ) Ce Fablier , Pofe'te & Me- 
ijiccrier en meme terns , ne mourut que vert 



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OU C O N T E S. 171 

T3IO-; il floriflait fous S. Louis , auqucl 
mcoic plufieurs morceaux dc fes poefies font 
-adrcflcs. 

( b, Qui aprfo fouper allaient refpirer Vair 
dc /a campagne. ) Commc on foupait de 
tres- bonne heure , ainfi que je i'ai d6ja remar- 
que , les Gens de qualite fe promcnaient or* 
dinaircmenc a vane de fe couchcr. On a vti 
dans Je Lai de Lanval , que e'eft a Tune de 
ces promenades d'apres fouper qu'arrive l'aven- 
ture principale du beros. 

( c , Vun des • deux avail pris la Croix* ) 
Tout le monde fait que ceux quife vouaient 
aux gueres faintes de ce terns allaient prendre , 
des mains des Prelats ou des Abbes, une 
Croix qu'ils coufaient fur leurs habits entre 
les deux epaules , ou plus ordinairement fur 
l'epaule droite 5 & que e'eft de 14 qu'ils s'ap- 
pellerent Croifis. Dans les guerres contre lef 
•Albigeois , on portait la Croix fur la poitrine . 
pour fe diftinguer des Croifes d'outre-mcr. 

( d , Verrons-nous de fang froid une pro- 
fanation pareille. f Et pouvons - nous mieux 
employer qu'd fa gloire la vie &• les liens que, 
fa main nous a donnes. ) Tels etaient cxac. 
tement , & prefque mot pour mot , les 
jnotifs qu'alleguaienc alors les Predicatcuri 

K x 



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172 Fabliaux 

dans lcurs Sermons , & les Papes dans lcurs 
i pi eur : letcres pour exhorter aux Croifades \ Rute* 
t. xvi , beuf parait n'avoir. fait qu'analifer lcurs 
del'Hift. ra if ns. 

Eccl.Pr. ~ , - . ,.. , 

p 'I (e , Ce n eft pas gratmtement qu u donne 

fon Paradis ). II y a enfuite dans Tociginal : Les 
Princes des ApStres ne crurent pas tropj aire , 
en mow ant poUr le mcriter : le fecond Che- 
valier re pond : Ces deux ApStres ctaient des 
fots* J'ai fupprime cette impiete fans efprif 

(f, On les envoie pour leurs fechis en Af 
turie, ) Apparerament qu'il y avait alors dans 
cecre Province un pelerinage celebre , qui 
■n'eft plus connu aujourd'hui ; ou peut-ccre 
que le Fablier , par une ignorance crop com- 
mune aux Poe'ces de fon rems , aura place 
dans les Afturies S. Jaques de Cornpoftelle , 
qui eft en Galice. 

(g , Confide'rei le Roi de France qui 
depofantfes enfans entre les mains, de Dieu ..) 
Le Roi done il s'agit ici eft Saint Louis. U 
avaic , quand il panic , crois enfans 5 deux 
gardens &c une fille ? qu'il laifla fous la tu- 
tclle de la Reine Blanche fa mere. 

( h , Quand Us en reviennent , ce font des 
biichants & des bandits, ) Ce n'eft pas ici un 
frail de fatire de Rucebeuf. Les Auteurs dt* 



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DU CONTES, 173 

tCmr font aux Croifes les m£mes reproches 
.que lui 5 & il n'y a chez tous les Hiftoticns 
qu'un cri concre leurs defordres. Je ne jiris 
pas Jurpris quHls foient vaincus , difaic Sala- 
din leur cnncmi : Dieu ne^peut ace order la x 
vicloire d des hommes Jl vicieux. 

(i ) Si j'ofais hafarder fur cetce piece une 
conje&ure , qui pourraic , felon moi , y 
ajouter quelqu'interet : je dirais qu'elle me 
feniblc avoir ete faite en 1146 , quand 
Saint - Louis ayant pris la Croix , fit voeu 
duller a la Terrc - Sainte. On fait que ce 
yoyage , contte leqUel les regies de la verita- 
ble prudence * pouvaient faire beaucoup d'ob- » rr-« j. 
je&ions , fut aflez generalement defapprouve 5 Fnparle 
que la Keine Blanche employa tout, larraes- PfreDa* 
& prieres , pour PempSchet^ que l*Eveque de m€ * 
Paris chercha lui-m£me & en difluader le 
Jloi , &c. Rutebeuf paraic avoir voulu auffi 
lui en montrer les inconveniens 5 & il s'y prend ' 
d'une maniere , fort ingenieufe pour fon 
terns , en fuppofanC deux inrerlocuteurs qui 
difputant fur les Croifades , 6 talent ainfi ce 
qu'on pouvait dire de raieux alors pour ou 
contre. Mais tandi* que Tun n'allegue jamais 
en leur faveur que des. motifs de devotion , 
i'aucre , deployant contre elles le farcafine, 



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174 Fabliaux 

le ridicule & la plaifanterie , les atwque en- 
core avec des raifons excellences. Le denoue- 
ment fur-tout , ou le Poe'te fait prendre le 
Croix au fecond Chevalier , me femble une 
chofe aflez adroite. II ne pouvait menager 
avec plus de refpeft la conduite de fon Sou- 
Veraio , ni fe mettre plus surement lui-m£me 
hors de route atteinte. Mais cette converfion 
fubite , qui d'ailleurs ne detruit pas une feule 
raifon , vient fi brufquement 5 & elle eft 
enoncce mSme dans l'original d'une maniere 
£ burlcfque que , loin de produire quelque 
impreflion fur le Lefteur , elle ne fait que 
le revolter. 

Rutebtfuf , quand i\ vit U Monarque refter 
Ssebranlable dans fa reTolution , changea de 
ton fans doute pour lui plaire 5 car j'ai vu 
cle lui quelques Pieces ou il exhorte tres-ferieu- 
fement aux Croifades. Cette , bade flatterie 
n'eut aucun fucces : il paraic par plufieurs 
endroits de fes poefies qu'il yecut pauvte & 
miserable. 



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O U C O N T E S. • ijf 



LE SONGE D'ENFER. Par 

Raoul del 
Alias Houdan^ 

ft^LE CHIMIN D'ENFEIL 



Fauchet en park. 



E, 



in Conge doivent fc trouver fables. 
Je revai un jour que je me faifais Pte- 
rin , & que , jaloux de voir des pays que 
d v autres n'avaient pas connus , je voulais 
voyager en Enfer. 

Au debut de ce Fabliau, en n'imaginerait 
gueres que e'efi une piece fatirique. Ce que je 
va\s en extraire Jbffira pour faire connattre 
mix Gcns-dc-Lettres comment on maniait la 
fatirt au XIII* Jiecle, De plus longs details fur 
des Bourgeois oifcurs dont les noms ne nous 
inter ejfent plus , feraient d coup stir ennuyeux. 

Le Poete arrive d'abord a la ville de 
Convoitife, ou il trouve Enyic * Ay aria 



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i7§ Fabliaux 

& Rapine. Avarice luwkmande des nou-» 
velles de fes fujets ; il repond que les ri- 
ches ontchafR Largeffe de defTus la terre, 
& qu'on n'y en connait plus que le nom. 
Rapine l'interroge fur les fiens $ il lui 
apprend que le Royaume qu'elle a etabli 
en Poitou eft toujours floriffant , & a ce 
propos il fait une fortie contre les Poite- 
vins. Plus loin il rencontre la demeure de 
Filouterie qui lui fait quelques queftions 
fur certains Parifiens , Gautier Morel , 
Jeanie Boflu d'Arras ,' Bojon & Fardoil- 
liez ; fur Charles & Marie de la Loge , 
deux Bourgeois de Chartres , fes prote- 
ges y fur un Michel de Troille , un Sal- 
vage , & d'autres gens adroits quipojfle*- 
dent le fecret d'etre toujours heureux au 
jeu. Il rdpond que ces deux derniers font 
aux troufTes d'un nomm£ Girard. Quant 
aux deux Bourgeois de Chartres, ce qu'ils 
aiment le plus apres fargent , dit-il , e'eft 
Marie & Chaillo ( deux femmes de la ville 
(ansdoutc ). Raoui vientenfuite a Ville- 
Taverne ou il trouve Yvreffe avec fon fils 
nit en Angle terre. Ce jeune homme eft fi 
jrigoureux qu'il renverfe les plus forts {d}+ 



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O V C O N T E S. I77 

De-la, notre voyageur paffe chcz Forni- 
cation^ dont la maifon s'appelle Chatel- 

B , > enfin il arrive a la porte d'Enfer 

qui «ft gardee par Meurtre , Pefefpoir & 
Mort-fubite. Il eft furpxis , en entrant , d'y 
trouver des tables toutes fervies, & ce- 
pendant la porte ouverte $ coutume bien 
e'trangere en France , dit-il , oii chacun 
maintenant s'enferrhe pour manger & ne 
revolt perfonne a moins qu'il n'apporte. 
Ce jour-Ule Roi d'Enfer tenait fa Cour. 
U avait paffe par Vernon & faifait le foir 
la revue de tous fes Sujets. Dans ce nom- 
bre dtaient force Clercs , Evequcs & Ab- 
Ws. Il fait afleoir tout le monde a fa table 
& y invite le voyageur auquel il fait 
fervir de la chair d'Ufurier & de Moine 
noir (b) y engraiffes , l'undu bien d'au- 
trui , l'autre de faine'antife. Comme notre 
Pelerin ne mange point , Belzebut caufe 
avec lui & l'interroge fur les motifs de 
fbn voyage. Vers la fin du repas , le Mo- 
narque fe fait apporter fon grand livre 
noir fur le'quel font Merits tous les peckes 
faits'ou a faire- Il le met entre les mains 
flu voyageur qui 1'ouvre , & qui tombant 



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178 Fabliaux 

fur le chapitre dcs Menemers , y trouvc 

e'crite la vie dc chacun d'eux. Jc l'ai rc- 

tenue par coeur , dk-il, & fuis en e'tat 

dc vous en reciter quclques Iraits curieux. 

Mais tout-a-coup il s'eveille , & le Come 

fink. 

Dans la verjion du manufcrit&u Roi, n© 761 y, 
Us Demons , apris s'itre bieri divertis , moment 
d cheval 6» vontfur la terre chercher dt nouvelles 
proies, Dans le manufcrit de S. Qermam , tous 
Us ddtailsfont dijfc'rens 5 perfonne iCefi nommi ; 
cefont Us picMs des hommes en general que It 
Voyageur voit dans le Livre Noir, b il n* eft fait 
rmlle mention des Mcne'triers* 



NOTES. 

(a ,11 trouve Yvrcflc avec fin fils ni en An- 
glttzrre. Ce jeune homme eftfi vigoureux qu'il 
renverfe Us plus forts ). L'Auteur dit ici qu'il 
lui fallut fc battre & lutcer avec ce fils , comme 
sHl fk'entrt dans Guingamp & dans Ruititr. 
On fait quel a etc de tout terns le gout dcs 
Bretons pour la lutte > encore aujourd'hui en 
vigueur dans la partie de cette Province qu'on 
nomme Bafle-Bretagne. Appareimnent que Jet 



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O U C O N T £ S. I79 

liabitans de Guingamp excdlaient dans cct 
art , & que , jaloux dc conferver leur reputa- 
tion , quand un etranger entraic dans leur 
ville , les plus habiles d'entt'eux fe detaefcaient 
pour venir le d 6 tier & lutter avec lui. Au 
lieu d'Huitier, un maftufcrit porte Yticr. Je 
ne connais point de ville qui porte Tun ou 
l'autre de ces noms. , 

( b , On lui fait fervir it la chair d*UJurier 
& de Moint noir ). On partageait rous les 
Moines en deux clafles , les noirs & les bland , 
qu'on diftinguaic par la couleur de leur habit 
& la difference de leur Regie. Ceux-li fuivaiei\c 
cells de S. Benoit , & ceux-ci celle qu'on ap- 
pelle de S. Auguftin. L'Autear fe declare ici 
contre les premiers 5 fic^'ai vu avec furprife 
dans millc endroits des p 06 fits du terns , le 
meme acharnement contre les Moines noirs , 
tandis que les b lanes 6taient formellement dif- 
tingucs. Je me concente de citer ce fair fur 
lequel on nc.fera que crop de rlflexions* 



3? 



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tPar R u . 
cbcuf. 



180 Fabliaux 

LE CHEMIN DE PARADIS* 



E X T R A IT. 



J— TAuteur , comme cclui du Fabliau 
prudent , a un reve dans lcquel il veut 
entreprendre le voyage de Paradis. Le 
chemin en el): dtrok y raboteux & fati- 
guant. Beaucoup de gens , rebutes , le 
quittent pour en prendre un autre fur la. 
gauche , qui eft agreable 8c feme* de 
fleurs , mais qui .conduit a un abime* 
Pour lui il eantinue fa route & arrive k 
la*ville de Penitence^ ou iltrouve Vi6ti p 
laquelle s'offre a Paccompagner , tanc 
pour lui fervir de guide , que pour lui 
apprendre a fe garantir des diiKrens en- 
nemis qu'offrira le voyage. 

Le premier qu'ils rencontrent eft Or-* 
gucil dont le palais, bati fur une Emi- 
nence & ornE par-devant d'un frontifpice 
magnifique, par-derriere tombe en rui- 
nes. Habile tantot en Eveque , tantot en 

Archidiacre, 



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6 U C 0-N;T E 5. l8f- 

Archidiacre , en Prcvot memc & en 
Bailli ( a ) , il dedaigne tout le monde , 
quoique fouvent fon infolence lui ait at- 
tire de cruelles humiliations. Ses courti- 
fans font vetus de foie ^carlate ( b ) & 
portent en tout terns fur la t&e un riche 
chapel (c)> II les fixe aupres de lui en 
leur promettant des dignit& & des hour 
neurs. 

Plus loin eft Colere , le vifage rouge , 

les yeux enfiammds , grin^ant des dents 

& dans fa rage fe d^chirant & fe frappant 

clle-meme. 

Au detour d'un vallon il voit Avarice* 

EUe a de vaftes prifons dans lefquelles 
'elle tient renferm^s fes fujets , maigres 

& pales , affis fur des monccaux d'or 

qu'attire un aimant particulier ( d ) , dont 

(sl maifon eft couverte. 

Au milieu de 

Emmi la falle fur un coffre 

trifie 
Eft affife mate fif penfive e). . 

Chez elle tout eft terme* a double feu* 
xuie ? 6c Ton n'y entre que par unc 
Tome IL L 



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282 Fabliaux 

feulc parte , dont die tient toujours \% 
c\L 

Tout au fonds de la valine s'eft retiree 
i*Envie qui , felon Ovide (/) , dit l'Au- 
teur , tient en main des Terpens dont elle 
luce le venin. Toujours cachee dans Tom- 
ire , elle n'en fort que pour venir fecret- 
"tement epier fe voifins. Si alors elle en- 
fend des gemiffemens & voit couler des 
Jarmes, elle eft dans la joie; mais s'ils 
rient ou slls chantent , elle pleure & fc 
retire. ' 

Pres d'elle eft le. fejour de Pareffe, ha* 
billee en Chanoine. "Du lit oii elle eft 
couchee , elle entend le bruit des cloches, 
qui Tappellent a Teglifc 5 elle maudit 16 
fonneur & ne voudrait jamais & levet 
<|ue pour fe mettrc a table. 

Gourmandife , quoique malade encore 
d'une indigeftion qu'elle a eue la velUe , 
ne fonge cependant qu'a retourner a la 
taverne. Elle eft entouree de Moines & 
de Pretres. 

Plus loin enfin eft un manoir ou Ton 
n'entre qu'avec home , ou Ton refte cache* 
ttans les tenehrcs , & iod Ton ne fort 



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6tJ CoNTES. 1% 

que m&ontent. Lc Portier rebute ceu* 
qui s'y preTentent les mains videsj il 
ouvre a ceux-la feuls qui apportent. La 
MaitrefTe les accueille, mais c'eft pour 
les voler. Us y font vertus a cheval^ ils 
s'en rctournenc a pied. AulG trcs-rarement 
y reviennent-ils deux fois ; ou fi Ieur fai- 
blefle les y entraine , ils fa vent que c'eft 
fe preparer un reperitir. C'eft le fejour 
de la Luxurc. 

Rutebeuf apres avoir traverft heureu- 
fement lc quartier des Vices , arrive enfiii 
dans cclui des Vertus. Il voit Liberaiitc 
qui eft mourante •> Franchise dont la mai- 
fon eft prcfque deTerte , &c. &c. Enfin il 
parvieric cfiez Confeflion oii il voulait 
aUer ; 6c c ? eft-la ce qu'il appelie la vote 
de Varadis* 



NOTES. 

( a , RailH ). Quant Tart de la chicane fe fuc 
t*«fcdicmne & -que Petude ~des lpix 6tant de- 
tcnue plus di/ficile,les Grands^ Seigneurs, par 
leur ignorance , ne furent plus en ecac d« 
tcndie cux- mimes la juflTicc a leurs Vauaux, 

L & 



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184 Fabliaux 

ils chargerenc de ce foin des Officiers aux-* 
quels ils confierent la Baillie ou tutele da 
Jeurs domaines. Ces places de Baillis ou Se- 
ncchaur etaienc dans l'origine tres-impor- 
tames j car en meme-tems qu'ils jugeaienc les 
Vaflaux de Seigneur , ils les conduifaienc a la 
guerre quand le cas l'exigeait , & recevaicnc 
Ces revenus 5 ce qui me tea it a la fois dans 
leurs mains les armes , la -juftice & les finan* 
ces, Les abus qui en refulccrenc furent caufe 
qu'on ne leur lauTa que l'adminiftracion de la 
juftice 5 & encore ces Officiers d'epee y etanc 
devenus inhabilss & s'ecanc choifis eux-rnemes 
des Lieucenans pour les rcmplacer, on trans- 
fera aux Lieutenans coute l'aucorite de la 
charge done ils ne conferverenr que quelques 
droifs honoriflques. 

( h , Ses courtifans font vitus de foie icar- 
late ). L'ecarlate , comme la couleur la plus 
precieufe , fe trouvant afrettee exclusive* 
mene aux Princes , aux Chevaliers & aux 
femmes de grandc qualitc , on conviendra que 
e'eft garder le coftume que d'en habiller la 
^ Cour d'Orgueil. Le mot rouge done nous 
* Mint* avons form6 celui de rogue , s'eft pris long* 
furlaCh. terns pour fier & hautain ' 



r. t 



P * .l c * Portent en tout vejnsfiir la tfa un rUht 



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OU CONTES, l8| 

ehapcl). On a vu ci-deflus.dans la note fur 
les chapels , que les Princes en porcaient un 
dans les jours d'appareil. 

( d > JJJis fur des monceaux d*or qu'attire un 
almant particulier dontfa maifon eft couverte )-. 
On connaifiait alors non-feulement , comme 
le prouve ici le Fabliau , Pattra&ion de Pai- 
mant , mais encore fa direction , ou autremrnt 
la propri6t6 qu'a une aiguille aimantee , libre , 
de fe mouvoir, de diriger une defes poincesvers 
le Nord. On ignore PAuteur & le terns precis 
de cecte decouvcrte imporcante & laquelle nous 
devons 1© ; perfe&ionnement de la navigation 
& la connauTance d'un nouveau Monde ; mais 
cllc cxiftait deji au terns de nos Fabliers. On 
en trouve la preuve dans une piece tres-fati- 
rique , intitulle Bible , ecrite vers la fin du 
Xlle iiecle par un certain Guyot de Frovins; 
& non , ainfi que l'a dit par inadvertance PAu- 
uur de Particle Bovjfole du Diclionnaire En- 
cyclopedique , dans le Roman de la Rofe,poC* 
terieur de pr£s d'un fiecle. Comme ce paflage 
deji connu des Savans , mais mal cite par la 
plupart, pourra faire plaifir au plus grand 
nombre de mes Lcfteurs , je vais le rapportet 
Jci , quoique Stranger au Conte de Rtttebeuf. 
J'ai demand^ plus haut la permiffion de rendrq 



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j8$ Fabliaux 

>nftru#if & utile un Ouvrage qui , par fa nature 
faic pour £t:e agreablc , pourrait bien , par lcs 
defauts de fes fujets , ne pas 1'ctrc toujours. 

Guyot , apr£s avoir d6clame contre tous let 
Etats , inveftive coucre la Cour de. Rome, Le 
tape , felon lui, devraic £tre pour tous lea 
Fideles ce qu'eft pour hs Matelots la Trc^ 
montaigne ( Tecoile polaire ) ; ils one toujours ,~ 
en mer , les yeux £x6s fur elle, Lcs autres 
ecoiles , dit-il , tourneni & circulent fans ce(T<j 

dans le Ciel ; clle feule eft invariable & les 

guide suremenr, 

Ils fe font 7 outre tela , par 1« 
•vertu de la Mariniert , up an qui 
ne peut les troraper, Ils ont upq 
pierre hide & brune qui attire le 
fer. Ils tichent de trouver Tea 
p61es, & y frottent une aiguille 
qu'ils couchent fur un brin do 
paille, & qu'ils raettent ainfi, fans 
plus d'appret , dans un vjfe plein 
d'eau. La paille fait furnager Pat- 
guille , & celle-ci tourne fapointe 

. • . z • . vers r&oile polaire. Quand lamer 

Quant la mer eft obfeure & brune , eft couverte de tenebres & qu'on 
Quant ne voit eftoile ne lune , ne voir plus dans le oiel ni la lune 

DontfontaPaguilealumer; ni les etoiles, ils apportent une 

VuU n'ont y garde d'efgarer. lumiere pre* de Taiguille, & ne 

craignem plus de s'egarer. 



Un art font qui mentir ne puet 
Par la vertu de la Marnicre, 
Vne pierre Iaide 6c bruniere 
Oh li fers volontiers fe ioint 
Ont ; fi efgardent le droit point : 
Puis c\me aguile i ont touchie 
Et en un feRu l'ont couch ie , 
lin Peue la metent fans plus s 
Et li feflu la tient defus. 
Puis fe tourne la pointe tonte 
Contre Peftoile • , • . . 



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O V C O N T E S. I?? 

On reconnait dans cettc description unc in- 
vention naiflante , groffiere encore & impar- 
faite. Rarement en raer le vaifleau devait Stre 
aflez ttanquille pour qu'on put employer ce 
vafe plein d'eau & cette aiguille fi aifee a fe 
<lcranger, Aufli voit-on par le paflage meme 
qu'on ne s'en fervait que quand le ciel etait 
couvert , & que le$ matclots ne pouvaient 
confulter les aftres. Dans tout autre cas , ils 
dirigeaient leur route d'aprk l'infpe&ion de 
l'6toile 1st plus voifine de notre p61e. 

Ceft en cet etac d'imperfe&ion que les Eu^ 
ropeens trouverent la bouflble a la Chine 
quand leurs flottes pour la premiere fois abor- 
derent dans ce Royaume : mais fi nous la de- 
vons aux Chinois j il eft sur au moins que ce 
n'eft pas Marco-Paolo qui Ta apportee en Eu- 
rope , comme le croienc quelques Auteurs , 
pujfque ce Venitien ne fit fon voyage qu*au 
XIH e fiede , & que Guyoc caivaic dans le 

xn e . 

Quant au Napolitam Gioia auquel on fait 
communement honneur de cette decouverte » 
f ignore fur quoi Ton peut fonder fes droits ; 
il ne naquit qu'en igoo. 

Les pretentions de quelques Italiens qui en 
artribuenr la gloirc i leur Nation , fondes fu$ 



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t88 Fabliaux 

h mot Bojfola tire dd leur langue r nc mSti-a 
tent pas d'etre refutees (erieufement. On in- 
venta la bo'ete dans la fuite ; on vient de voir 
que du tcms de Guyot elle n'exiftait point en- 
Core : mais quand me*me elle ferait due aux 
Italicns, ce ne ferait pas-la* un titre pour pr6- 
tendre i la decouverte de l'inftrumcnt lui-me*me. 
Cependant il faut avouer que celui, quel qu'il 
foit , qui le premier plac,a Air un pivot l*ai- 
guille aimantee , qui fenferma dans une boe'te 
itllement fufpendue , que malgre tous les mou- 
^emens du yaifloau , elle garde toujours une 
(ituation horifontale, doic ttrc cenfe le veritable* 
inventeur de la BoulTolc , puifque ce n*eft qu*i 
ce moment qu*elle a commence d'etre verica- 
blement utile pour la navigation. Des aiguilles 
du XII« fiecle & celles-cl il n'y avait qu'un 
pas 4 faire; & cependant quels eflfets prodl- 
gieux cette difference fi legere n'a t-elle pas 
produits i 

On lit dans un ouvrage infinknent eftima- 

* Mem. ble * , en patlant du morceau que je vlens de 

d * V *c. c j ter ^ quc Guyot appelle la Bouflble , Tre 4 - 

r. xxi ' montaigne. L'Auteur n'entend par-li que Pe- 

p. X£3« tpijc que nous nommons Polaire , la Tra~ 

montana. des Italiens. II nomme mariniere 

| mewiert par abr6viauon pour fait? foa» 



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ou Contis. iffff 

rers ) Paiguille aimantee dont fc fervaicnt le* 
Marinhrs* 

( e , Emmi lafallt fir un coffre eft ajfife matt 
& penjivt ), 

Et rintlrlt , cc vil Dieu de la Terrc , 
Trifte & penfif aupres d'un coffre forr , 
Vend le plus faible aux crimes du plus fotu 

• Ceux qui ft rappelleront le Poeme ou fe 
trouvent ces vers , fans foup^onner plus que 
moi leur Autcur d'avoirlu Rutebeuf, admire- 
ronc comment la mfime image s'eft prefentee 
•dans deux t£tes fi differences. 

( /, VEnvie qui felon Ovide, uent en main 

des ferpens ). Voici un Fablier qui a lu & qui 

cite 5 on en verra encore quelques exemples , 

mais lis font tares. II parait m&me ici que 

Rutebeuf avait voulu compofet & peindre dans 

le gout des Anciens. Ses tableaux allegoriques 

montrent ds Pefprit , de rimaginacion ; & on 

y ttouve disjefti memhra Poeta. C'eft de tous 

les Poeces fut lcfqucls j'ai ttavailU , celui qui 

gagne le plus a etre extraic* 



3S 



m 

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x^o Fabliaux 
c^D U VILLAIN 

QUI GAGNA PARADIS EN PLAIDANT. 



u, 



N Villain mourut 5 & , cc qui peat- 
foe jamais n'arriva qu'a lui foil , pcr- 
fonnc au Ciel ni aux Enfers n'en fut 
avcrti. Vous dire comment cek fe fit, 
je ne le faurais. Ce que je (ais fculc- 
ment , c'eft que par un fci£ard lisgulier 
ni Anges ni Diables , au moment qu'il 
rendit fon ame , ne fe trouvercnt-la potir 
la reclamer. Seui done & tout tremblant, 
le Villageois partit fans guide; & d'a- 
bord , puifque perfonne ne s'y oppofait, 
il prit fon chemin vers le Paradis. Ce- 
pendant comme -il n'en connaiilait pas 
trop bien la route , il craignait dc s'e- 
garer 3 mais heureufement ayant appercu 
l'Arcange Michel qui y conduifait mi Ela, 
il le fuivit de loin fans rien dire , & 1c 
fuivit fi bien qu'il arriva ea m&ne-tems 
que lui a la porte. 



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OU CONTBS. 191 

S. Pierre , de*s qu'il entendit frapper , 
ouvrit au bel Ange & a fon compagnon j 
mais quand il vit le Manant tout feul : 
„ Paffez , paffez , lui dit-il , on n'entre point 
„ ici fans conducteur , & Ton n'y veut pas 
„ de Villains. Villain vous-meme , r£- 
„ pondit le payfan. Il vous convient bien 
„ a vous qui avez renic par trois fois notre 
„ Seigneur de vouloir chaffer d'un lieu 
,i od vous ne devriez pas etre , d'hon- 
„ netes gens qui peut-etre y ont droit. 
„ Vraiment voila une belle conduite pour 
9y un Apotre , & Dieu s'eft fait un grand 
„ honneur en lui coniiant les elds 4e fon 
„ Paradis „. 

Pierre , peu accoutume a de pareils dif- 
cours , fut tellemcnt etourdi de celui-ci 
qu'il fe retira fans, pouvoir repondre. Il 
rencontra S. Thomas auquel il conta naive- 
jnent la honte qu'il venait d'effuyer. Laif- 
fez-moi faire , die Thomas ; je vais trou- 
ver le Manant & &urai bien le faire d& 
guerpir. II y alia en effet , traira affez 
durement le malheureux & lui demanda 
de quel front il ofait fe prefenter au fi£- 
jour des £lus oil rientrerent jamais que 

L 6 



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192 Fabliaux 
des Martirs & des Confefleurs. " Eh I 
„ pourquoi done y etes-vous , repartit 1c 
„ Villain , vous qui avez manque* de fbi 9 
„ vous qui n'avez pas voulu croire a la 
„ ReTurre&ion, qu'on vous avait pourtant 
„ hien annoncee , & auquel il a fallu 
„ faire toucher au doigt les plaies du 
„ Refliifcite' ? Puifque les Mdcreans en- 
„ trent ici , je puis bien ! y cntrer , moi , 
99 qui ai toujours cru commc un bon FL* 
„ dele „. Thomas baiffa la t£te a ce re- 
proche , & fans attendre davantage il alia 
tout honteux retrouver Pierre. 

S. Paul , venu la par hafard , ayant en- 
tendu leurs plaintes fe moqua d'eux. Vous 
ne favez point parler , leur dit-il 5 & ju- 
rant par fon chef qu'il alha.it les venger 
& les d^barrauer du Villain , il s'avancc 
d'un air fier & le prend par le bras pour 
le chafTer. cc Ces facons-la ne me furpren- 
„ nent point , r^pond le Villageois. Per- 
„ fefcuteur ou efpion des Chretiens , vous 
„ avez toujours 6t6 un tyran. Pour vous 
„ changer il a fallu que Dieu ait deploy^ 
„ tout ce qu'il fait faire en fait de mi- 
„ racles 5 encore nVt-il pu vous gu&iu 



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OU COHTES. I93? 

„ d'etre un brouillon , ni vous empecher 
„ de vous quereller avec Pierre , qui pour- 
„ tant &ait votre chef. Vieux chauve , 
„ rentrez , croyez-moi 5 & quoique je nc 
„ fois parent ni de ce bon Saint Etiennc 
,. ni de tous ces honnctes gens que vous 
„ avez fi vilainement fait maffacrer , fa- 
„ chez que jc vous connais bien „. 

Malgr£ toute l'aflurance qu*il avait pro- 
mife, Paul fut deconcerte. II retourna 
auprcs des deux Apotres qui, le voyanc 
aufli m&ontent qu'eux , prirent le parti 
d'aller fe plaindre a Dieu. 

Pierre , comrae chef, porta la parole, 
II demanda juftice , & finit par dire que 
Tinfolence du Villain lui avait fait tant 
de honte qu'il n'oferait plus retourner a 
fon pofte , s'il croyait l'y retrouver en- 
core. Eh bien ! ;e veux aller moi-meme 
lui parler , dit Dieu. II fe rend auffi-tde 
avec eux a la porte ; il appelle le Ma- 
nant qui attendait toujours, & lui de- 
mande comment il eft vehu-la fans con- 
du&eur , & comment il a l'aflucance d'y 
refter aprss avoir infulte' fes Apotresw 
h Sire , ils ont voulu me chaffer , 8c fa* 



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*94 Fabliaux 

„ cru avoir droit d'entrer aufli-bien 
„ qu'eux ; car enfin je ne vous ai pas 
„ reine" , jc n'ai pas manque" dc fbi en- 
„ vers votre fainte parole & n'ai fait em- 
„ prifonner ni lapider perfonnc. Onn'eft 
„ pas recu ici fans jugement , je le faisj 
„ eh bien , je nVy foumets , Sire Dieu , 
„jugez-moi. Vous m'avez fait naitre 
„ dans la miferc j j'ai fupporte* mes pet- 
„,nes fans me plaindre & travailM toutc 
„ ma vie. On m'a dit de croire a votre 
„ Evangile 9 j'y ai cru. On m*a precne* je 
„ ne fais combien de chofes ; je les ai 
„ feites. Bref , tant que vous m'avez lailK 
„ des jours , j'ai tache* de bien vivr*. 8c 
„ n'ai rien a me reprocher. Venait-il chez 
„ moi des pauvres ? Je les logeais, je les 
„ faifais aneoir au coin de mon feu Sc 
„ je partageais avec eux le pain gagne* i 
„ la fueur de mon front. Vous favez , 
„ Sire , fi je vous ments en la moindre 
„ chofe. Des que je me fuis vu malade , 
„ je me fuis confe/Te & j'ai re^u les Sa- 
99 cremens. Notre Pafteur nous a toujours 
„ annonce* que qui vivrait & mourrait 
„ ainfi , Paradis lui ferait donne ; je viens 



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OU CONTES. l$f 

„ en confluence vous le demander. An 
„ refte vous m'y avez fait entrer vous- 
„ meme en m'appellant pour vous repon- 
„ dre ; m'y voila , j*y refterai : car vous 
>s avez dit dans votre £vanglile , fouve- 
„ nez-vous-en, il eft entre , quon Vy 
„ laijfe {a) : & vous n'etes pas capable dc 
„ manquer a votre parole. Tu Tas gagn£ 
„ par ta plaidoierie , dit Dieu , reftes-y » 
M puifque tu as fi bien fu parler* Voila 
„ ce que c'eft que d'avoir &e a bonne 
M &ole „. 



NOTE. 

(a) Jc ne connais point cc paflagc-U dan* 
rfjvangile. 




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496 Fabliaux 



D V JONGLEUR 

QUI ALLA EN ENFER. 
Alias 

• DE S. PIERRE ET DU JONGLEUR(*V 



X^/uand on fc melc de fairc rire,otl 
n'a garde, vous vous en doutez bien, <fc 
rejetter une idee jolie, lorfqu'elle vienc 
fe preTenter. 

A Sens jadis vivait un Mineorier, lc 
incilleur humain de la terre, & qui , pour 
un trefor , n'euc pas voulu avoir querellc 
avec un enfant > mais homme fans con- 
duite & d&ange" s'il en fur jamais. II paf- 
fait fa vie au jeu ou a la taverne , a jnoins 
qu'il ne fut dans des lieux encore pires. Ga-» 
gnait-il quelqu'argent? vite ii le portait-la. 
hTavait-il rien 1 il y laiilait fon violon 
en gage. Auili , toujours deguenille , tou- 
jours fans le fou, fouvent meme nus pieds 
#u en ckemife par la bife & la pluie , il 



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OU C O N T E S. • 197 

fbus eut fait companion. Malgre* ccla * 
gai, content, la tete en tout terns cou- 
ronn^e d'un chapel de branches vertes , 
ii chantait fans cefTe , & n'eut demande* 
a Dieu qu'une feule chofe , de mettre 
toute la femaine-en Dimanches. 

II mourut enfin. Un jeune Diable , no- 
vice encore , qui depuis un mois cherchait 
& courait par-tout pour efcamoter quel- 
qu'ame , fans avoir jufques-la , malgr^ 
tputes fes peines , pu re'ufftr , s'&ant trou- 
vd-la par hafard quand notre Violonneur 
trepafla , il le prit fur fon dos & tout 
joyeux l'emporta en Enfer. 

C'^tait Theure pr^cifement ou les De- 
mons revenaient de leur chaffe. Lucifer s'6- 
taitaflis fur fon tr6ne pour les voir arriver ; 
& a mefure qu'ils entraient , chacun d*«ux 
venait jetter a fes pieds ce que dans le jour 
il avait pu prendre * celui-ci un Pretre , cdui- 
la un voleur* les uns des Champions morts 
en champ clos, les autres ^esEveques, des 
Abb£s , des Moines ; tous gens furpris au 
moment qu'ils s'y attendaient le moins. 
Le noir Monarque arretait un inftant 
fes captife pour les examiner 5 & d'ua 



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198 ♦ Fabliaux 
fignal auffi-tot il les fai&it jetter dans fe 
chaudiere. Enfin quand l'heure fut pafTee » 
il ordonna de fermer les portes & demanda 
& tout le monde £tait rentre\ « Qui , repon- 
» dit quelqu'un > excepti un pauvre idiot » 
» bien ncuf & bien fimple , qui eft forti de- 
» puis un mois , & qu'il ne faut pas encore 
„ attendreaujourd'hui probablement , parce 
„ qu'il aura honte de rentrer a vide „. 

Lcrailleur achevait a peine de parlcr, 
quand arriva le jeuneDiable, charge* de fon 
M<£nemer deguenille' qu'il preTenta hum- 
blement a fon Souverain. " Approche, dit 
» Lucifer au Chanteur $ qui es-tu? voleur> 
„ efpion } riband ( b ) ? — Non , Sire , j'etais 
„ Menemer , & vous voyez en moi quel- 
„ qu'un qui poffede toute la fcience qu'un 
„ homme fur la terre peut avoir (c). Mal- 
,, gre* cela j'ai eu la-haut bien de la peine & 
„ Trien de la mifere ; mais enfin puifque 
„ vous voulez vous charger de mon loge- 
„ ment , je chanterai , fi cela vous amufe. 
„ — Oui , ventredieu , des chanfons ! Ceft . 
„ bien-la la mufique qu'il me faut ici 1 E- 
a, coute; tu vois cette chaudiere, & te voi- 
^ ci tout nu : je te charge de la faire chauf* 



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OU CONTES. I99 

„ fcr 5 & fur-tout qu'il y ait toujours bon 
„ feu. — Volontiers , Sire 5 au moins je fe- 
„ rai sur dor^navantden'avoir plus froid,,. 
Notre homme aufli-tot fe ren^ita fonpofte, 
& pendant quelque terns il s'aquitta fort 
exa&ement de fa commifTion, 

Mais un jour que Lucifer avait convo- 
que' tous fes fuppots pour aller faire avec 
eux fur la terre une battue genlrale , avanc 
de forth* il appellale chauffeur. " Je vais 
„ partir , lui dit-il , & je laiffe ici fous u 
„ garde tous mes prifonniers j mais fon- 
» ge que tu m'en repondras fur les yeux de 
w ta tete , & que fi a mon retour il en man- 
*, quait un fcul . , . — Sire , partez en paix, 
„ jerepondsd'eux j vous trouverez les cho- 
„ fes en ordre quand vous reviendrez , & 
„ vous apprcndrez a connaitre ma fide*lite\ 
„ — Encore une fois prends bicn garde , il 
„ y va de tout pour toi , & je te fais man- 
„ ger tout vif „. Ces precautions prifes , 
l'arm^e infernale partit, 

C'ltait-la le moment qu'attendait Saint 
Pierre. Du hautdu ciel il avait entendu cc 
difcours , & fe tenait aux aguets pour en 
profiter. Des que les Demons fuxcnt dehors* 



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200 Fabliaux 

il fe deguifa * prit une longue barbe noire 
avec des mouftaches bien trefRes, defcen- 
dit en Enfer , & s'accoftant du Menetrier : 
„ Tami , veux-tu faire une partie nous 
„ deux 1 Voila un Berlenc avec des dez ( d) , 
„ & de bon argent a gagner „. En meme 
terns il lui montra une longue & large 
bourfe toute remplie d'efterlins. " Sire , 
„ repondit Tautre , e'eft bien inutilement 
9> que vous venez ici me tenter 5 car je vous 
#> jure fur mon Dieu que je ne poffede rien 
„ au monde que cette chemife d£chirde 
„ que vous me voyez. Eh bien I n* tu lVas 
„ 'point d'argent, mets en place quelqucs 
„ ames 5 je veux bien me contenter de 
„ cette monnaie , & tu ne dois point crain- 
„ dre ici d'en manquerde fi-tot. — Tudieul 
„ je n'ai garde 5 & je fai trop ce que mon 
„ Maitre m'a promis en partant. Trouvez- 
„ moi quelqu'autre expedient , car pour 
„ celui-ci je fuis votre ferviteur. — Imbc-. 
„ cille i comment veux-tu qu'il le fache ? 
„ Et fur une telle multitude , que fera- 
, , ce , dis-moi , que cinq ou fix ames de 
„ plus ou de moins. Tiens , regarde , voila 
„ de belles pieces toutesneuves. Il ne tient 



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O U C O N T E S. UO% 

9P qu'a toi d'en faire pafTer quelques-unes 
„ dans ta poche. Profite de Poccafion r 
„ tandis que me voila ? car une fois forti , 
„ je ne reviens plus. . . . allons je mets 
„ vingt fous au jeu , amene quelque ame „. 

Le malheureux devorait des yeux les 
dez. II les prenaic en main , les quitrait , 
puis les reprenait de nouveau. Eniin il n'y 
put tenir , & confentit a joucr quelques 
coups ; mais une ame feulement a la fois 9 
de peur de s'expofer a trop perdre. <* Tope 
„ pour une , nipond FApotre $ blonde 01* 
„ brune , male ou femelle , peu m'im- 
„ porte, je t*en laifle le choix? me|§ a« 
„ jeu „. I/un va done chercher qudques 
damned , Tautre &ale fes efterlins $ Us 
s*affeoient au bord du fourneau & com- 
mencent leur partie ( e >. Mais le Saint 
jouait a coup surj auffi gagna-t-il confram- 
ment. Le Chanteur pour rattraper ce qu'il 
perdait , eut beau doubler , tripler les par 
ris , il pcrdit toujours. 

Ne conceyant rien a un malheur fi con- 
ftant, il foupconna enfin de la tricherie dans 
fon adver&ire , fe facha, d&lara qu'il nc 
paieiajt point , & traita l'Apotre d'efcroc 



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ioi Fabliaux 

& de fripon. Celui-ci lui donna un demen- 
ti 5 ils fe prircnt aux cheveux & fe bat-- 
tirpnt. Hcureufement le Saint fc trouvait 
le plus fort > Sc fautre , apres avoir 6t6 
bicn rode* , fe vit oblige encore de deman- 
der grace. 11 propofa done de recommen- 
cer la partie , fi Ton voulait tenir la pre- 
miere pour nulle ; promettant au refte de 
payer tres-fide'lement & ofFrant meme de 
donner a choifir dans la chaudiere tout 
ce qu'bn voudrait, Larrons, Moines , Ca- 
tins , Chevaliers, Prefres ou Villains , Cha- 
noines ou ChanoinefTes. Pierre avait fur 
le cccur le mot de fripon ; & il en fit 
plus ii'uft reprochej mais on lui deman- 
da tant d'excufes qu'enfiri il fe laifTa fl£- 
chir & fe remit au jeu. 

Le Menemer a cette parde ne futpas 
plus heureux qu'a la premiere 5 & je vous 
en ai dit la raifon. Il fe piqua , joua cent 
ames , mille ames a la fbis , changea de 
dez , changea de place, & n'en perdit pas 
moins a tons les coups. Enfin , de deTef- 
poir il fe leva & quitta le jeu , maudif- 
fant le Tremerel & fa mauvaife fortune 
qui le fuivait jufqu'en \Enfer. Pierre 



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O V C O N T E S. 10J 

ftTors s'approcha dc la chaudierc pour y 
choifir & en tirer ceux qu'il avait gagn&. 
Chacun d'eux implorait fa pitie afin d'etre 
Tun des heureux. Oe*taient des cris a 
ne pas s'entendre. Le Menemer furieux 
y accourut ; & r^fblu de s'aquitter ou dc 
tout perdrc , en homme qui ne veut plus 
rien menager, il propofa de jouer ce qui 
lui reftait. L' Apotre ne demandait pas mieux* 
Ce va-tout & important fe decida fur lo 
Iieu-meme > & je h'ai pas befbin de voua 
dire quelles furent pendant ce tems les 
tranfcs des patiens qui en dtaient les t£- 
moins. Leu/: fort heureufement fe trou-> 
vait entre les mams <fun homme a mi- 
racles y il gagna encore , & parti t bien 
vite avec eux pour le Paradis (/). 

Quelques heures apres rentra Lucifer 
avec fa troupe, Mais quelle flit fa dou- 
leur quand il vit fes brafiers ^teinrs, fa 
chaudierc vide , & pas one feule ame de 
tons ces milliers qu'il avait laifKs. II ap- 
pella le chauffeur; " Scelerat, qu'as-tu 
„ fait de mes prifonniers ? — • Ahl Sire, 
„ je me jctte a vos genoux , ayez pitie* 
„ de moi , je vais tout vous dire „. Et 



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i04 Fabliaux 

alors il conta fon avanturc ; avouant quit 
n'&ait pas plus heurcux en Enfer qu*ii 
ne l'avait etc* fur la terrc. Quel eft le 
butor qui nous a amene* ce joueur, ditlc 
Prince irrite^ qit'on lui donne les emvferes* 
Aufli-tot on faifit le petit Diablotin qui 
avait fait un & mauvais prefent, & on 
l'etrilla fi vertement qu'il promit bien de 
ne jamais fe charger de Menemcr* " ChaC* 
„ fezd'ici ce marchand de mufique, ajouta 
„ le Monarque ; Dieu peut les recevoir 
f , dans fon Paradis r lui qui aime la joie j 
„ moi je ne veux plus jamais entendre 
parler d'eux,,, 

Le Chanteur n'en demanda pas davan- 
tagej II fe fauva promptement 5 & vint 
tout courant en Paradis ou Saint Pierre 
le re^ut a bras ouverts & le fit entrer 
avec les autres. 

Men&riers & Jongleurs, re'jouifTez-vous 
deTormais , vous le pouvez ; il n'y a plus 
d' enfer pour vous; celui qui joua contrc 
Saint Pierre vous en a ferme' la portc. 



Dcni 



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© V COMTES. 10$ 



Dam les Facetiae Bebelianae , p. 7$ , des Sol* 
dots , 8*& tm jour <?e bataille , defcendent aux 
Enfers avcc un appareil militaire & leurs drch 
peaux rouges qui teprifentaient S. George 6* 
la Croix* A la vue de ce figne redoutable , Us 
Demons effrayis fi barrieadenu Us croiera 
qu'on vient les attaquer , 6* crient aux Soldats 
de prendre d dfoite br d % alter au Ciel. La 
troupe s y y rend ; mais S. Pierre lew ferme la 
pone au ne^, en difant que le Paradis n'eft 
pas fait pour des hommes de fang & de cat' 
nage. Un d'eux lui ripond comme le Villain 
du Fabliau ; & VApStre honteux 6* qui craint 
r quelque nouveau reproche que pourraient en- 
xenire Us Bienheureux , ouvre aux Soldats , (f 
fe promet tfetre ddrenavant moins dur aim 
pauvres pecheurs. 



NOTES. 

(a,Du Jongleur ). Quoiquc ce Muficien , 

dan J le cours du Conte , {©it tou jours app«U< 

Jongleur T ccpendant comme ce n'cft poipc 

yn faifeur de tours , qu'il eft donne comnat 

Tome II. M 



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iOfi F A B t 1 A U X 

Chantcur 6c ayanc une Vicille ( violon ) , }e 
J*appelle toujours Metictricr , felon la diftinc- 
tion que j'en ai faire dans la Preface. 

( b , Voleut , Efpion , Riband ). Les Ribands 
6taient un corps d'Avanturiers ou d'Enfans- 
perdus qui dans les bacailles & les fieges com- 
men^aient l'attaque. II en eft fouvent parl& 
thez les Hiftoriens de Philippe-Augufte. En 
tres-peu de terns , par une fuite du peu de 
difcipline qui regnait alors dans les amices, 
& par la maniere mime dont fe faifaic la 
guerre , ces Compagnies degenerent en trou- 
pes de bandits , fans principes & fansmceurs, 
tellcment decries pour Iturs defordres & leurt 
debauches efFront6es que leur nom devinc une 
injure qui a pafie jufqu'A nous. Nos Rois , 
dans le nombre de ieurs Officiers domefti- 
ques , en avaient un qu'on noraraait le Roi 
des Ribauds, Malgr6 ce nom pompeux, ce 
n'etaic cependant qu'une efpece d'Hui flier. A 
rarmce ou dans hs voyages , il avait i'inf- 
peftion fur les jeux publics , fur les lieux de 
debauche & les femmes de mauvaife vie , Ief- 
quelles etaient mfirae obligees pendant tout 
le mois de Mai de faire fa chambre. II prc- 
fidait aux executions criminelles, & fouvent 
cfxecucaic- lui-me'me : ce qui pourraic infirmcr 



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o u C o n t e s, toy 

la reraarque 4c l'Abbe Velly \ que l'office de % H(M« 
Bourrcau doic , ainfi que ce nom , fon origin? ' 
£ un pertain Clerc nomm£ Borel , qui pofle-r 
dant en 1161 le fief dc Bellencombie £ la 
charge de pendre les yoleurs du canton , 8c 
xxt pouvant , comme EccUfiaftique , les exe- 
cutor lui-m&ne* fut oblige de fe donner un 
fuppliant. Quoi qu'ilen fbit , ce fait prou- 
verait , ainfi que Pautre , ( $C c'eft-Ja ce qu'ij 
tft important de remarqucr ) , que Temploi 
d'ex&cuteur criminel n'etait point alors desho* 
norant. Dans un etat de la Maifon du Rot 
an. 1328 ,- on voit h Roi de$ Ribaudf ou 
Bovrrcw de TouUufi. 

• ( c , Jtfrais Minctrur , 6» vous voye\ en mol , 
~fuelqu'un qui poffide toute la fcience qu'un 
homme for la terrepeut avoir ). Les Conteur* 
favaient des Romans , des Chanfons $c des . 
Fabliaux. C'etait d-peu-pres U que fe rSdui* 
fait toute la literature du terns & la fcience 
des gens du monde. Ainfi le Muficien de 
notre Conte pourait fe vanter 4 jufte titre de 
pofTedcr tout ce qu'il etaic pofliblc a un homme 
de favoir. 

On Yoic auffi par ce paflage que le mSmq 
homme , comme je l'ai dejd dit , pouyaic £tr* 
£ U fois Conteur, & Mfcnetrfcr. 

■M * 



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±d& Fabliaux 

( i , Voild un Btrltnc avtc des Ae\ ). TL& 
Itrlenc parait Sere ici un echiquier portatif. 
Plujieurs compagnons jouans aux dt\ fur un* 

*DuCan- ta M e ou herlenc • 

ft, Glojf. 

Van met fur le berlenc Ton gage* 
Et l'autre met l'argent enconcre. 

G. Guitrt t manuft. 

< i , Commtnctpz leur partie ). Le Jen du 
Conte eft appelle Trimtrtl > & fe jouait avec 
trois dez, II y a fur les difFerens coups quel- 
ques details, que j'ai fupprimes parce que 
je n'y ai rien compris. Au rede , il eft beau- 
coup patle de ce jeu du TrSmerel dans les 
Fabliaux. 

if' ft Z a i ntL tncort , 6* partit bitn vitc 
cvec tux pour It Paraiis ). Dans l'Abbaye de 
S. Guilain en Hainaut, on voit reprefente 
* Mend' un miracle * after femblable A 1'aventure de 
£i<m0» notre Conte. Une vieille pechereffe eft au lie 
mourante. Le Saint & le Diable font aupres 
d'ellc pour attendre fon dernier foupir & em- 
porter fon ame. Le Diable, qui fe connate 
de l'adrefle dans les doigts , ptopofe de jouer 
la vieille aux trois dez. II tire & amene trois 
fk: maifi. le Moine plus habile opcre un mi^ 



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OU CONTES. 20£ 

facie; H fait paraicre trois fept & gagne la 
mourantc. 

La Monnoie a fait fiir ce Cujtt une 6pl* 
gramme. 




MS 



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aio Fabliaux 

■ ■ ■ ■ ■ ■ ■■ i ■ ■ I. a 

IE PARADIS D'AMOUR. 

Alids 
LA COMPLAINTE D'AMOUR* 

\if u ah d on ne fe fent point en etat 
de faire quclquc chofe qui plaife , on ne 
doit pas fe meler d^crire. Jc vous en aver- 
tis ici,parce que j'ai fouvent moi-meme 
cette demangeiforu Eh ! pourquoi done 
cVris-tu , me direz-vous ? C'eft que j'ai 
trouve' un fujet qui m'a fait plaifir , 8c 
que je voudrais qu'il vous en procurat au- 
tant qu'a moi % Peut-ctre apres tout ne le 
rendrai-je pas aufii-bien que le devrais , 
& je vous pric de nVexcufer, car j'ai 
peu de fcience; mais au moinsje puis vous 
aflurer qu'il eft joli, & me flatte qu'U 
vous paraitra tel. 

Au doux mois de Mai , quand la terrc 
fe pare de verdure & les arbres de fleurs 5 
quand la nature commence a renajtre , que 
tout ce qui vit rentre en joie , que les 



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h 

OUCoNTES. 2H 

oifeaux s'accouplent en chantant, & qu'une 
tendreiTe nouvelle s'allume dans les cceurs 
loyaux; Amour , qui fubjugue ies orgueil- 
leux , vint chez moi. J'avais pour toujours 
renonce' a lui 5 jc raillais meme ( car ja- 
mais je n'avais fenti fes coups ) ccux qu'il 
rendait malades.d'aimer, & ks regardais 
commc des fous qui enfantaient des chi- 

. meres afin de pouvoir s'en afEiger. H&as 1 
c^tait moi qui £tais ftnfenfe\ Votre heurc 
viendra un jour # me repondaient-ils 5 vous 
foupirerez corome nous „ & alors vous ap- 

• prendrez a nous plaindre. Leurs veeux nc 

-furent que trop bien exauce's. Amour pout 

. me punir choifit le plus fort de fes traits 
& en perca mon coeur fi avant que , s'U 
n'eut pris bientot pici<5 de moi , e'en e*tait 
fait de ma vicCette flecfae fut un regard 
de la plus belle des femmes 3 regard plus 
brulant & plus penetrant que la flainme 

.memc. 

Que les coups d' Amour fontsurs & qtt'ils 

.font redoutablesl Des qu'il m'eut atteint , 
je rougis & je foupiraL Bientot je devins 

. pale & trills. Dans certains momens mon 
^orps bruiait cornme le charbon enflasv* 



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in Fabliaux 

«ie* 5 dans d'autres il itzit glace" , comma 
fi mon amc eat 6t6 prctc a Tabandonncr, 
Enfin je perdis le repbs. 

La beaute* que j'aimais ignorait mes tQiir- 
mens. Je n'avais pas oft les lui d^couvrir > 
& au fond de mon coeur neanmoins je 
lui faifais des reproches infenfts de ne pas 
les foulager. NFarrivait-il de paffer devanc 
fa porte 1 je la blamais de ne point ae- 
courir au-devant de moi , & faccufais 
d'orgueil & de cruautl. Dans mon cha- 
grin maudiffant pones & murs, il me 
femblait qu'ils rfavaient hi inventus que 
pour moi fcul & pour faire mon firo- 
•plice. Si quelquefois devenu plus fage, 
je formais la reTolution de renoncer a une 
ingrate qui caufait ma mort j " Ta mort , 
„ me repondait une voix fecrette , eh I 
„ comment la caufe-t-ellc ? — e'eft que 
„ je Taime , & qu'elle ne m'aime pas. — • 
>, Mais l'as-tu price d'amour ? — Non. -* 
,, Ne tc plains done pas , car fi tu lui eufles 
^ conte* tes peines , elle eft fi douce , ellc 
„ eft fi bonne , qu'a coup sur elle en cut 
„ eu pitie\ Tu meurs, & ne fais trop pour* 
•j <l u oi (a). - Oui, oui je le fais > e'eft fqg 



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& U C'ONTES. II f 

*, doux fourire & fon vifage agreable , 
yy ce font tous fes appas dont je defire 
^ «nvatn la poflcffion , qui mc deTef- 
„ perent. — Tes-tu flatt£ qu'elle vien- 
99 drait a toi pour te les prodiguer 1 Va 
„ la voir , decouvre-lui tes maux , & tu 
„ fauras alors & tu peux efpfrer. — Plu- 
„ fieurs fois d£ja je 1'ai rente 5 mais a peine 
to fiiis-je en fa preTence , a peine a-t-elle 
„ jetti un regard fur moi , que mon coeur 
^, fe glace , mes genoux tremblent & je 
„me vois force' de fortir fans avoir ofiS 
9 y Iui parlcr^ 

Ceft ainfi que chaque jour mon mal 
empirait; car je ne pouvais un inftant 
m'abftenir de penfer a elle. Avec de telles 
foufFrances & fans aucune forte de re- 
lache , j*eufle bientot fuccombe' $ mais 
Ainour enfin vint a mon aide. 

J*avais pafTe' la nuit dans les larmes. 
Le jour venait d^dore 5 & j'erais forti 
pour aller dans les champs dilfiper ma 
trifteffe. D<Sja l'alouette s^lancant dans 
les airs appellait le Soleil avec fa voix 
gaie & percante. Ces fons de l'oifeau du 
inatin, par un prodige que je ne pus corn- 



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114 F A B L I A u xr- 

prendre , porterent tout-a-coup le calme 
dans mon cceur. Je goutais , en l'ccou- 
tant , un plaifir ineffable ; & la joie , 
comme une douce rofee ayant penetrd 
ddlicieu Cement mon ame , je commenjaj 
cette chanfon. 

Ahutttt 
Aloete 

Jolictte , 

Peu fimporte 

Petit t'eft de raes maus ; 

Si amour venait felon mes vatux • 

S'amor venift a plaifir 

qu'il voulit mettre en pejfejjion 
Ec que me voufift fefic 
blondq 
De ia blondettg 

plait 
Qui medilectc, 

Je ferais joyeux 
J'en feufle plus baus (b)» 

• Ma chanfon n'&ait pas encore finie, 
que je me trouvai infenfiblement arriv^ 
dans une prairie d&icieufe. La viclerte , 
ie muguet & mille fleurs difft rentes email* 
laient de leurs couleurs varices la beautd 

,.<k ce tapis verd, I/air y &ait parfumi 



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OD CoNTES, II J 

£ar des aromates precieux (c). Du fein 
de la terre s'elanc^ait a gros . bouillons 
une fontainc dont l'eau , plus tranfpa- 
rente que l'emeraude & le ruhis , s'£chap- 
pait entre des rives ornees de rofiers & 
de glaieuls ( d) 9 & coulait fur un fable 
d'or pur. Un bel arbre , pair fes rameaux 
agreablement arrondis , lui '. formait un 
dais epais , impenetrable au foleif , & en~ 
tretenait la fraicheur de fbn bafEn. On 
-defcendait a ce baflin par des degr^s de 
marbre auxquels tenait attached , avec 
une chaiiie d'argent , une taffe d'or email- 
Mc. Je crus qu'elle ^tait-la pour puifer ; 
& fallais m'en fervir , quand je vis des 
caracteres en argent & en azur qui d£- 
fendaient aux Villains & aux laches d'y 
toucher. Cette fingularite* m^tonna d'a- 
bord, & je xeftai un moment interdit& 
trouble ; mais la' curiofite* bientot l*em- 
porta fur mes craintes. Je. pris la taffe & 
l'enfon^ai dans les bouillons. 

L'infenfe ne craiht rien avant le dan- 
ger. Soudain la terre trembla autour de 
moi , & le tonnerre gronda avec un 
fracas fi horrible * avec de tels £clair$ 



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u6 Fabliaux 
& une pluie fi violente , qu'on cut StB 
que le ciel & la tcrre combattaienc en* 
femble pour fe d&ruire. Quelque harcX 
que je fois , la frayeur me faifit 5 je me 
jettai a terrc A cbaque inftant la foudre 
fe preciprtak de k nue comme pour m'&- 
crafer ; & de frayeur mes cheveux fe 
drefTaient fyr mon front. Mais le bel 
arbre , a Tabri duquel je m'&ais mis , 
femblait par un charme magique , ^car- 
ter de deffus ma tcte & la fbudre & la 
pluie ( e X 

Apres quelque terns enfin Torage fe 
difKpa. Le ciel parut '.riant & azure" , & 
du tronc de l'arbre fe fit entendre ime 
mufique delicieufe a laquclle des millicis 
cToifeaux , qui de toutes parts vinrent fe 
percher fur ks branches , jorgnirent leurs 
concerts. Le plaifir m'afToupk. Dans cec 
itzt une main inconnue m'enlera , & a 
mon reveil je me trouvai nu, & plonge' 
dans une cuve remplie d'eau rofe ou Ton 
vint meparfumer , & de laquelle je fortis 
pur & blanc comme la neige. A peine 
moi-meme pouvais-je me reconnaitre. 
On mc preTeau enfuitc de riches habits 

avee 



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OU C N T I S. 217 

avec un manteau de pourpre , fourre; 
d'hermine & relev<£ par une broderie d'or 
qui reprefentait difRrens oifeaux. On 
m'en revetit, & Ton me montra un che- 
min que je fuivis 5 il conduifait au palais 
d'Amour. Jamais je ne vis route plus 
agreable, on n'y marchait que fur des 
fleurs. 

A peine eus-je fait quelques pas que 
j'appercus au milieu d'un champ aride &' 
pierreux une maifon , tombant en mi- 
nes , a laquelle conduifait un fentier feme 
, de ronces. Des malheureux sy etaient 
renferm& , & guettaient par les crevafles 
ceux qui paffaient : on les appefle les Me^- 
difans. lis me montrerent au doigt, & jc 
les recormus fans peine. Maudits foient- 
ils a jamais > car ils etaient en fi grand 
nombre que je ne dois pas me flatter de 
voir fitot leur race s^teindre. 

Apr£s avoir double le pas pour leur 
ichapper , je vis plus loin , par-dela ua 
large foiTc qui nous feparait du chemin , 
une troupe plus meprifable encore. Ceux- 
ci etaient occupe*s a s'embrafTerj mais 
Jeurs baifers n'itaient pas finceres , $c 
Tome II N 



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n8 Fabliaux 

Jcurs yeux pendant cc terns cherchaiette 
d'Un autre cold. On les nomine les faux 

Amans. t . r > 

• Voicnt-ils une Beaut* qui leur plaife? 
Us voila en peine auflkot, lis eir*loient , 
pour la feduire', toutes les rufes polTiblcs y 
jufqu'a ce qtfelle ait fatisfeit leurs defirs * 
defirs honteux & qui n'ont pour but que 
de la deshonorer. Bien autrement hardis 
qu'un amant ftneere , ils ne parlem que 
dc leurs tourmens, A ics entendre lis 
meurent d'amour. Faut-il s'&onner apres 
ccla qu'un cccur fimple & naif tombe 
dans leurs filets ? Les traitres s'humilient 5 
ils foupirent , pleurcnt , g^miffent. Cc 
fexe auquel la Nature a donne" un coeur 
fi doux , fi compatiffant , pourra-t-il y 
reTifter 1 Verra-t-U d'un ceil inflexible un 
malheureux en larmes implorer a genoux 
fa pitied 1 Non. L'infbrtunee s'attendrit , 
ellc pleure avee le perfide & lui c6de, 
•Ah! Mcffieurs , ce n'eft pas elie qu'il 
f aut Mamer * fa chute n'eft que la cre% 
^iulitd d'une arne trop confiante & trop 
bonne. Le vrai coupable , e'eft le traitre 
-qui , pax unc hipocrific raffinic , a com* 



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ou Contes. it$ 
bin^ de loin fon mallicur, & qui aufli* 
tot qu'U i'a #duite , Tabandonne pout 
aller aillcurs en trompfer d'autres. Que 
► toujours fbit en execration cctte race 
federate. Combien clle nuit aux vrais 
Amansl 

J'entrai enfin dans une longde avenue 
d'arbres odoriferans , au bout de laqueile 
s'offrit un paiais dor^ , & tel que n'en 
eut jamais ni Due ni Monarquc. Se$ 
foiled , revetus en marbre & remplis 
J* une eau limpide , ^taient couverts de 
eigne? & d'autres amphibies qui tous , unis 
4deux a deux , nageaient amoureufement 
Tun a c6te* de I'autre. Les poirfbns da 
canal, les animaux de la plaine,les oi-» 
feaux du verger , tdus &aient de memo 
jr^unis par couples. Je ne vis (euhqu'ua 
tourtereau i U^gemiiTait fur une branch© 
ftche. 

, La facade dq. paiais &ait brn& de deu* 
colonnes de criftal , qui chacune por~ 
taient une ftatue de marbre blane,l'ou-< 
vrage du Dieu , & faite avCc tant d'arc 
que Tune fc levait magiquement pour 
Ycnir embroflcr l'autre , & que rioftanfc 

N ft 



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no Fabliau sr 

d'apres, celle-ci fe levant a Con tour , 
allait , avec un fourire , rendre a la pre* 
miere le baifcr quelle en avait recu. J'ad+ 
njiraisL cctte mervcille , quand les deux 
portes s*ouvxirent & expoferent a mes 
yeux Pinteneur du palais. Je fus ebloui, 
je vous Pavoue 5 Sc m'ecriai , voici le 
Paradis. Non , quand j'aurais cent Ian* 
gues, je ne pourrais jamais vous ra+ 
confer :ce -que 5'ai vuv- 

La fe trouvaient re'tmis tout ce qu'ai- 
ment les hommes , le plaifir & ia beauti* 
Oa n'y refpirait que des parfums; on n'y 
entendak que des chants amoureux ou le 
bruit des baifers , & Panned n'y parai£ 
fait qu'une flfce &e*nelle. Sur un trone 
de fleurs £tait aifis le Dieu, Monarqud 
d^bonnaire &r bienfaifaht , fait pour 
pi aire a tous les hommes.; Sa beaute* , an 
milieu de la Cour qui l'entourait , ref* 
fcmblait a Peclat ^bdouiiTant du Soleil au 
centre du firmament, -fipars autour de 
lui , & lous fes regards protecteurs , 
ctaient les Amans avec leurs Mies , oc- 
cupes uniqueraent du plaifir de fe ca- 
lmer. II iburiait i Jeurs jeux , & leu* 



it zed by G00gle 



O U ' C O N T E S. lit 

laricait des fl&hes amoureufes qui lcs 
cnflammant d'un feu toujours nouveau , 
rcnouvellaic fans ceffe pi eux le befoin 
d'aimer. 

Mais^tant de bonheur excita ma ja- 
louiie. Tout ce que je voyais &ait heu- 
reux 5 moi je me trduvais feul , loin 
des regards de ma Mie , & je fouffrais , 
comme Tenvieux \ du bien des autres. 
Amour vit ma peine. Il m'appella & 
m'interrogea fur mes ennuis. Je lui.ra- 
contai tout ce que j'avais fouffcrt ; & , 
en finiflant , un foupir & des larmes m'e- 
chapperent. « Prends courage ; me dit-il : 
» l'inftant de ton bonheur approche. Cc 
» n'eft pas fans peine qu'on goute les 
» plaifirs d'Amour , & on ne les tfouvc 
„ d£licieux qu'en proportion de ce qu'ils 
9t ont coiife* „. 

lei commencent de tongues explications alli- 
goriques , dans le gout de celles qui termi- 
ner le Fabliau des Chanoinefles. Cefi-l* Amour 
qui les fait, lui-mime d VAuteur j comme c y eft 
lui qui a tnvoyi - Valouettt , Vora%e , le fom- 
meil , be. Valouettt , dit-il, marque le chant 
mainal de ramantj V or age , les peine* qui 

N J 



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xii Fabliaux 

Pattenient ; It bain, la purtti qu'il dolt apolr $ 
U tounereau gimljant d Vkart , la. jidiliti 
fu*on doit a celle qv*on aime qiiand on Va per* 
due , 6»c. brc. 6\r. 11 infifle heaucoup Jut cette 
pwrett du cceur 9 Jignc non eavivoqut d'un vrat 
emour. 

SI vWettle 

Se homme penffie a vilonie, 

Tu doit favoir qull n'aime mie. 

2?nj?n It Po'ete finit par dire qu'il a bhtt 
retenu toutes ces lemons , qu'il Us a pratiqueet 
l§yalement , b qui I en attend la ricompenfi* 



NOTES. 

( d , Tu meurs , £/ nt fais irop pourquol )i 
L'original de ce. dialogue eft en partie dans 
la Preface. Quoiqu'il foit fimple , vrai , na- 
curel &r m£me aflez prefle ; cependanc comms 
It vient apr£s la peinture d'une paffion vivc 
& forte , & qu'il la refroidic , j'ai cru devoir 
i'abrcger. 

( b , Alouettt joliette. • • . ) On remarqtiera 
Sri , comme moi fans doute j que ce couplet, 
dans fon.vieux ftile , a du nombre , de l'har- 
monie , 6c que la coupe de$ vers en eft ljrri<juc| 



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© V COKTBS. 22f 

fcr CCtte remarque m'en rappelle une autre que 

j'ai faite en liGmt les Chaufonniers du terns : 

c'eft que leur langue, fans etre plus pure ni 

plus 616gante que celle des aucres Poeces leurs 

conremporains j eft au moins plus coulante 

* 8c plus douce. Ce qu'on a vu d'cux^en ce 

genre jtifqu'd prefent, in fere dans les fabliaux , 

fuffira pour s'en convaincrc. Que ceux qui 

aiment-la Mulique s'exercenc quelquefois A 

xneccre des paroles fur un air , ils fentiront 

feietnoc que des vers chances exigent plus d'har- 

fnonie encore que des vers flits pour £tre 

Reclames ou lus. Rien ne forme Toreille aufli 

t 
proniptement jjue la Mufique , & rien ne la 

rend audi difficile. Ce n'eft pas fans raifon 
que les Ancient eo joignaient l'itude 4 celle 
de la Grammaire. 

( c , Vairy itait parfumepar ies aromates ). 
(.'original ajouce , la canelle, k gingembrc 
& le citoal ( j'ignore ce que e'eft que le ci- 
toal )• Les aromates de l'Afie arrivaient en 
Europe pat la voie d'Alexandrie. 

( d , Rivesomies de rofiers €f de glaieuls ); 
Le glaieul pft ce qu'aujourd'hui nos Jardi- 
nieres nommehc Iris. Cetce fleur 6tait dans 
la plus grande eftime ; on en trouve le nom 
i chaque page chcz les Chanfonniers. lis ne 
N4 



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124 -F A B L 1 A V X 

font pas une dcfcuption d'uti lieu agreabl? 
ou d'un printems qu'ils rCy pjacent Us fiors 
de glai, 

( e ) Cec epifode inutile de la fonraine en- 
cbantee * qui avec fon orage & touc fon fra- 
cas ne^produit que le fommeil du Poete, que. 
le chant de- Palouette cut pu endormir touc 
auffi-bien , fe trouve dans piufieurs Roman* 
anciens , & notamment dans le Routan ma-* 
nufcrit du Chevalier au Lion. 




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o v C o n t e s. aiy 



L'ART D* AIMER. . T „ 

Guiart 

^ U). 

Faucsrt en fait mention* 



UAuttur de ce Fabliau didaclique , compofi 
par ftrophes de qu&tre vers , tous quatrefur 
une mime rime, annonce qu'il fe propofc 
d*y enfeigner comment on doit fe conduire 
dans les trois circonfiances de la vie les 
plus importantes ; quand on veut faire tint 
emit ; quand on eft parvenu d lid plaire , 
if quand on veut la quitter. II finira , dit~ 
il , par montrer la vanitc du monde , 6" pat 
apprendre comment on doit fervir Dieu* 



JL/'abord vous devez d&ouvrir vos 
feitimens a la Belle qui vous a plu, & 
Jui dire : " Beaute douce & fage ; j'ai 
„ perdu par vous Pappem & le fommeil. 
„ Je pleure , je foupire fans ccfle. Dc 
iy vous ieule depend ma |uenfon , Sc(\ 
„ je n'ai votre amour il me faut mourir. 
" - N$ 



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tit Fabliaux 
M Coeur , defirs , penfees , belle douce 
9 , amie , je vous livre tout : vous £tes 
„ mon efp&ance , ma vie , 8c tout ce 
„ qui m'eft cher au monde ; & fairhe 
„ mieux penr par vos rigueurs que 
„ d'etre heureux par les bonte*s d'unc 
„ autre „. 

Peut-erre clle nc fe rendra pas d'abord 
a cette premiere attaque & montrera 
quelque fierte\ Ne vous rebutez pas, 
voyez-la fbuvent, redoubiez de (bins 5c 
ne la perdez pas de vue : car la femme 
eft legere ; elle a le coeur volage & il 
ne faut qu'un inftant chez elle pour c£- 
facer le fouvenir de longs fervices. Sur^ 
tout gardez-vous bien de lui faire aucune 
demande avant d'etre aflure' qu'ellc vous 
aime ; c'eft-la le point important pour 
vos fucc£s. Mais des qu % elle vous aura 
fait cet aveu fi doux , deployez alors tous 
vos talens & fongez feneufement a ga* 
gnei> du terrein. Salucz fes voifines , faites 
politelTc a fes compagnes , donnez , pro- 
mettcz aux domeftiques & ne nlgligez 
perfonne. Enttndant tout le monde dire 
du bien de vous , la Belle s'applaudira 



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O V C O N T E S. 117 

dc fon choix & vous en aimera da- 
vantage. 

Une fois sur de fa tendrefTe, informez- 
•vous quand elle fera feule. Entrez dans 
ce moment & demandez-lui un doux 
baifer. Elle le refufera , il faut vous y 
aftendre; prenez-Je de force & foyez, 
convaincu que dans fon ame elle vous 
en faura gre\ Retournez le lendetnain 
pour en prendre un autre. Celui-ci vous 
"fera accorde. Prenez-en deux , prenefc-en 
dix , rendez-les fur-tout bien favoureux : 
c'eft-la ce qui enflamme le plus les de- 
firs d'une femme. • 

Quand vous aurez obtcnu la demiere 
preuvc de fon amour, continue, Guiart , 
'vous e*prouverez qu'elle s'attachera a 
vous plus qu'auparavant. De votre cot6 9 
fi vous la trouvez tranche , douce Sc 
«elle qu'ilivous convient , attachez-vous 
auffi a elle. Honorez-la , fervez-la fid£- 
lenient & n'Mfitez meme' pas de l'epou- 
fer. Mais fi fon cara&ere , fon peu d'ef- 
prit ou fa conduite vous deplaifent , feparez* 
vous-en peu-a-peu. En voici les moyens^ 

N <* 



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ii8 Fabliaux 

A-t-elle befoin d'un pcu dc parure** 
Faites-lui une vifite le maun , avant 
qu'elle ait eu lc tems de commencer fa 
toilette & de mettrefon fard ( £). Si ellc 
ales dents laides, faites-la rire 5 fi fa 
voir eft ridicule , faites-la chanter. Bien- 
tot elle parviendra ainfi a vous deplaite. 
Eft-elle au contraire jeune , f belle & 
frafche ? gardez-vous de la voir , je vou$ 
le defends 5 votre amour ne ferait qu'aug- 
menter. Elle vous enverra un menage 
pour fe pjaindre *de votre changement., 
n*y repondez pas. Quand vous la verreZ 
venir. par un . cote., . retirez-vous par un 
autre ; repandez-vous dans les. affembl&s 
de vos voiiins 5 allez a la chafTe , oc- 
cupez-vous de vos vignes, de vos champs, 
, de votre verger. Si tout cela ne fuffic 
pas , faites une nouvelle amie 5 celle-ci 
fera oublier 1'autre $ car tEcriture die 
quon ne peut pas fervir deux maitres 
a la fois w 

EnfinGuiart propofe tin dernier moyen; e'efl 
de fe rappeller les devoirs de la Religion , d* 
finger chajue jour d la Vierge q\d futfi pure , 
& de bien mediter quel pfche c*eft que celui 



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OV C O N T E S. 12$ 

lie Id chair 6» quelles peines il attire pour un 
plaijir Ji court* Tout- d- coup VAuttur fe met 
d precher ; il parle de la Confeffion , de la 
Penitence, des Sacremens ; recommanie Vau- 
mdne, &jinitpar une longuepriere d la Vitrgc. 
Toute cette devotion , aprh ce qu'oh vient 
de lire ! aprh le morceau que fai Jupprime , 
jur-tout,!* dont.il eft aife d'imaginer les de- 
tails ! Et Von vient aprh eel a nous vanter les 
mceurs de nos pens , la picte de nos peres ! 



NOTES. 

( a t Guiart }. C'eft probabJement Ic meme 
que Gtril. Guia/t dont il nous reftc unc Hif- 
toire de France , manufcrite , en vers , de- 
puis Philippe-Augufte jufqu'A 4'an 130$ , fous 
le nom de la Branche aux Royaux Lignages. 
Du Cange , & la Ante de THiftoire de Saint 
Louis par Joinville , en a fait imprimer ce 
qui regarde ce Prince. Guiart etait d'Orleans. 
Son Art d'aimer prouve qu'il avait lu Ovide j 
& Ces Royaux Lignages , qu*il n'en avait gucrct 
profite. 

( b % Avant quelle ait eu le terns de com' 
mencer fa toilette & de mettre fon fard ), Les 



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jLjo Fabliaux 

fcintncs connaiftaient Pemploi du rouge & Atf 
klanc pour leur toilette. Dans une piece irv- 
ritul6e le Merrier , & qui n'eft qu'une enu- 
meration que fait un de ces Marchands , de 
»outes Us chofes qui font dans fa boutique^ 
il die: 

elUt 
J'ai queton dont eus fe rocgiffent, 

J^a! blancbet done eus fe font blanches. 




;d £yG' 



o-u C o n t e s; l$t 



GRISfeLIDIS. 

Ce Conte , devenu celebre , & celui qui a h 
plus contribue a la reputation de Bocace , 
eft fi connu t que 'fat prefque hijiti a It 
donner. Je* ne I'offre a mes Lecleurs que. 
comme on offre quelquefois a une famille 9 
d'anciens titres honor able s qui lui ont ite 
derobis pendant long -terns , & qu'un Archi- 
vifte probe vicnt enfin lui rapporter, I)u- 
chat , dans fes notes fur Rabelais , avait 
dija dit que Grifelidis itah tiri d'un ma- 

. nufcrh intitule le Paremenc des Dames ; S» 
c'eftd*aprls ce tJmoignage fans donte t que itf*» 
Manni y dansfon llluftrazione del Bocaccio , 
*n a.reftitue I'honneur aux Francois. La 
quantite de verjions en profe qu*on en fit 
au quator\ieme fiecle , prouve la grande re- 
putation qu'il avait des-lors. J^n ai trouvi 
plus de vingt difffrentes fous Us titres de 
Miroir des Dames ; d'Enfcignement de* 
Femmes mariecs ; d'Exemple des bonnes 5c 
mauvaifes Femmes; &c. &c. II a eti im- 
prime en gothique ; puis remis en yers pat 
Perraut dans le Jiecle dernier ; & en 17 49 s 



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i3i F A B L I A XJ X 

retraduh en profe avec des changement & 

des augmentations par Mademoifclle de 

Montmartin. * 

* Hid ^°B u * er S pretend que Grifilidis n'eft point an 

de Tou* nam zmaginaire , & que ce ph£nix des finwzcs 

loufe t p." a exiflS vers Van too 3. Philippe Forrfit, 

'* ' Hiftoriographe Italien , donnc auffi fon hif- 

toire comme veritable. 



E„ 



i Lombatdie , fur les confins du Pie- 
mont , eft une noble contree qu'on nom- 
ine la terre de Saluces , dont les Seigneurs 
pnt porte de tout terns le titre de Marqnis. 
De tpus ces Marquis , le plus noble & 
le plus puhTant fut celui qu'on appellait 
Gautier. 11 £tait beau , bien fait , avan- 
rage* de tous les dons de la nature : mais 
il avait un deTaut ; c'etait d'aimer tro? la 
fibefte' dujce'libat , & de ne vouloir en 
ancune facon entendre parler de manage. 
Ses Barons & fes Vaflaux en ^taicnt a£- 
fligds. lis s'afTemblercnt pour confcrer 
entr'eux a ce fujet j & d'apres leur delibe- 
ration, quelques deputes vinrent en Icur 
Horn lui. tenir ce difcours. 



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O* U C O N T E S. l$$ 

* « Marquis , notre feul maitrc & fbin 
„ verain Seigneur , l'amour quef nous vous 
„ portons nous a infpire' la hardieffe de 
„ venir vous parler : car tout ce qui eft 
,» en vous nous plait , & noiis nous repu- 
,j tons heureux d'avoir un tel Seigneur, 
„ Mais, cher Sire , vous favez que les 
„ annees pailent en s'envolant , & qu'elles 
„ he reviennent jamais. Quoique vous 
i, foyiez a la fleur de Tage , la vieillefle 
„ n^anmoins , & la mort dont nul n'eft 
„ exempt , s'approchent tous les jours. 
„ Vos VafTaux , qui jamais ne refuferont 
„ de vous obeir , vous fupplient done d'a* 
,„ greer qu'ils cherchent pour vous une 
„ Dame de haute naiflance , belle & 
„ vertueufe , qui foit digne de devenii? 
fy votre e'poufe. Accordez , Sire , cettc 
„ grace a' vos fideles Sujets; afin que 
„ fi votre haute & noble perfonne eprou-* 
„ vait quelqu'infortune , dans leur mal- 
„ heur au moins ils ne reftaffent point 
„ fans Seigneur „. 

A ce difcours Gamier attendri , repon- 
dit affe&ueufement : " Mes amis , it eilr 
h vr|i , je me plaifais a jouir de cetw 



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134 /Fabliau* 

„ liberte qu on goute dans ma Situation ,' 
„ # qu'on perd dans lc manage , fi j'en 
„ crois ceux qui l'dnt eprouve. Un autre 
f , inconvenient de ce lien encore , e'eft 
„ que ces enfans que nous d^firons fi 
„ fort , nous ne fbmmes pas toujours surs 
„ qu'ijs foient les notres. Toutefois , mes 
99 amis % je vous promets de prendre une 
„ femme 5 & j*efpere <fe la bonte *de 
„ Dieu , qu'il me la donnera telle que jc 
„ Tx>urrai avec elle vivre heureux. Mais 
„ je veux auffi auparavant que vous me 
», promettiez une chofe 5 e'eft que celle 
„ que je choiiirai , quelle qu'elle (bit, 
„ iille de pauvre ou de riche, vous la 
„ refpe&iez & Phonoriez comme votre 
„ Dame ; 6c qu'il n'y ait aucun de vous 
„ dans la fuite qui ofe blamer mon choix 
„ ou en murmurer „. Les Barons & 
Sujets promirent d'obferver fidelement ce 
que leur ayait demande* le Marquis leur 
Seigneur. lis le remercierent d'avoir deTere' 
a leur requete j & celui-ci prit avec eiuc 
jour pour fes noces ; ce qui caufa par tout 
le pays de Saluces une joie univerfelle. 
Qr , £ pcu de diftance du, chateau, jly 



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OU CONTIS. 2Jf 

ivait un village qu'habitaient quelques 
laboureurs , & que traverfaif ordinaire- 
ment le Marquis , quaiid par amufement 
il allait charter. Au nombre de ces habi- 
tans etait lin vieillard , appelle Janicola. , 
pauvre , accable* d'infirmite's , & qui nc 
pouvait plus marcher. Souvent dans une 
malheureufe chaumiere repofe la benedic- 
tion du ciel. Ce bon vieillard en &ait la 
preuve ; car il lui reftait de fon mariage 
une fille nominee Grifelidis , parfaitement 
belle de corps , mais Tame encore plus 
belle , qui foutenait doucement & foula- 
geaic fa vieillefle. Dans le jour , elle allait 
garder quelques brebis qu'il avait; le foir, 
quand elle les avait ramen^es a ratable , 
clle lui appretait fon ch&if repas , le levait 
ou le couchait fur fon pauvre lit 5 & enfin 
tous les fervices & tous les foins qu'une 
fille doit a fon pere , la vertueufe Gri> 
felidis les rendait au (left. 

Depuis Jong -terns le Marquis de Salu- 
ces avait 6t6 informs , par la renommee 
commune, de la verm $c de la.conduitp 
re (peccable de cette fille. Souvent en allanc 
a Michafic il lui l&it arrive de s'arretot 



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ij6 Fabliaux 

pour la regarder ; & dans fon cccur il 
avait deja d&ermine* que , & jamais il lui 
faJlait choifir une epoufe , il ne prendrait 
que Grifelidis. 

Cependant le jour qu'il avait fixe pour 
fes noces arriva 5 & le palais fe trouvait 
rempli de Dames , de Chevaliers , de 
Bourgeois & de gens de tous les etats. 
Mais ils avaient beau fe demander les 
uns aux autres oji e'tait l'epoufe de leur 
Seigneur , auciia ne pouvait reponcre. 
Lui alors , comme s*il eut voulu aller au 
devant d'elle , fortit de fon palais > & 
tout cc qu'il y avait de Chevaliers & 
de Dames le fuivit en foule. 

Il fe rendit ainfi au village chez le 
pauvre homme Janicola , auquel il dk : 
« Janicola, je fais que tu m'as toujours 
» aime* : j'en exige de toi une preuvc au- 
*> jourd'hui , e'eft de m'accorder ta fillc 
» en mariage ».. Le pauvre homme , in- 
terdit a cette propoficion , repondit hum- 
blement : « Sire , vous etes mon Maitre 
*> & Seigneur , & je dois vouloir cc que 
*> vous voulez ». * 

La Pucelle pendant ce terns &ait ddfcuc . 



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O V C O K T E S. 257 
aiipres de fbn vieux pcre , toute honteufe ; 
car cllc n'ctait pas accoutumee a recevoir 
nn pareil hote dans fa maifon. Le Marquis 
lui adrefTant la parole : cc Grif<£Kdis > dh>il , 
» je veux ,vous prendre pour mon epoufe : 
» votre pere y confent , & je me flattc 
*> d'obtenir auffi votre aveu 3 mais au- 
to paravantrepondez-moi a une demande 
» que je vais vous faire devant lui. Je 
*> defire une femme qui me foit foumife 
*> en tour , qui ne veuille jamais que ce 
» que je voudrai* & qui, quels que foienc 
» mes caprices ou mpsordresj {bit tou- 
» jours prete a les executer. Si vous de- 
» venez la mienne , confentez-vous a 
*> obferver ces conditions » 1 Grife'lidis 
lui repOndit : « Monfeigneur , puifque 
» telle eft votre volont^ , je ne ferai ni 
*> ne voudrai jamais que ce qu'il vous 
n aura plu me commander 5 & ordonna£- 
» ficz - vous ma mort , je vous promets 
» de la fouffrir Tans me plaindre. II furrit, 
» die le Marquis ». En mte terns ii la 
prit par la main , & fortant de la maifon 
ii alia la preTencer a fes Barons & a Ton 
pcuple : « Mes amis , voici ma femme > 



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*40 Fabliaux 
m a dcvenir un jour les Vaflaux de U 
» petite - fille de Janicola 5 & moi dont 
» l'interet eft de menager leur amitie , je 
>? me yois force de leur faire ce facrtfice 
» douloureux qui coute tant a mon caeur. 
» Je n*ai point voulu m'y refoudre ce- 
» pendant fans t'en avoir prevenue 5 & 
» je viens demander ton aveu , & t'ex- 
** horter a cette patience que tu m*as pro- 
4 , mife avant d!etr& mon epoufe. Cher 
„ Sire , ripondit humblement Grifelidis 
„ fans laiffer paraitre fur fon vifage au- 
>, cun figne de douleur , vous etes mon 
*, Seigneur & mon Mari 5 ma fille & mpi 
„ nous vous appartenons j & quelque 
„ chofe qu*il vous plaife ordonner dc 
„ nous , jamais rkn ne me fera oublier 
^, l'obcifTance & la fdumiffion que je 
„ vous ai vouie & que je vous dois „. 
x Tant de moderation & dc douceur e'ton- 
nerent Je Marquis* II fe retira avec i'ap- 
parence d'une grande triftefle 5 mais au 
fonds du coeur, plein xTamour ted'admi* 
ration pour fa femmcQuand il fut f<?ul % 
i\ appella un vieux fervitcur ,. attache' a 
lui depuis treate aos^auquel il expliqu* 

fon 



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C TJ Co N'T E S. 24f 

/on projct , & qu*il envoya cnfuitc chcn 
ia Marquife. " Madame , dit Ie Scrgent * 
„ daignez me pardonner la trifle com- 
„ mjflion dont je fuis charge ; mais Mon- 
„ feigneur demande votre fille,,. 

A ces mots, Grifelidis fe rappellant Ie 
difcours que lui avait tenu le Marquis 9 
crut que Gautier envoyait prendre fa fillc 
pour la faire mourir. Elle e'touffa fa dou- 
leur/ n^anmoins , retint fes larmes ; & 
fans faire Ia mbindre plainte ni memc 
poufTer un fbupir , elle alia prendre l'en* 
fant dans fon berceau , la regarda long* 
terns avec tendreffe 5 puis lui ayant fait lc 
figne de la croix fur le front , & la bai- 
fant pour la derniere fois , elle. la livra 
au Sergent 

Celui-ci vint raconter a fon maitre I'c-* 
xemple de courage & de £j»mifIIon dont 
il vcnait d'etre t^moin. Le Marquis ne 
pouvait fe lafTer d'admirer la vertu de fa 
fern me j mais lorfqu'il vk pleurer dans fes 
bras cette belle enfant, fon coeur rut e'mu „ 
& peu s'cn fallut qu'il ne renoncat a fa. 
cruelle ^preuve. Cependant il fe remit, 
& commanda au vieiui ferviteur d'allcjc 
Tome IL O 



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*4* Fabliau* 
a Boulogne porter fecrettemenr 6 filld 
chez la ComtefTe d'Empeche Csl faeur 5 en 
la priant de la fairc elever fous fes yeux , 
mais de facon que perfonne au raonde, 
pas meme le Comre fon mari , ne put 
avoir connaiflance-de cc miftere. Le Ser-» 
gent ex&uta fidelement fa. commiffion* 
La Comtetfc fe chargea de Tenfant , & 
la fit elever en fecret > comme le lui re^ 
commandait fon frere. 

Depuis cette feparatidn , le Marquis 
vecilt avec fa femme comme auparavant. 
Spuvent il lui arrivait d'obferver fon vi* 
fage * & de chercher a lire dans fes yeux , 
pour voir s'il y demelerait quelque fignc 
de reflentiment ou de douleun Mais il eut 
beau examiner, elle lui temoigna toujour^ 
le meme amour & le meme refpeft. Ja- 
mais elle ntt^montra l'apparence de la 
triftefTe ; & ni devant lui ni meme en 
fon abfence , ne prononca une feule fois 
le nom de fa fille. 

Quatre ann&s fe paiTerent ainfi , ait 
bout defquelles elle accoucha d'un en* 
fant male qui acheva de combler le bon- 
fceur du pere & Ja joie <ks Jujets. EU% 



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O V C O N T E $. 245 

Ie nourrit de Ton lait comme l'autre. Mais 
quand ce fils bien-aim£ eut deux ans , 1c 
Marquis voulut lc fairc fervir a ^pronver 
encore la patience de Grifelidis , & il vint 
lui tenir a peu-pr£s ies memes difcour? 
qu'il lui avait tcnus autrefois au fujet de 
fa fiUc. 

Oh ! quelle douleur mortelle dut ref- 
fentir en ce moment cette femme incpm- 
parable , quand fe rappellant qu'elle avait 
deja perdu fa fille , elle vit qu'on allaic 
faire mourir encore ce fils, fon unique 
efp&ance , & le feul enfant qu'elle croyait 
lui refter, Quelle eft , je ne dis pas la mere 
tendre , mais meme l'etrangere compati In- 
fante & fenfibie , qui , a une telle fen- 
tence , eut pu retenir fes larmes & fes 
cris \ Reincs , Princefles , Marquifes , 
femmes de tons les ^tats , exoutcz la r&> 
ponfe de celle-ci a fon Seigneur , & pro* 
fitcz de Texemple. 

" Cher Sire , dit-elle , je vous Tai ju*e\ 
„ autrefois , & je vous le jure encore , 
„ de ne vouloir jamais que ce que vous 
t , voudrcz. Quand , en entrant dans votre 
11 pa&is > j? quittai mes paavres habits t 



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144 Fabliaux 
yy je me d^fis a la fois de ma proprc vo* 
i, lont6 , pour ne plus connaitre que la 
„ votre. S'il m'e'tait pofiible de la deviner 
„ avant qu J elle s'explique , vous verriez 
„ vos moindres defirs preVenus & accom- 
„ plis. Ordonnez de moi maintenant rout 
„ ce qu'il vous plaira. Si vous voulez que 
„ je meure , j *y confens : car la mort n'eft 
„ rjen aupres du malheur de vous d6- 
„ plaire „. 

Gautier e'tait de plus en plus ^tonne*. Vn 
autre qui eut moins connu Grife'lidis , cut 
pu croire que tant de fermete' d'ame n*£- 
tait qu'infenfibtlite' $ mais lui qui , pendant 
qu'clle nourriflait fes enfans , avair 6t€ 
mille fbis temoin des exces de {a ten- 
dreffe pour eux , il ne pouvait atcribuer 
fon courage qu'a l'amour qu'elle lui por- 
tait. II envoya comme la premiere fbis 
fon Sergent fidele prendre l'enfant , 6c le 
fit porter a* Boulogne od il fat 6k\6 avec 
ft petite four. 

Apres deux atifli terribles epreuves , 
Catitier eut bien dti fe croire sur de £a 
fcmme & fe difpenfer de l'affliger davan- 
**£e* Mais il eft des cams foupconneux 



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O V CONTES. 24J 

que rien ne. guirit; qui, lorfqutune ibis 
lis ont comment, ne^peuvent plus s'ar- 
reter , & pour lcfqucls la douleur des 
autres eft un plaifir d&irieux. Non-feule- 
meat la Marquife paraiflait avoir oubIi£ 
fon double malheur : mais de jour en 
jour Gautier la trouvait plus foumife , plus 
carefljinte & plus tendre ; & n^anmoins 
il.fe propofait de la tourmenter encore. 

Sa fille avait douze ans , fon fils en 
avait huit. II voulut les feire revenir au- 
pres de lui , & pria la ComteAe fa faeur 
de les lui ramener. En meme - terns il 
fit courir le bruit qu'il allait repudier fa 
femme pour en prendre une autre. 

Bienrot' cette barbare nouvelle panrint 
aux oreilles de Grif&idis. On lui dit qu'iine 
jeune perfonne de baute naifTance & belle 
comme une Fee , arrivait pour etie Mar* 
quife de Saluces. Si elle fat confternee 
d*un pareil ev^nement , je vous le laine 
a penfer. Cependaht elle s'arma de cou- 
rage , & attendit que celui a qui elle de- 
vait oWir en voulut ordonner. Il la fit 
venir , & $ n preTence de quelqles-uns d« 
ics Barons lui parla ainii : « Grif^lidis f 

O3 



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u& Fabliaux 
r> depuis douze ans que nous habiton* 
w enfemble jc me fuis plu a t'avoir pour 
^ compagne , parce que je rcgardais a ta 
* vertu plus qua ta naifTahce > mai$ il mc 
» fautun heftier, mes Vaflaux 1'exigent; 
*> & Rome permet que je prenne enfia 
» une epoufe digne de moL Elle arrive 
„ dans quelques jours ; ainfi prepare-tpi 
„ a aider ta place > emporte ton douaire , 
„ & rappelle tout ton courage. Monfei- 
„ gneu{, repondit Grifelidis , je .n'ignore; 
f> point que la fille du pauvre Janicola 
„ n'ettit; pas faite pour devenir yotre; 
„ epoufe $ & dans ce palais , dont vous 
„ m'avez rendue la Dame , je prend? 
„ Dieu a temoin que tous les jours , en, 
• „ le remerciant de cet honneur , je m'en 
t , reconnaiflais indigne. Je laiiTe fans re-» 
99 gret , puifque telle eft votre vplont£ > 
„ les lieux ou j'aj demeure' avec tant dp 
t , plaifir j # je retourne rapurir dans la 
„ cabane qui me vit naitre , & ou je; 
„ pourrai rendre encore a mon pere.des 
„ fojns que j'ltais fbrcee , malgr^ moi, 
f , de laiffcr a un Stranger, # Quant ai* 
»> dowtfrc d<W vow 4»e parjez , voui 



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O u Contes. Z47 

„ favez, Sire, quavec un cceur chafte 
„ je nc pus vous apportcr que pauvrete' , 
9 , refpecl; & amour, Jous les habillemen? 
„ que j'ai v&us jufqu'ici font a vous ; 
„ permettez que je les quitte & que je. 
„ reprenne les miens que j'ai confervas, 
„ Void fanneau dont vous m'epousates, 
,, Je fortis pauvre de chez mon pere , j'y 
„ rentrerai pauvre > & nc veux y porter 
,, que rhonneur d'etre la veuve irrepro* 
„ chable d'un tel epoux „, 

Le Marquis fut tellement £mu de ce 
difcours*qu'il ne piit retenir fes larmes , 
& qu'il fe vit oblige de fortir pour les. 
cacher. Griftlidis quitta fes beaux vetc- 
tcmens , fes joyaux , fes ornemens de 
tete 5 elle rcprit fes habitsjruftiques , &; 
fe . rendit a fon village , accompagneQ 
d'une foule de Barons, de Chevaliers 8c 
de Dames qui fondaient en larmes & re-» 
grettaient tant de vertu. Elle feule nq 
pleurait point ; mais elle. marchait* en 
filence , les yeux bain^s, 

On arriva ainfi chez le pere qui ne paruu 
jpas ^tonnd de l'evenement. De tout tgn$ 
CC jnariage lui avait paru fufpeft # & U 



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248 Fabliaux 

s'etait toujour? dout£ que tot ou tard le 
Marquis , quand il ferait las" de fa fille , 
Ja lui renverrait. le vieiliard PerabrafTa 
tendrement 5 & fans t^moigner ni couroux 
ni douleur, il remercia les Dames & les 
Chevaliers qui Pavaient accompagnee , & 
les exhorta a bien aimer leur Seigneur & 
a le fervir loyalement. Imaginez quel 
chagrin reflentait inteYieurement le bon 
Janicola , quand il fongeait que fa fille , 
apres un li long-tems de plaifirs & d'abon- 
dance , allait le fefte de'fa vie manquer 
de tout : mais elle ne femblait {feint s'en 
appercevoir , & elle - meme ranimait le 
courage <}e fon pere. 

Cependant le Comte & la ComtefTe 
<f Empeche , iiiivis d'un grand nombre de 
Chevaliers & de Dames , allaient arriver 
avec les deux en fans. D<*ja ils n^taient" 
plus quia une journee de Saluces. Le Mar«* 
quis^ pour confommer fa derniere epreu- 
*e , envoya chercher Grifelidis , qui vint 
aufli-tot a pied , & dans fes habits dc 
payfanne. " Fille de Janicola , lui dit-il , 
iy Remain arrive ma nouvelle epoufe j 5c 
*, comme performs dans mon palais oe 



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OU' CONTH. 249 

*, connait auffi bien que toi ce qui peut 
„ mc plaire , & que je fouhaite la bien 
„ recevoir , ainn* que mon frere , ma 
„ fpeur & toute la Chevalerie qui Tac- 
9> compagnent , fai voulu te charger de 
„ ces fbins , & particulieVement de ceux 
*, qui la regardent Sire , T^pondit - ellc , 
99 je vous ai de tello* obligations que , 
*, tant que Dieu me laiflera des jours , 
99 je me ferai un devoir d'ex^cuter ce qui 
,* pourra vous faire plaifir „. 

Elle alia aufli-ror donner des ordres 
aux Officiers & Domefliques. Elle-meme 
aida aux diflFcrens travaux , & prepara la 
chambre nuptiale & le lit deftine a cellc 
<3ont l'arriv^e prochaine Pavait fait chaffer. 
Quand la jeune perfbnne parut , loin de 
laiiTer e'chapper a fa preTence , comme on 
devait s'y attendre , quelque figne d' emo- 
tion , loin de rougir des haillons fous lef- 
<juels elle fe montrait a fes yeux , ellc 
alia au-devant d'elle , la felua refpe&ueu- 
fement , & la conduifit dans la chambre 
nuptiale. Par un inftind fecret , dont elle 
tie devinait pas la raifon , elle fe plaifait 
dans U corapagnk des deux enfans 5 elle 



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*jo Fabliaux 

ne pouvait fe laffer de les regarder & louait 

fans cette. leur beauti. 

L'heure du feftin arrivee , lorfque tout 
lc monde fat a table , le Marquis la fit: 
venir 5 & lui montrant cctte epoufe pre^ 
tendue qui , a Ton &lat naturcl , ajoutait 
encore une parure -^blouifTante , il. lui 
demanda ce qu'elle, en penfait. * Monfei^ 
„ gneur , repondit-elle , vous ne pouyiez 
„ la choifir plus belle & plus honnete; & 
„ fi Dieu exauce les prieres que je feral 
„ pour vous tous les jours , vous ferez 
„ heureux avec elle. Mais de grace , Sire p 
„ epargnez a cclle-ci les douloureux ai^- 
t> guillons qu'a fentis Pautre, Plus jeunc 
„ & plus de'licacement elevee , Ton cceuj; 
„ n'aurait peu«tre pas h force de les 
*, (butenir ; elle en mourrait „. 

A ces mots , des larmes s'echapperent 
des yeux du Marquis. Il ne put dinlmuler 
davantage , & admirant cette douceur 
inalterable & cette vertu que rien n*avait 
pu laffer , il s^cria : « Grifelidis , ma 
„ chere Grifelidis , e'en eft trop. J'ai fait, 
,, pour cprouver ton amour, plus qup 
„ jamais homme fpus le ciel n'a oXc ima-> 



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O V G K T E S. 2JI 
I, gine* 3 & jc n'ai trouve" eii toi qu'b- 
3, be'iflance , tendrefTe & fidelite* „. Alors 
il s'approcha dc Grifelidis qui t mod^te- 
ment humiliee de ces louanges , avait, 
baifle la tete. II k feirra dans fes bras , 8c 
l'afrofant de fes larmes , il ajouta en pfe^ 
fence de cette nombreufe affembtee : 
*' Femme incomparable , oui , toi feulc 
j, au monde es digne d'etre mon epoufe , 
99 & toi feule le feras a jamais. Tu m'as 
„ cm , ainfi que mes Sujets , le bourreau 
„ de tes enfans. lis n'etaient qu'&oignes 
h de toi. Ma foeur, aux mains de qui je 
> , les avais confi^s, vientde nous lesra- 
H mener ; regarde , les voila. .Et vous , 
„ nia fille , vous , mon fils , venez vous 
y, jetter aux genoux de votre refpe&able 
j,*\nere „. 

Grifelidis ne put fupporter tant de joie 
a la fois. Elle tomba fans connaiflance j 8c 
<juand les fecours qu'o'n lui prodigua lui 
eurent fait reprendre fes fens , elle prit les 
deux enfans qu'elle couvrit de fes baifers 
& de fes larmes , & les tint fi long-tems 
ferr& fur fon coeur qu'on eut de la peine 
a les lui ajrracter, Tout; le monde pleurait 



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2j2 Fabliaux 
dans I'aflcmble'e. On n'entendak que de§ 
cris de joie & d'admiration j & cctte fete, 
ce fitftin qu'avait prepares l'amour du Mar- 
quis devinrent pour fa femme un triomphe* 
Gautier fit yenir au palais de Saluces 1c 
vieux Janicola , qu'il n'avait paru negliger 
jufqu'alors que pour eprouvcr fa femme , 
& qu'il honora le refte de fa vie. Les deux 
epoux vecurent encore vingt ans entiers 
dans, l'union & la concorde la plus parfaitc 
lis marierent leurs enfans dont ils virentr 
les fuccciTeurs , & apres eux leur fils h&- 
rica de la terre , a la grande fatisia&ion, 
de leurs fujecs. 



II ferait difficile de compter routes le,s imi- 
tations qii'on a /kites de ce Fabliau , I'/tno 
des hifioires les, plus attendriff antes qjfau- 
eune Nation ait jamais imaginees. II a et£ 
traduit dans prefque toutes les Langues de 
I'Europe ; mais d'apres Bocace , qui fcul m 
eu Vhonneur de le faire connaitre : tant font 
a efiimer la. grace duftile & le mtrite de lm 
narration, le celcbre Pitrarque *n a public 
une verfiun Latine , que M» Manni dit £tre 
Unt traduction 'de Bocace. Je la croirais pin- 

t4t 



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DU CONTE J, 2f) 

t6t Jake cTapres nos Profateurs du quator\icme 

^ jtecle, qu'ilfuit ajpnexa&ement, & que j'aifuivU ^ 
moi-mime ; au lieu que Bocacl dans la fienna 
a fait quelques fupprejfions , telles, par ex un- 
fit , que eelle du diftours tendre & naff it* 
Vajfaut a leur Seigneur pour Pengagcr a fe 

v tnarier , celle du tableau Ji touchant du ca- 

waclere de Grifttidis & de fts foins pour fort 

vieux pere , &c. Pcut-itre aujfi Bocae e # qui 

Wait du godt, a-t-il voulu fauver quelques - 

unet des invraifemblances de ce Conte ; & n'a* 

t-il pas cm qu'un vieillard infirme qu'on eft 

Oblige* de lever & de coucher tous Its jours * 

puiJJ'e vivre encore dou\e ans , aprls avoir Hi 

sbandonni* 

Vers Us dernkrea annies du quato^iemt % 

Jjecle, on mit che^ nous le Fabliau en drame ^ Th F* 

fous le nom de Miftere de Grifelidis % 5 & ce t , z 9 p. 

Miftere extfte encore manufcrit a la Biblio* *9S» 

theque da Rot. II fit imprimi a Paris, aveC * eauch * 
• 5» > . « Recherc. 

quelques changemens , par Bonfonds , vers tSjS* r ur r cs 

Plupeurs nations, & en particulier les Ita- Th*Ut, 

liens , en out fait de mime une piece de th&a\* P ^A'' 

jjibl* du 
4rt : & ll y en a une d'Apoftoto Zen©. 2>. JCV, 

Tome II J? 



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1J4 F A B L T A it r 

<• * 

— ■■-■■ "■■ ■■ .11 I. . «t 

ParRu. * D E *L'A FEMME 

jtebcuf* 

QUI FIT TROIS FOIS LE TOUR DES MUR* 
DE L'£gLISE. 



Fauckbt err a donni rextrala ' 



M. 



Lari qui tente d*attrapper fa fcmnje 
tu picgc , je lur confeille auparavant d*e£» 
fayer d'attrapper lc Dfable. Fattez-fa tout 
lc jour , meurtri/lez-la de coups 5 lie lciv* 
demain il n'y paraitra feulement pas ,«eHer 
fcra pr£te a recomraencer. Ceft reette- 
ment un fpe&aclecurieuxavoir que femme 
poiRdant un mari bon-homme , & quj 
a intent de lui perfuader quelque chofe. 
Regardez-la faire; die le tournera fi bien 9 
elle iui en dira tant , qu'elle finira enfiti 
par le conVaincrc que le lendemain it 
rerra les nue"es flamber & lc ciel tonw 
ber en cendres. 

Je vous dis eeci a propos d'une Demoi— 
Telle ( a ) qui &ait U femme d'un Ecuyer 



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OU CONTES. 1|J 

Jc Bcaufic oa de Berry j je nc me fou- 
viens plus crop lequel. Ce que je me rap* 
pellc , c'eft qu'elle e'tair ramie chin Curs' , 
& qu'eile faimak aa point d'entreprendre 
de grand coeur, pour le lui prouver > 
Jes ctofes les plus difficilcs , s'il les avait 
digues. 

EfTe&ivement , un jour qif ellc e*taft ve- 
nue a TEglife, le Pr£tre, apres TOffice, 
Tayanc pri^e de fe trouver le foir pour 
one affaire , difait-il , importante , dans ' 
un bofquet qu'il lui nomma , elle le 4ui 
promit fans h^liter. La chofc au rcftej&aic 
<fautant plus facile que le man dans..ec 
moment ne fe trouHait point a la mai- 
fbn. Quant a l'afFairc qui devait s'y trai- 
ler , je ne puis vous en rien dire, parce 
qu'on n'a pu mt rapprendre. Je vous di* 
xai feulcment que les maifons, baties 
aoutes deux au milieu d'une enceinte d'cV 
pines , commc le font les maifons du 
Garinais, Itaienr eloigners Tune de l'autre 
<f un bon quart de lieue $ qu'a mi-che- 
min fe trouvait le bocage ; & qu'il ap* 
partcnait au Servant de S. Arnoud ( b). 

le foir a (ks que le foleil fut couch£ 
Pi 



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x?£ Fabliaux 

4c que ie Cure* «rut pouvoir s'&bapper 

fans crre vu , il fe rendit fecrettemertt 
au bofquet & s*y affit ert attendant fa 
belle. Ceilc-ci de fon c6ti fe preparait 
a alier le joindre , quand tout-a-coup Sire 
tAmoud rentra & dirangea le rendez-vous. 
Une autre a la place de la Demoifelle 
fc fut d&onccrtee fans doute ; mais notrc 
heroine ne crut pas , pour fi peu , deroir 
manquer a fa parole 5 & en depic da 
contre-tems , elle trayailla tout auffitot £ 
fe'mettre en etat de la tenir. 
. Le mari Itait harafle' & mouiIle\ Sous 
pr&exte de ne le point laifler refroidir , fans 
pcrdre un moment tile lui fit a fouper* 
U vous croyez bien qu'eile ne s'amuia 
pas a lui apprerer quatre ou cinq plats. 
" Beau Sire , rep^tait-ellc a chaque inftant, 
„ vous &es fatigue* , je vous confeille ie 
„ manger peu. Quand oh a beaucoup mar- 
M ch/T c'eft du reposqu'il faut. Venez vous 
„ coucher, croyez-mou, 3c tfallez pas vous 
„ ^chauffer encore a veiller „. Elle avait 
tant d'envie de fe d^barraffer de lui qu'clle 
lui arrachait prefque les morceauz de la 
bouohe. Enfin , elle le precha tant , que le 



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O V G O N T I S. 2 S7 

bonrhommc , flatte* dc ccs attentions, fortit 
de table , quoiquc mourant dc £iim ., Zc 
£c laiila conduire au lit. 
. II ccmptait que fa femme allait fe cou* 
cher aufli j mais lorfqu'il vit qu'elle nc 
fe d&habiilait pas, & qu'il lui en eut de- 
mand^ la raifon : " Sire , repondit-clle 5 fl 
„ eft encore bien bonne heure pour moi. 
„ Vous favez que 1'ouvrier me preflc pour 
„ la toile que jc vous fais faire > je n'ai 
„ plus dc fil, & 1'on ne trouve pas a. 
„ en acheter d'aufE beau que le mien. 
„ Dormez toujours , je in'en vais encore 
„ travailler quelque terns. Au Diable foit 
B9 la fila/Tc , repartit le mari m&ontent. 
„ Elle a toujours quelque chofc a faire 
t , quand je me couche , & puis le iende* 
„ main , pour fe lever, e'eft la miferc,,. 
Cependant, apres avoir un peu bougorme' i 
il fit fon figne de croix , & s'endormit. 
JLa Demoifelle, comme vous i'imagmcz, 
lie pefdit pas fon terns a le garder. Ellc 
courut bien vite au bois ou Tattendait 
(on ami , & ou rut traitee £ amplement 
rafFaire dont je vous ai parle, que le term 
t&oula Cms qu'ils s'en appercufTent. 

P* 



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2)8* Fabliaux 

Vers minuit Sire Arnoud s'eVeilla; ft 
furpris de nc point (entir fa femme an- 
prcs de lui , il appella la chambriere pour 
favoir oii elle dtait. Elle m'a dit en for* 
tant , repondit la fervante , que pour nc 
pas s'ennuyer elle allait filer chez fa com- 
mere. II ne faut pas demander fi VEcuyer 
fit la griinace , quand il apprit que (i 
Moide* etait dehors a unc pareille heurc. 
II prit a la hare (on Turcot , & couth* 
chez la eommere , qui dormait fort tran- 
quillement, &qui ne fut ce qu'on you* 
kit lui dire. Trop convaincu alors de ce 
qu'il avait a craindre , fEcuyer retourna 
chez lui en fureur j & d'apres quelques 
foupcons qui lui furvinrent , il voulut , en 
revenant 9 prendre par le bofquet. Mais 
fa femme heureufement Tappercut, & elk 
ie tapit fi bien qu'il pafla fans rien voir* 
Neanmoins comme il enrit terns de rcn- 
trer; quand il fut un peu lloigne* elle 
ie leva & prit conge' de fon ami. " Moa 
„ Dieu ! je fuis A&CM , difait le Pretre 9 
„ vous allez &re aflbmmee , il vous tuera. 
„ Songez feulement a n'ctre point rcconnu , 
„ lui repondit-elie en riant 5 le refte cfl 



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<y v C o n t e «• ij9 

.& mon affaire , & vous pouvez dormir 
*,cnpaix„, 

Elle fut recue , en rentrant , avec un 
torrent d'injures. " Coquinei raalheureufei 
*,<fou viens-tu? D*avec notre Cur6, je 
*> gage } ( kelasi il di&it vrai fans le fa«< 
*, voir). Je no m'&otme pas maintenant 
„ fi tu etais fi pre/Tee de ra'envoyer cou- 
*, cher „. Efle ecouta fes reprpches avee 
un fang-froid etonnant , ne repondit pas 
un mot , & lui laifla jetter fon premier 
feu, dans t'e(perance fans doute que la 
querelle finirait zvee les invedives. Mais 
qi&nd elk vit pourtant que prenant fon 
filence pour un avcu ,* il lui faiiif- 
(ait de/a les cheveux pour les lui cou> 
ycr(<?): " Arretez, dit-elle , & jugez- 
t , moi. Vous fave;z,.Sirc, 1'envie extreme que 
*, j'avais de vous donner un heritier. Je 
. it crois maintenant pouvoir en etre fiire , 
„ & mes voeux en panie font combles. 
„ Mais jlgnorc encore le feze de 1'enfant 
>t que je pone.; & voiia ce que je ferais 
„ curieufe de favoir s'il Itair poflible. J'aJ 
# , done que(rionn£ tout le monde , j'aj 
„ interroge* mes amies , elles m'ont re~ 



P4 



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16b 

„ pondu mais vous allez' vouS 

„ moqucr de moi „ : Et alors , afFeo 
rant unc efpece dc honte , cllc panic 
rougjr. 

Gc miftcre, cet air d'cmbarras , cc conv* 
mencement d'aveu fingulier exciterent la 
curiofite' de l'epoux. II ordohna a fa fcmmc 
d'achever. Elle fe fit prefer bcaucoup, lui 
fit bien promettrc qu'il ne fc moquerait 
pas d'elle , & cnfiri , commc il commen- 
^ait a fe facher , elle ajouta : " Eh bien ^ 
„ puifque vous voulez le favoir , on m'a 
„ cnfeigne' un fecret qu'on dit fur ; & 
„ le voici. Il faut alter pendant trois nirits 
„ conftcutives a la porte de TEglifc ; puis 
„ a chaque fois faire trois tours en de- 
„ hors fans parler $ dire enfuite trois Pater 
„ en Thonneur dc Dieu & dcs Apotres j 
„ enfin . creufer avec le talon un trou en 
*, terre. Le troifieme jour on revient exa* 
„ miner la fofTettc Si elle eft ouverte , 
„ ceft un garcon qu'on doit avoir ; mais 
„ fi on la trouve fermec , c'eft unc fillc* 
., J'ai done cntrepris avant-hicr ma de% 
f , votion , jc viens de finir mon dernier, 
» tour, & jc fauraidemain k quoim'en 



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e v Gontes. 161 

w tcnir j ou plutot , cotnme lc jout 
„ eft d^ja comment, je puis lc fa- 
99 voir des rinftanc mSmc , fi vom 
„ voulez „. 

A ces mots , clle pria Ton *nari de re- 
toumer a PEglife avec elle. II eut beau 
aHeguer des excufes & pr&endre qu'il fc- 
xait aflez-tot d'y aller pour la Mefie 5 clle 
le prefla tant, die montra on befoin fi 
extravagant de contcntcr (on envie , que 
lc bon Ecuyer , par egard pour Ntat re£ 
peclablc ou elle difait tec , confentit a 
1'accompagner. Quoique le jour fut <teji 
aflez grand pour fe conduire , dlt vou- 
lut encore qu'il prit une lanteme afin M 
xnieux voir. 

Arrived a la pone de l'Eglife , clle lui 
montre a quelque pas de-la , l'endroit 
pr&endu ou clle dit avoir frappe* du ta- 
lon , 8c le prie d'aller voir ce qu'eile doit 
attendre. 11 s'approche , regarde , ouvre 
ia lanterne, & crie qu'il ne voit point 
dt trou. A cette nouvellc la Dcmoifcllc 
4ccourt tranfportee. Elle fe jctte a foa 
cou, pleurc de. joie , rembrafTc mill* 
Jfois , fe met a genoui pour remercic* 

Pf 



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ifct Fabliaux 
Dicu de la grace qu'elle en a otxc* 
nue, & fait tant de folics que le bon 
Arnoud , ravi a Ton tour , fembraffc 
auffi & revient chcz lui au comble dit 
bonheur. • 

Que vcut vous apprendre Rutebcuf par 
ce Fabliau ? Rien , Meffieurs j finon que 
femme qui eft marice a un fot , a tort* 
fi elje deTIrc encore quelquc chofc. 



NOTES. 

( a 9 UneDcmoifelle qui itau la fimmefta. 
Ecuyer )• Cette femme quoique marice , eft 
appellee Demoifclle , parce que fon man 
n'eft qu'Ecuyer. On ne donnait dans la ri- 
gueur le titre de Dame qd'aux epoufes des 
Souverains , des trds-grands Seigneurs & des 
Chevaliers. Brantome, qui ecrivait trois fic- 
clcs plus tard, appelle encore fon aYeule la 
Senechale de Poitou , Mademoifillc dt Bour- 
4tti.lt. Si' quelquefois let Fabliaux offrenc lo 
contraire , fi l'on y volt des femraes de ViU* 
tains ou de Bourgeois , nominees Dames a 
s**ft • ou line dcrulon t ou xmc £15011 do 



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OU C.ONTE'5, 16$ 

Jtttler ramillere qui n'eft point aftrcintc aux 
iregles. . . . 

( & ; Appartenalt <& Servant de Saint- Ar- 
jurai ), Ii n'eft pas 'bcfoin , je crois , d'ex- 
pliquer. ccttc pjajfaneerie que tout le raondc 
•eatend, & qui eft deycnue populaire : 

Suif-Je nit dans la conftairie 

Saint ArnoaM , le Seigneur det Coux? 

( e ; lid fiifijfait dija les cheveux pour lei 
lul couper )• On rafait la t£te des femmes 
convaincues d'adulcere 5 & cette coutume, 
afitee chec les anciens Getmains , parafc 
£rre une de celles que les Francs apporte- 
xenc & eublirenc dans les Gaules. La Na- 
tion, qui efti.nak adez fa chevelure pour 
«n faire ' le figne djftin&if de 4a nobleflc , 
dcvaic attacber i cetce perte beaucojip de 
*46shonneur. On fait que fous la premiere 
Race l'amputacion des cheveux fuffifaic feule 
pour degradcr un Prince du fang Royal & 
le rendre incapable de fuccedcr £ la Cou- 
ronne. Plufieurs anciens mahufcrits prou* 
vent que quand la rcmme adultere avait ece* 
ieduite ou proftituee par une autre fenune, 
celle-cl £ufr attaches au pilot! ou on lui 



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164 Fa'b-liavx" 

brulaic Jes cheveux , & bannic enfuite. LA 
meW peine etait deftinee 4 cellc qui profti- 
tuaic fa fille. On lira plus bas un Fabliau 
qui roule tout entier fur des cbereux coupe*. 
C'etait encore il y a quelques ann6es une del 
puniuons des femmes publiques. 




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ov ■ Conns. x6; 



* LA ROBBE D'ECARLATE. 



U, 



N Chevalier du Comte* de Dammar- 
tin, fage& fans reproche , avait fak fa 
Aiie d'une famine aimable & joie , marine 
un riche VavaiTeur( a ) , dont le Chateau 
tfe'taic diftant du fien que de deux lkues. 
Jaloux de plaire a la Dame , il ne laifTait 
Ichapper aucune occafion d'aquenr gloire 
& honneur: auffi dans teute la contree 
Ic regardait-on gen&alement commc un 
preux Chevalier. Le VavafFeur au contraire 
aimait a juger ( b ) , & ne trillait que 
quand il fallait parler dans un tribunal, 
ou difcuter u/ie affaire. 

Un certain jour de Juilfet, celui-ci fue 
oblige de partir pour aflifter aux plaids 
•de Senlis. La Dame aufli-tot envoya fe- 
crettcment vers fon ami , & lui fit dire 
de fe rendre aupres d*elle , des que fa 
nuit le permettrait. Le Chevalier qui n*i- 
gnorak pas le refpeel: qu' Amour exige en 
pareil cas , prit fes cpeions d'or , fa bdk 



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166 Fabiiaox 

robbe d'e'carlatte fourr& d*hermine(Of 
& v£tu comme un jeune Bachelier , Tcf- 
froi des Amans , il partit fur Con grand 
palefroi { d ) , emmenant avec lui pour 
Vamufer en route , fi par hafard il trou- 
vait a fairc lever quelqu'alouette , un 
tpewrier & deux chiens. Tout le monde 
itait de'jat couche' au chateau , quand il 
y arriva. H prit done lc parti d'attacher 
ion cheval , fit percher fon oifeau , & 
fins appellor perfonnc fc rendit a la chambrc 
dc la Dame qui l'attendait au lit. 

Au point <ki jour le mari rentra. JLes 
j>Iaids de Senlis avaient it& remis a la fe* 
maine fuivante, & il rcvenait chez lui 
cpucfaer ; mais imaginez quel fut fon e'ton* 
nement, quand, en entrant dans la cour, 
il vit un cheval , des chiens & un eper- 
vicr. II foupconna quclqu'iin aupres dc 
fa femme & monta rapidement chez ellc # 
pour s*en e'claircir. Le Chevalier heureu* 
iement fentendit ouvrir. Il faifit a la hate 
ce qu'il put de fes habillemens & fe pre*- 
cipita dans la ruelle, ou il fe tajnt. La 
Dame , pour k cachfcr , jetta fur lui foa 



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o u (Jqntes. i6j 

jnanteau & Ton pelicon 5 mais il e'tait fi 
preAe* qu'il n'eut pas lc tems de prendre 
fa robbe 5 elle fe trouvait fur un coffre 
aupres du lit , & ce fut le premier ob- 
jet que le Vayafleur appercut. 

"Madame, dit-il d'un ton fort fec t 
»> que fignific tout cela ? Jc viens de voir 
„ la-bas un cheval & des chiens j yoicj 
„ une robbe s qui eft venu id en moa 
„ abfehce 1 Sire , repondit-elie fans fe de- 
n concerter , e'eft un prefent qu*on vou* 
>, fait. Mais dites-moi , eft-ce que vous 
„ n f avex pas vu mon frere? j'en fuis fur* 
y> prife 9 car il vient de partir dans fin* 
y, ftant , $c vous auriez du le rencontre*. 
n II eft venu bier ici avec certe bell* 
„ robbe. Moi , narvement 8c 6ns in$en- 
# , tion , je me fuis avi$e de laciber dan$ 
*, la xpnver&tion que je croyais qu'elJe 
t , vous irait bien. Je le defies, nVa-t-U 
M repoadu; & auffi-tot il s'taieft depouil!4 # 
„ me priant de vous faire accepter en meme 
„ tems , pour dormer quelque prix a (a 
„ gaknterie , fes eperons (f or. , fes chienft, 
„ £bn epervier & fon patefirei qu'il^smt 
to tanc Vous devinez, &rc, quelk aejtf 



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t6i Fabliaux 

„ ma reponfc a ccttc ofFre generenfe; 
„ mais j'ai cu beau dire , beau me fa- 
„ cher, il n*a rien Scoute* & a tout laifR 
„ chez vous. Recevez done fon cadeau ^ 
„ puifque vous ne pouvez le refufer fans 
„ lui faire de la peine. Il ne vous (era 
„ pas difficile de trouver bientot quelquc 
„ chofe qui lui plaife & qui pourxa 
„ fervir a vous aquiter „. 

La bourde riuffit a mcrveille. LcVa- 
vaiTeur , naturellemeat un pcu avare , fur 
enchants* du preTent. Cette robbe cepen- 
dant rhumiliait j il aurait voulu que & 
femme Teut exclue du cadeau , & appre^ 
liendait qu'onnc le taxat de peu dc d&ica- 
tefle. " Point du tout , Sir* , on dira que 
,, e'eft dc votrc pan franchife & com- 
„ plaifance. Rien ne doit tec refufi dc 
„ La main d'un ami ; & , pour moi -, quand 
f , je vois quelqu'un craindre de rccevoir , 
„ jc dis a coup sur que e'eft qu*il a peur 
, dc rendre „. Enfin die parla fi bien quil 
avoua qu'cllc avaic raifon 8c promit dc 
tout garder. 11 fc coucha enfuite* 8c 
Dicu fait comrac ilfut rccu 8c baife* , 8c 
tout cc qu'on fit pour lcndormir. Mais 



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6>U C "O N T E S. l€$ 

i peine cbmmericait-il a ronfler que la. 
Dame pouflk du pied fon ami. Celui-ci 
alia doucement feprendre fa robbe. j & 
remontant fur fon cheval •s'en retourna 
avec fes chiens & fon oifeau. 

Vers le midi le Vavaffeur fe reveilla , & . 
fa. premiere penfte fut de demander fa 
belle robbe. Son Ecuycr , qui la veiile 
avait iti' aux champs tout le jour pour 
faire travailler les moiffonneurs , & qui 
nc favait ce que' lignifiait ce difcours * 
lui en apporta une verte (*) qu'il avait. 
** — Eh non , ce n'eft pas celle-la , c'eft 
„ la robbe e'carlate qu'on m'a donnee 
„ hier ,,. La femme le regardant d'un 
air ^tonne* , lui dcmanda s'il avait achet6 
ou emprunt^ quelmie robbe a Senlis. 
« -Non , Madame , encore une fois , 
„ c'eft cclle de votre frere. Mais vous 
„ dever le favoir mieux que moi , puif« 
„ que ce matin , en arrivant , quand je 
„ l'ai trouvee fur ce coffre , vous m'avei 
„ die vous-meme que c'&ait un cadeau. 
„ qu*il me raifait. — Mon ftere , Sire 1 
„ il y a plus de quatre, mois que je ne 
M l'ai vu. Affur^ment c'eft un reve que 



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$70 JFabliaux 
^vous avcz fait en dormant 5 8c s'if 
„ leak vena ici , commc vous 1c pr£- 
„ ten^ez , il tfeut eu garde de me tenk 
t> le propos frun homme ivre ou <Ftm 
„ fou & de vous propofer une de ft*. 
5 ,robbes. Laiifez cela aux M&i&riers , 
*, aux Jongleurs & a tous ces vagabonds 
*, qui chantent pour nous amufer.' Votre 
^terre tous rapporte plus de,*o li- 
» vrcs (/) 5 il y a la de quoi fatisfaire 
M toutes vos fantaifies. Achetez un pa* 
„ lefroi aufli beau qu'il vous plaira , don- 
s , nez-vous Jes habits qui vous feront 
s , plaifir , vous lc pouvez ; mais fongex 
„ que vous n # &e$ point rait pour porter 
w ceux des autres. — Eh <juoi 1 ce matin 
t> c'&ait vous qui nto exhortiez, A vous 
„ entendre , je ne pouvais refufer vorrtf 
f , ftere fans l'humilier & fens lui faire 
„ de la peine. A pr^fent e'eft moi qui 
„ me deshonore : lequcl croire des deux 1 
99 — Moi, Sire , j'ai pu tenir un pareil 
t , difcours I Moi j'ai M vous dire que 
», mon frere m'avait parte , lorfqu'il n'&- 
t , tait pas venul^n v£rit£ & je ne favais 
i» que vous avez doxmi , vous m'inqu&» 



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ou Contes.' iyt 
»> teriez beaucoup. Mais surement vous 
yy voulez vous amufer. £a , parlez-mot 
„ franchement 5 dc bonne-foi croyez-vous 
„ avoir vu ici unc robbc \ — Oui ccr- 
99 tes , jc 1'ai vue , elle cuit la , & j'cn 
„ fuis audi stir qu'il Peft que jc vous 
„ vois. — Ah ! doux ami, vous m'al- 
„ larmez, & il wus eft arrive* en route, 
w j'en repondrais , quelqu'accidenr- que 
„ vous ne voulez pas me dire. Regar- 
„ dez-moi ; eh 1 oui , voila ce que je 
„ craignais ; vos yeux font jaunes , vour 
„ fentez la fievre. Certainement vous eteft 
„ malade. Recouchez^vous , croyez-moi ; 
„$c puifqu'il a plu a Dieu det trouble* 
99 votre rrfemoire, recommandez-vous a 
„ Notrc-Dame ou a quelque bon Saine 
„ du Paradis , pour qu'ils vous la ren- 
99 dent. Faites vceu d'aller vi&er VtgliCt 
„ du Baron S. Jaques (g). Vous revien- 
„ drez par celle de Monfeigneur S. Ar- 
„ noud j il y a long-tcms , fi vous m'en 
„ eufHez cru , que vous lui auriez pn>- 
„ mis un cierge auffi grand que vous „. 
♦Quoique tout ce difcours commencat 
a inqui&er lc Vavafleur , il ne pouvait 



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i 7 x Fabliaux^ 
n£mmoins s*6ter dc refprit qtfil avairvn 
unc robbe for lc coffre , & il fit venir 
tous fes gens pour lcs intcrrogcr a ce 
fujet. Mais nul d'eux, commc je ▼ou$ 
Tai. dit , n'avait vu lc Chevalier; ft 
quand meme ils euflent e^6 temoins de 
toute raventure , ils fe fuflent bicn gzt& 
dc dire autrenient que leur mairreue. 
I/epoux crut done pour le coup avoir 
1'eiprit trouble* ; & feneufement allarme* 
de Taccident , il fit voeu d'allcr en pcl6- 
rinage a S. Jaques , & partit effe&ivc- 
snent trois Jours apres. 

Meflieurs, ce Fabliau eft rait pourles 
maris. U les averttt que e'eft etre fbu 
que. d'ajouter fbi a ce qu'ils voient de 
Jeurs^propres yeux. Pour bien feire & allct 
leur droit chemin , ils ne doivent croirc 
que ce que difent leurs femmes. 



St trow* dans dans les Tromperies de c* 
6ecle,p, 40. 



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U C O N T £ 5. 17j 



NOTES. 

. (a,Mari£e d un rieht Vavajfeur), Le V*» 
vafleur etait Cclui qui tenait un arriere-fief | 
c'eft-A-dire , dont la rctre n'avait que moycnne 
& bafle jufticc , & relevait d'un Seigneur qtfi 
lui-m6me etait Vaflal d'un autre. Nos JuriC- 
jconfultcs jjc font point trop d'accord fur la 
{ignification prtcife de ce titre 5 & Ton con* 
501c que le fort, du VavafTeur 9 dependant du 
caprice de Ton Suzerain, a du, felon. les lieux. 
& les perfonnes, varier infinimca* 

{by Le vavajfeur aimait d juger ). Outre let 
Chevaliers qui par la nature de .leur fief 
£taienc tenus d'aHUter aux plaids de kur 
Suzerain. , il 7 en avait qui , dans les Cours- 
dc-j 11ft ice des Souverains ou des Grands-Sei- 
gneurs , fe deVouaient par gout aux fo nc-r 
cions de J ug.es. On Jes appellait Chevaliers- 
J*ettres , Chevalier s-de? Jufticc , Chevaliers-is- 
2,oix» II y en eut pendant long-tems un ccr^ 
gain nombre dans le Parlement ; eux feulg 
m£me avaient ^qualification de Monfeigncu* 
ou de Me Aire ; & Ton ptetend que e'eft do* 
JU , corome je l'ai deja dit , que vicnt la cou- 
{umqyfc donnct au corps du Pailcmcnt I* 



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174 Fabliaux 

titre Nojjeigneurs. On trouvc an excmple 4s 
% Du Can- Cheralier-is'Loi* dh Pan x 1 1 j \ 
ge t Glojf. ( c , Prit fa robbe fourrie (Chcrminc ). II a 
milcTlitr '**** M ' remarque* au t« dt Larval qu\m 
teracus. porta* des fourrures en e*t£, 

U eft die ici dans 1'original que le Chevalier 
Worrit dlchauffi , £ caufe de la chaleur. J'avoue 
que je ne con9ois crop rien a* cette maniere 
d'allet I cheval, fans bas, & avec des cpe» 
rons. 

( a* , Parrft fir fin grand Palefroi ). Dan* 
!es Jotices & les Tournois , le faeces d'uft 
Chevalier 'dependant en partie dc la ibrce de 
Ton cheval, on avait, pour ces occasions, 
de grands & vigoureux chevaux de batailld 
qu'on noramak Dextriers ; fie de-14 cette ex. 
• predion proverbiale qui fubfifte encore , man* 

tet fir fes grands chevaux , pour fe fickeri 
Ceux dont la Chevaliers fe fervaienc pour 
voyager , s*appellaient Pulefrois. Cependant 
ces deux denominations ont etc ibuvenc con* 
tfondues. 

Jamais un Chevalier ne montait de jumenr. 

C'euc ere pour lui une moncure derogeante 

# qui feule eflt fuffi pour le faire rcgardet 

Comme degrade. 

( c * San Ectyer jui , la vetlle, <wunft/mi* 



• 



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OU C K T 1 S. ljf 

tlatnps tout le jour pour fare travaxlltr let 
moijfonneurs , lui en apporta une verte ). On 
temarquera que voici un Ecuyer faifant l r o^ 
ficc de valet de chambrc & d'infpefteur de 
journaliers. Qu'ori ft rappclle ce qui a it6 
die precedemmem fur Ics fbn&ions ^e cet 
Geniils-hommcs dans la nete qui let ic^ 
gardaic. * 

(/, Fbrre rerre v<m$ rapptrtc phtt de quarre* 
mingt liwe% , (2 il y & Id de quoi fatisfair* 
toutes vos fantaijits- ). Le Poe'te, quelquet 
ligncs plus hant , a reprefente le VavaflTcut 
commc un nomine richc Pour qu*on £uiile 
apprccicr ce qu'etait cecct richefle rclad*. 
yemeni 4 cello de nos jours , je vais ajoucet 
jjuelques autres fcits du m&ne fiecle , que 
f?aurai meme foki de ne choifir <jue dans la 
Capitale, ou Ton cemprend que les prixdo 
vaient en rout £tre plus hauts que dans lei 
2rorinces, 

En uy6, un Juif yendira PAbbe* de Same 
Victor foixante fous parifis un demi-arpent de 
Tignes \ Quelques annees plus tard Alphonfe 'Sawak 
de France , le dernier des Comtes de Tou^ (f#: d * 
loufe, acheta»pr£s du Louvre, 535 li*% un 
grand terrein con tenant des maifons , des 
granges U des places , & (1 tafte qu'apres fk 



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Paris + *, 
a. 



Vj6 Fabliaux 

mort le Com:? de Pcrfgord, qui l'occupatvei 
fon Rls, en vcndit la moitie au Comte d'A- 
! Ibid* lencon, fils dc S. Louis*. On verra dans 1c 
Fabliau de U Uovjfc coupee en deux , une 
maifon occupee par. un Chevalier , Uquelli 
itait fi bonne % dit l'Aiwur, qu'iZ Vtut Vitn 
pi louer 20 iir*. 

Sur ces faits , qu'il ne me fetait que trofl 
AiCe de multiplier * j*obferverai que la dcmi- 4 
Jivre ou marc d'argcnc qui > au commence- 
ment du regne de S. Louis, valair 54 fous 
7 deniers, vaut aujourd'nui jx liv. : que ft 
valeur numeraire par consequent eft devenue 
llix-huit fois plus forte , fans que fa • valeur 
intrinfeque ait augments ; &c qu*ain(i un homme 
qui auraitde nos jours 1400 lirres de reyenu\ 
ne feraic pas plus ricue- que notre Vavaffeut 
retaic avec fes 80. U aurait memc phulque- 
ment moins d'argent , quoique phifiquemem 
il en cut le meme poids , parce que notrt 
rnonnaie a de Palliage , 8c qu'alors elle n'civ 
avait pAnt , ou en avaic cris-peu. Enfin , ej* 
'■ cgard au prix refpe&if des denrees -qui » n'o- 

tant point foumifes aux impots , ctaienr a* 
tres-bas prix , il fcrait reellcment moins a Com 
aife. On voic dans un Fabliau les gages d'un 
jalc? de chacruc cfcim.es 4 4a igus par an* 

D'apres 



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O V Co K T E S. • iff 

:tyapr^$ le calcul qu'en vienc dc lire, cc fe- 
rait. environ % livres dc notre monnaie ; or 
ye demande«|uel eft l'endroic du RoyaumeoA 
Ton aurait a ce prix un valet ? Dans Beau- 
wanoir\ la journSe de Thommc de pied eft *C*. JiJ 
evalu£e huk deniers, fie celle de Thommede P' ***• 
cbeval deux fous. En 1116 t Mathilde. , Cora- 
tcfle de Nevers , ayant fonde" , pour executer let 
derniere* volontcs d'Herve fon mari , une Cha* 
fcelle i Entrain , dans TAuxerrois , elle f af- 
figna quinxe lhrres de revenu \ Ces quinze li* * jj^ 
vres de rente 6taient fans doute fuffifanws tTAux, 
pour vivre , puifejue Guillaunie , Eveque de P ar le 
Paris , dans un Reglemenc public trente- * , ' f* 
trois ans auparavant , avaic declare" qu'un Ec- ' % 

clcfiaftique ne pouvait pas , en surete de cons- 
cience , pofTeder a* la fois deux benefices don* 
Tun rapporteraic cette fomrae; 

Et pour ne citer , encore une fois , que 
des exemples pris dans la Capicale , Sainc 
Louis , afin d'engager les Juifs i fc conyer* 
air, faifair & ceux qui recevaienc le Bateme 
une rente d'un' ou deux deniers par jour. 
Quand il fonda i'H6pital des Quinze-Vingts* 
il ne donna pour la nourrirure de ces tro» 
cens aveugles , que jo livres parifis par an. 
Aux Hofpitalieres nominees Filles-Dicu , ilcf 
Tome II Q . 



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V$ . Fabliaux 

donnait 400 ; & ayec cette fomme modiqtrtf ; 

fur Jaquelle il lent fallaic encore de£d* 

quer 10 livces pour le Cure d%S. Laurent- , 

elles trouvaicnt moyen d'entretenis Jcur H<J- 

* Sdutal* pital*, de payer lcun domeftiques , dc rece- 

§tr; k . tfoir les pauvres qui fe prefencaienc , de nourrir 
Paris, t . . cu o j • 

- . -deux cens nllcs rcpentics, & avaient de quoi 

.vivre treVhonnetemcnt. Je vois par une piece 

de jios Poe'tes, intitulce les Cris de Paris , 

que^e fac ds charbon coutait un denier; Sc 

•par une autre, qu'on 7 avaic un pice poiir 

une obole. 

II en 6tair ainfi des chofes de luxe. Un 

-compte de la Maifon du Roi pour 1'annce 

% Brutfel 9 - 1 *©* *» prouve que l'habillement complet 

traittdes -d'une Dame du Palais coucaic 8 liv. , celui 

jS * -.des ^hambrures *8 fous , & la toile pour les 

cpi. cbemifes des plus hauces Dames 1 f. 8 den* 

^Vely* -Daos ua autre compte .dc l'annee 1117 ** f 

Hifl. de la robbe la plus riche qu'avait eue le Prince 

vi**' Louis, fils aine de Philippe- Augufte , monfe 

70. * 9 Hy. 15 r. II y en arait une de %6 f. 

Quand S. Louis confera la Cberalerie aa 

^Prince Philippe foil fils , il y eut a Park 

des feces magnifiqiies qui durerenc huic jours, 

& pendant lefquelles plus de foixance Sei* 

fneurs fuieac fries Chevaliers ayec le Prince. 



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© V C O N T E S. *79 

Jamais, remarquent Jes Hiftoriens, on nc vie 
& pareille c6rcmonic plus dc Noblefle & de 
Clerge raflembles. Lc Monarque en voulut fairc 
tons les ftais. lis monterent & 1360 liv. 

(£, VEglife du Baron S. Jaqucs ). Cc titrc 
«fe Baron donn6 £ S. Jaques de Galice eft aflcz 
commun dans nos vicux Auteurs. FroifTart l'cm- 
ploic pluficurs fois dans le corns de fon'Hiftoire. 




3 it zed by GOOgk 



i8o Fabliaux 



ParGu*. DELADAME 

fin* 

QtJI IIT ACCROIRE A SON MARI 
<*U*IL AVAIT RIVE. 

Alias 

LES CHEVEUX COUPES. 



*' i- ins que Gu&in a tant fait quede 
„ rimer ce Conte , il eft jufte que fa 
„ peine ne foit pas perdue , & il faut 
„ que vous ayez la J bonte' de Tentendre „. 

La fuitt nt peur ft priftnter qu*cn extrait. 

La femme d'un Chevalier aime un 
jeune homme. Celui-ci a une foeur ma- 
rine, chez laquelle fe donnent pendant 
quelque terns les rendez-vous. L'Amant 
«nfin trouve le moyen de s'introduire 
une nuit chez fa maitreiTe. Il s'avancc a 
tatons vers le lit pour la reveiller $ mais 
V obfeurite* fait qu'il fe trompe & s'a- 
dreilc au jnari. Le Chevalier fentant des 



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O XJ CONTES, 1?I 

mains Strangeres $c croyant avoir affaire 
a un voleur , lc fault fbrtcment > & apres 
avoir luttc* quelque terns avec lui , il le 
xenvcrfc dans un cuvier qui fe txouvc 
la , & eric a fa femme cftpporter bien 
vite unc lumiere. La iemme qui ne doute 
nullemenuque ct ne foit fon ami , i£- 
pond qu'elle a trop peur pour aller ainfi , 
dans les tenebres , a la cuifine 5 mais 
elle s'ofFre , & l'epoux veut y aller , de 
cenir le voleur. Le Chevalier le lui faic 
prendre par les cheveux , en lui reconv 
mandant de ne point lacher , 8c court 
allumer fa chandelle 8c chercher fon epee. 
Pendant ce terns la Dame fait evader le 
galant; apres quoi elle court prendre a 
ratable un jeune veau , qu'elle pone 
<lans le cuvkr 8c qu'elle faifit par la 
queue (a). 

Le Chevalier ,' quand il revient & qu'il 
fe voit ttomp£ , fbupconnant ce qui n'eft 
que trop vrai , dit fechement a fa femme 
d'aller rejoindre celui qu'elle avaitmanae, 
8c h met a la porte. Elle fe rend chez. 
la four , oii de^a £tait arrive* le jeune 
bomme & oii ton fe d&iommage da cont 



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282 Fabliaux 

trctcms qu'on vient d'eprouver. Mais au-» 
paravant cllc appcllc la fervarite , & lui 
promet cinq fous f fi cllc vcut aller dans 
la chambrc du Chevalier s'aifeoir au pied 
du lit, & la Yanglotter & ge*mir de {on 
raieux. La fiUc , fcduite par l'appas da 
gain, y confcnt. Lc Chevalier, que lc 
bruit reveille & qui croit entendre fa 
fcmme, faute du lit. en coiere. Ii la 
frappe avec un baton dont il s'etait 
arme* a deiTein % & lui coupe les che- 
veux pour rendre fa home publique. Ellc 
fe fauvc enfin , & revient ^n pleurs ra- 
sonter ce qui lui eft arrived On la con- 
fole en lui promcttant de la dddomma* 
ger plus araplement. 

Quelques momens apres , la femme a 
^uand elle foupconne que fbn epoux 
pourra etre rendormi , retourne chezelle, 
cnleve fubtilement les chtveui qu'il avait 
founds fous le travcrfin , met a la place 
la queue de fon veau qu'elle coupe , fq 
desnabille enfuite & fc couche tranquil-. 
Iemcnt. Le matin , le Chevalier , en fc 
jeveillant , eft fort furpris 'de la voir i 
ics cotes, & lui demande de quel front 



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OU CONTES, l8$ 

die ofe refter chcz lui — Ehlou vou* 
lez-vous done que j'aillc } n'ejes-vous pas 
mon man ? La-deflus groffes injures fur 
faventure de la nuit. La Dame affe&e 
le plus grand e'tonnement, & d'un air 
ferieuxj'-qui le deconcerte , lui demandc 
a fon tour s'il reve, ou s'il eft devenu 
fou. Pour la convaincre , il veut montrer 
les cheveux qu'il lui a coupes , &C ne tire 
que la queue du veau. A cette vue il 
rcfte interdit & fe croit enchant^. Il 
tate , il examine fa femme a qui il ne 
rrouve ni la marque d'un coup, ni un 
cheveu de moins, Celle-d profitant de fon 
e'tourdiflement , fe plaint , de la maniere 
la plus hautaine , des foupcons injurieux 
qu'il a of6 concevpir fur fa vertu. Elle 
pleure , elle fe faebe, elle veut fe re- 
tirer chez fes parens. Pour l'appaifer, U eft 
pblige* de lui demander pardon a mains 
jointes j & il rcfte convaincu que, dans un, 
xevc fans doute, il a &e lui-meme coupes 
la queue de fon veau, croyant coupe* 
les cheveux de fa femme ; mais jamais, 
ajoute-t-il , je n'ai eu un reVe qui m'a» 
autant fcappe* quccsluirci. 



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i?4 Fabliaux 



Dans d'autres verfions la feint ft pajfe che\ 
un pay/an ; mais il y a peu de difference avec 
la verfion qu'on vient de lire. 



Ce'.Conte eft un de ceux que les Fabliers 
out imittf de Bid -Pal ; car quoique la tra* 
duBion que Galand nous, a donneede cet Au- 
ttur foit fake dT&prh une autre traduction 
turque affe\ moderne; quoiqu'il avoue que cet 
Outrage ne nous eft parvenu que de traduc- 
tions en traductions 6» que les tranftateurs fe 
font per mis d'y faire des additions d lew grc; 
nt an mo ins , vu Vimpojfibilke dt pouvoir dif* 
tinguer ces morceaux modernes. je regarderai 
comme de Bid-Pal tout ce qui Je trouvt dans 
la verfion francaife de M, Galand* 

Lafemme d'un Cordonnier a une intrigue i 
de laquelle une voifiae > femme de Chirurgien , 
,tft la confidente & Ventremetteuft, Un rendez- 
vous eft donne d Varmint , en. Vabfence da 
Cordonnier ; mais celui-ci rtvient au moment 
. qulon V attend le moins , 6* voyant quelqu'un 
ruder dja porte ♦ il entre en foupgon y lie * 
aprls beaucoup d 'injur es +. fa femmt d jtn pi-. 



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o v Cont'bs, 28/ 

tier , y va ft eouchtr. La Chirurgienne , chf{ 
qui V amour tux s'eft rendu, vient la chercher. 
L* autre lui conte ce qui lui eft arrive' ; elle la 
fait confentir d ft laijfer Her pour quelques* 
morn.tns d fa place b fort, Lt mari pendant 
ct terns ft reveille (f appelle fa femme* La 
Chirurgienne n'ofant pas repondre , il fimpa* 
titntt , 6» avec un couteau vient lui couper It 
ne^: La Cordonniere , dt retour , reprend la 
place tie la Chirur gienue. Quelques moment 
Ofris , elle feint d'adreffer d Dieu une pr\ere , 
dans laquelle elle le prie de la gucrir de fa 
blcjfurc , fi elle eft inmcente. Elle appelle en- 
fiitt fon mari , qui la trouvant faine 6» entiert 
lui fait des excufes. La voijine Halt retournit 
che\ tilt , fort embarrajfee de fon accident* 
Mais le Chirurgien lui ayant demandi fes 
cutils pour fortir , dlle-d aprh avoir fait 
femblant de chercher Img'tems pour Vimpa- 
tltnter , apporte un rafbir , qut dt colere il 
tui jette d la tite. Elle s'e'erie alors au*il lui 
a coupe 1 It nei ; 6» dh ju'fl fait four, elle va % 
accompagnet de fes parens , demander juftict 
au Cadi. 

Se trouvt dans Its Novclle amorofe de 
gli incogniti , p. 168 , Nov. *3 , 6* dans 
Us Contcs Petfans uaduits de TAnglais 



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i%6 Fabliau x 

pag* 301 , d pcu-pris comme dans Bid-Pah 
% rn DansBocace \ une femme ft Aerobe la nuit 
Journ. d'auprte de fon mari , 6* e\lt eft avertie par 
Nov. m & 2 MZ ahoutit dans la rue b quelle J at- 
tache au pied, Le mari , w\e certaine nuie au'il 
ietait reveille, fent le fil en fe ret our nam 5 it 
ft V attache , puis quand il fe fent tirtr , il 
defcend avec des armes & pourjuit V amour eu» 
qpiil ne peut atteindrt* De colert il revitm 
hattre fa femme, a laquellt il coupe le* cht- 
veux ,• b fort pour alter fe plaindrt d fes 
beaux -freres. Mais e'et flit Id fervante qu'il avait 
maltraitie fans le favour , &* que Vepouft qui 
prevoyait tout ceci , avait fait entrer dans It 
lit d fa place , Ah qu'il en etait forti. Quand 
les freres arrivent , Us trouvent leur fceur tra- 
vaillant paijiblement. Elle demands pourquoi 
Us viennent , & afiefte la plus grandt colert, 
St trouve ainfi dansj la Fontaine. 
Dans les Cent Nouvelles nouvelles de U 
Cour de Bourgogne ( ct font des Contes qui 
furent faits pour Louis XI , lorfqxfitant encore 
Dauphin , il fe rttira dans ceite Cour ) , la 
femme fait coucher 9 la nuit , une defes voifinet 
d fa place , parce quayant eu querelle dans It 
jour avec Jon, mari , ellc craint d'en etre hah. 
we ; le refie commt dans It Fallim* 



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b tf Con ms, 287 

De mime dans Us Novelle di Malefpini # 
torn* i,p. 1 j 1 . y°. Nov. xl. 

(a t Court d V habit prendre unjeune vecat 
.ftfelle porte dans le cuvier ). Dans les Cent 
Nouvelles de la Cour dc Bourgogne ,p. 104* 
<Dans Us Cent Nouvelles contenant cent Hif- 
toires. Dflni le Recueil des Plaifintes Nou- 
vellcs , pag. 113. Dans les Fafcetieux devitz 
des Cent Nouvelles nouvelles, p. 141. ( Cea 
•quaere Recueils ne font que le memc , fous 
des litres different , & je .previens que do re"-, 
havant je ne citerai que. le premier .); un 
Chevalier vient toutes les nuics chei la femme 
d'un Marchand. Un coufin du man , qui s'en 
eft apper^u , l'en avertit : le mari precexte 
un voyage , le coufin refte aux aguets dans 
la maifon 5 & quand le Chevalier arrive 
l'autre , feignant d'etre un dbmeftique , le 
prie d'actendre un inftant & le fait entree 
dans un petit riduit obfeur ou auu*i-t6t il - 
renferme. Le Marchand alors court. *:hez les 
parens de fa femme , pour les convaincre de 
fan dSfordre. Elle avait entendu le bruit, 6c 
.. fctaic venue delivrer Ton amant , & la place 
duqucl cllc aya« mis un inc. Toute la« fr- 



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188 Fabliaux 

mille arrive 5 on s*appr$te & tugr lc coupdble? 
on ouvrc , & Ton voic fortir l'ane qui coal- 
men cc i braire. Le coufin feu! eft battu. 
Y- Se trouve ainjl dans les Novelle di Malef- 
l pini , c. > > p. 1x0, N<xp IX I, 
J Dans Us Convivales Sermones , r- 1 ,p. ?>, 
.\ Dani i« Novelle di Domtnichi , p. 7 1 • 
. # Et dans les Joco-Seria Mclandri , t. 1 , ji« 
V. 41 , mail j avec qutlques changemens* ■ 

Dans les Epift* Arifteneto » use femme eft 
jtnfermie avet fin amant t qwmd. tout-dcoup 
.arrive le mart. Elle lie les mains dm galant, 
b le livre en cet itat dfon <'poux comme m 
filou quelle vient de faifir (r d'arrker. Ui- 
poux veut le tuer ; elle s % y oppofe , &• confeillt 
plutSt de le garder jufqud ce qu'il fajfe jour 
(? qtfon piaffe le mettre entre Us mains de 
la Juftice; s*offrant eltemime de, veiller pen* 
dam ce terns, Dis que Vepoux eft endormi , in 
pre'tendu ifisur eckappe. 




DIS 



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O V C O N T £ S. 189 



DES DEUX ANGLAIS. 

Ce Contt , dont le finds , quoique plaifam } 
manque nianmrins d'interk , eft, commt 
beaucoup d'autres de ce Recueil, du nomhr* 
de ecu* qui demandcraient , pour lore lus 
arte quelque plaifir , des details de Poejia 
piquans 6» agriables. Peut-Stre fera-t-iljup* 
portable en n'en prifentant que VtMtrak* 



u. 



'ti Anglais nomine* George, venu a 
Paris ayec Alain fon camarade , y tombe 
jnalade. Dans cette circonftance il lui 
prend envie dc manger un morceau d*a* 
gneau , & il prie Alain , qui le garde , 
de lti en acherer. Mais dans fon man* 
yais ftancais , ayant de h peine a s'ex* 
primer (a) , il demande un morceau d'a* 
ncl. Alain , qui ne parle pas mieuz que 
lui , va de boutique en boutique deman- 
der de l'anel. On ne fait ce qu'il veuc 
dire , on lai rit au nez , on le prend pour 
un Auvergnat 9 ou pour un AllemaruL 

Tome IL R 



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190 Fabliaux 

Enfin quelqu'un croit lc coroprendre , « 
s'imaginant qu'il demande dc Pane , lui 
vend un petit anon de quinze jours qu'ii 
a chez lui. Alain emmene I'animal , & 
ch accommode une cuiffe a foil amu 
George , qui mourait de faim , la .de- 
Yore ; cependant l'os lui parauTak bien 
gros pour un os d'agneau. Ii foupconne 
Alain de l'avoir trompe* & demande quelle 
Torte dc bete U lui a fervi. Alain fou- 
tient que e'eft de Panel, & pour le prou- 
ver il va en chercher la peau. George 
xegarde cette peau , il la. P rcnd P* r ^ 
les bouts , jl la retourne , & en revienr 
'toujour* a dire quanel avait petit os > 
& celui-ci nitre pas fiis a Be. Eh out, 
"vous dire bien > reprend Alain, lui'n'Stre 
yas fiis a Berbis , etre fib a Hi-kan: 
& alors , pour imiter Tanimal dfcnt il 
voulait parler * il fc met a ricanner & 
a braire d'une telle force que le malade* 
pamant de rire , eur une crife qui le tira 
d'affaires 



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OU CONTES. . 29I 



NOTE. . 

( * 9 Dans fin man* ah frangah ayant de la 
peine d s'exprimer ). La langue Romane fran- 
^aife etak ccllc qu'oa parlaic alors en Angler 
terre* Des le commencement du XI* ficcle , 
Jes grands Seigneurs Anglais avaient coutume 
cPcnvoyer en France leurs enfans, pour l'ap- 
prendre , parce qu'ils la trouvaient plus douce 
& plus polie que la leur. Apud Ductm Neufiriaf 
educator , to quod ' apud nobitijfirnot AngUs 
ufus teneatfilios Jkos apud Gallos nutriri , ob 
ujum armorum , b lingua native barbaritm 
~tollendam\ £.Aouzrd h Con fcflcUT qui avaic cte *Q erv j* 
lleve en Norraandie , introduifit cetce langue Tilb.otia 
a* fa Cour & *lans fcs aftes puWtcs. Quelques ™peria- 
annSes apres, Guillaume le Conqueran*' 1^- It**™ 1 " 
tablic par la force* II voulut que touces les 
loix & touces les charres fuflent en Romane , 
que ce fut la feule que dans les ecoles on en- 
feignit aux enfant^ & la feule qu'on employee 
dans les Tribunaux de Jufticc. En un mot 
c'ttait tellement Ja langue du Gouvernement que 
quandles ennemisde l'Eveque Ulftan voulurent 
Eloigner du Confeil du Roi % \ une des prin- " M*rfc 
«ip«lcs laifons qu'ils appgr^rcnt,fut qu'il ne l0 ^ s * 



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i9i . Fabliaux 

Xavaic point le francais*& que par coniequent 

ii oe pourraic 7 aififter. A la Cour , compofce 

en grande partie des Seigneurs Normands qui 

.avaient fuiti Edouatd ou Guillaume en An- 

glererre , notre Romane put fe conferrer aflat 

-pure ; mais chez le peuple , qui derate rabhorrcr 

parce qu'elle etait une loi impofee pat le vain- 

queur, & qui d'ailleurs avait deja la fienne, 

die dut £tre fort corroropue. Qu*on en juge pat 

FAnglais de notre Fabliau , que pcrfonne ne 

peuc entendre , & que Ton prend pour Allc- 

mand ou pout Auttrgaati ( j'ai deji dit que 

let Provinces de France au midi de la Lois 

- parJaient, la Romane Provencale ). 

La Romane franc.aife continua d'etre la feule 
admke dans les Tribunauxd'Angleterre jufqu'en 
* 1 367 quTEdougxd III permit de plaider en An* 
glals. 



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OU CONTIS, 29$ 

======= — 1 

L'ARRACHEUR DE DENTS. 



J 'ax conntt en Normandie un certain 
Marshal qui etait renomme' pour ion fa- 
voir. Dc toutcs parts on accouraic le con- 
fulter , & fa maifon ne deTemplin r ait pas ; 
mais en quoi il exccllait lur-tout , e'euis 
a arracher les dents des Villains. Void 
comment il s'y prcnait. 

Apres avoir vi/ite* la bouche du foufTrant* 

cette dent-la ne vaut ricn, difait le Forgeron ; 

il faut la d&oger. Alors il prenait un fil de 

fer , & Jiait avec un des bouts , la dent 

malade ; puis faifant mettre a fon hommc 

un genou en terre & tourner le dos a la 

forge , il lui approchait la tete centre fbn 

cnclume a laquelle il attachait fautre bout 

du 61. Pendant ce terns il faifeit rougir 

un fer dans fa forge. Quand tout 6tadt 

pret ; tiens bien , difait-il au Villain ; & 

bft il lui paflait fous le nez le fer e^in- 

cclant. L'autre , de furprife & d'effroi % 

fc jettait en arriere , & avec une telle 



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294 Fabliaux 
force qu*ordinairement il tombait a la 
rehverfe ; mais de l'effort audi la dent 
partait & elk reftait au £L 



. Se trowe dans la Gibeciere de Moxne ,p. 397* 
Vans Je Courier Face*cieutf,p. 158. 
Vans Us Novelle di Fr. Sachcrti , r. i , p. ft. 
Vans les S6rees de Bouchet,p.4s8,toeSCT¥*. 
Vans It Trefor cjes Recreations , jr. 14*. 
Itou /« Nouvcaux Coxites i rite »p. 179* 




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QU COMtlSi 295, 



*L'IOTKGESTION DU VILLAIN («). p 4r R tt j 

,tcbcuf« 



1 Ji Paradis n'eft point fait pour les 
Villains $ l'£criture nous Tannoncc. Ni 
pour argent ni pour bonnes ocuvres , ils 
tie peuvent jamais Tobtenir 5, & en veriti 
cela eft bien jufte. Quoi 1 vous voudriez 
<ju'un gredin logcat avec le Roi du Ciel !, 
L'Enfer done leur e*tak deftine* > long-, 
tems il a &e* leur partage; & s*il n'y 
vont plus a preTent , e'eft par une avenr 
ture finguliere que je vais vous raconter. 



EXTRAIT DE CI QUI SUIT. 

Un Villain , malade d'une indigeftion % 
eft a toute extr£niite\ Satan, felon & 
coutume , envoie faifir Tame ; mais par 
dedain pour un objet fi peu important * 
il n'emploie a cette vile fbn&on que le 
*ius b£te <Je fes (atellites. Celui-ci qui 
M 



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lo6 f ABtlAUX 

if imagine pas que Tame d*un Villain doivel 
fortir par le meme pafTage que celle des 
autres , attache on fyc a. la porte oppo- 
se. Tout-a-coup une crife heureufe fou* 
lage le malade, Le fot 6&pm6 , voyant le 
fac fc rcmplir , le lie promptement par 
en haut & va le porter a fbn Souverain; 
mais Satan maudiflant cette amc infe&e , 
jure de n'en jamais recevoir qui ait ha** 
bite* corps de Villain, 

Or maintenant , ajoute Rutebeuf , 
malheureux fur la terre , chants du 
Ciel, rebut& des Enfers , je vous de-* 
mande , MefTieurs } ou iron? ces. inibr* 
tune's? 



NOTE. 

C a , Uindigctlion du Villain ). Tsti change 
le litre de ce Fabliau qui dans Toiigrnal eft 
intitule le Ptt du Villain, J'cufle memc fupprimo 
le Conce fan* hlfiter , *'il n'eut contenu quo 
la poliflbnncrio groifiere qu'annoncc Ton ri- 
ce 3 mais en radmettanc > j'ai moins confix 
i6rc le genre de plaiftnterie qu'il pffi;c , <ju» 



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OU C O N T £ s. %<y? 
Pobjet memc fur lequel roule cette plaifan- 
teric. On a deja* vu plufieurs exemples dc la 
licence avec laquclle les Fabliers fe pcrmct- 
taient de badiner fur le Paradis & i'Enfer. 
Aux reflexions quo mes Le&eurs n'auronc 
pas manque de faire a* ce fujet, j'ajouteral 
feulemenc quelques faits qui suremene en oc- 
cafionneront de nouvelles; e'eft que ces fa* 
ceues fcandaleufes fur les deux points im- 
porcans de toute Religion etaient cependant 
la recreation des grands Seigneurs aux fetes 
de I'annee les plus folemnelles : e'eft ' que , 
tandis qu'on exterminair paf le feu , par 
des Croifades parriculieres , &c. certains he- 
rcrique* qui ne difteraient qu'en quelques 
points de la croyance general e , les Poe'tes 
qui corapofaient ces impietes , les Muficiens 
qui les chantaient , one veeu tranquille- 
suent & font morts dans leur lit $ e'eft que 
ces pieces enfin , dont aujourd'hui les Au- 
geurs feraient pourfuivis » ont paru prefque 
tonces fous le regne du plus religieux de 
110s Monarques , fous un Prince dont la 
maxime euit qu'il ne faut repondre que 
par un coup d'epee a celui qui ofe midire 
de la loi chrintnnt 5 fous un Prince .qui fie 
pcrcet d'un fer rouge la langue d'un Bour- 



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xc/i Fabliau* 

geois de Paris convaincu de blafphemej 
qui» lorfijue les Languedociens , revokes coauc 
recablilferaenc de l'lnquifition , prircne les at- 
met j employa Ton autoritc , &c. See &c* 




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O U C O N T E $. %$$ 

*DES CHEVALIERS, 
DESCLERCS ETDES VILLAINS. 



M, 



. e s $ i e u r s , voulcx-vous connaitre 
^utls font les gouts U les* moeurs de ceo 
trois conditions dif&rentes \ mon Fabliau 
ya vous l'apprendrc. 

Deux Chevaliers, voyageant enfemble , 
trouverent dans leur route une peloufc 
chaknante, ^maillee >de, fours, ombra- 
gee par des arbres touffus y £c qui offrait 
la vue la plus agreable. Ravis de la beaute* 
du lieu , lis s'e'crierent , ah 1 .qpel plaiiir, 
fi nous avions ici ton pate* , bonne chere > 
avec d*excellent vinj* 

Quelque terns aprespaflent deux Clercs*; * Ecclc-^ 
&c Tun dit a Ton Compagnon ; ami , qui fiaftique* 
aurait en ce lieu , pour rire & folatrer , 
fcmme jolie qu'il aimcrait ! 

Eux partis , arrivent deux Pay&ns qui 
revcnaient du marche\ Ceux-ci admirent , 
comme les autres > ce lieu delicieux. lit 



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joo Fabliaux 

»'y arretcnt commc cox > mai& devinc* 

I'ufage que les Villains en firent. 

Malgre* ce que jc vicns de vous dire 
contrc les Villains , fachez neanmoins % 
Meffieurs , que ce n'cft que par le cceur 
qu'on l*eft riellement j fachez qu'on nc 
devrait etre regarde* comme tel , que quand 
on a fait a&on vxaiment villaine* Sc 
qu'on peut fc dcvenir, fut-on n£ an 
premier rang. 




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O V C O N T £ $. }0I 

I" 1 . } 

DES CATINS 

E T DES MfcNSTRIERS. 

Ce. Contc manque dans les rtcutils de Af. de 
SainttrPalaye , quoiqu y il folt du manufcrit de 
Berne dont U a me copie; on Py a fins dovteou-* 
W£. Ten ai trouvi dans le catalogue des 
wnanufcrits de cette Bibliotheque , donni par 
Mi. Skinner , un extrait en latin & fans 
litre* Le poici tradjiit* 



D, 



'ietj, quand il cut ci&6 le mondc % 
y placa trois efpcces cThommes , les Nobles , 
les EcclAfiaftiques & les Villains. II donna 
les terres auz premiers , les d&imes & 
les aumones aux feconds, & condamna 
les derniers a travailler toute leur vie 
pour les uns & les autres. Les lots ainfi 
faits , il fe trouva neanmoins encore deux 
fortes de gens qui n'ltaient pas pouryus ; 
c'ltaient les Men^triers & les Catins. Ccux* 
ci vinrent preTenter leur requete i Dieu , 
& le prierent de leur affigner de quot 



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^02 Fabliaux 

vivre. Dicu alors donna les Menltriers & 
nourrir aux Nobles , & les Catins aux 
Prctres. Ceux-ci ont obdi a Dieu & rempli 
avec zcle la loi qu'il leur a impose; 
audi feront-ils fauv& inconteftablement. 
Mais quant aux Nobles qui n'ont eu nul 
foin de ceux qu'on leur avait confiet , Us 
DC doivenc accendre aucun falut. 




id byGO 



OH COHIEJ, 



*°$ 



* LE SIEGE PRET6 ET RENDU. 



U» 



N Cbnteur qui a quclque talent , & 
qui , connaiflant le but qu'on doit fe 
propofer dans Ton art , fe pique de le 
rernplir , devrait toujours etre 6cout& avec 
attention. Pourquoi cela* Ceft qu'il en- 
feigne a bien faire , & que les bons exenv- 
pies qu'il vous reate peuvent vous inftruire 
■(a). Mais qu*arrive-t-il trop fbuvent ? A 
peine ouvre-t : il la bouche que certaines 
gens vous difcnt, ilva mentir. Meflieurs , 
fachez qu'il n'y a que Thomme couitois Sc 
gentil qui cherche a devenir meilleur ; 
au Villain & a l'Envieux rien ne profite. 
Certain Comte , nomme' Henri , avait 
pour Sendchal/^ un homme dur , avare 
6c brutal. II fut creve* dc depit , je crois , 
s'il eut vu fon Seigneur faire du bien a 
quelqu'un. Ce n'ecut pas au refte qu'il 
fat extremement attache* a la perfonne d* 
Comte ou z&e* pour fes int£r£ts 5 le fripojn N 



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J04 Fabliaux 
au contraire le volait tant que durait la 
jounn& , & il n'£tait oecupc* qu*a efcamo- 
tcr vin , poulets & chapons , pour aller 
tout feul dans la depenfe s*cmpifFrer comme 
un pourceau. Mais tel &ait fon cara&ere ; 
il nc voulait que pour lui feul. Cctte hu- 
meur rcyeche occafionnait quelqueibis, 
fur-tout quand il arrivait des Grangers au 
chateau , des fecnes divcrdflantes dont 
s'amufait le Comte. Ceux qtfelles regar- 
daient n*en riaient pas d'aulE bon coeur ; 
il n*y avait aucun d'eux qui n'efit donal 
volontiers bien des chofes pour voir le 
bourru corrige* comme il le meritait. 

Un jour Henri , qui imt noble & gd- 
ne'reux , annonca qu'il tiendrait Cour- 
Pleniere 5 & il la fit publier dans tout foa 
voifinage. Chevaliers, Dames, Ecuycrs, 
il y vint un monde prodigieur. La fete 
£iit fomptueufe ; par-tout les portes ou- 
vertcs, par-tout des tables dreffees & la 
plus grande profufion. Il ne faut pas de- 
manded quelle fut dans ce jour 1'humeur 
flu Sen&hal. " Ces gueules afram£es , 
i, difait-il en grondant , n*ont peut - &rc 
^ pas une Jfois dans i'annee mange* tout 



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OtJ CONTES. JOJ 

& f cur appe*it$ cllcs viennent ici fe fou~ 
is ler a nos depens. Courage , Meffieurs j 
iy prenez, demandez , x n'ayez pas hontc s 
„ on voit bien que vous n'etcs pas chex 

i3 0OUS „. 

Dans ce moment entra un Bouvier 
crafTeux & mal peign^ , nomine* Raoul , 
^ui revenait de la charrue. " Que vient 
99 faire ici ce gredin , demanda Tordonna- 
„ teur en colere * — Eh 1 parbieu , re^ 
„ pondit le Villain , j'y viens manger , 
5 , puifqu'on y regale „. Et en m£me-tems 
il pria le Sen&hal de lui faire donner unc 
place , car il n'y en avait pas une feulc 
de vide ; tout euit pris. L'autre , furieux, 
lui allonge de toute fa force un coup de 
pied dans le derriere : tiens, lui dit-il, 
affcois-toi la » defTus , je tc pr&e ce fiege- 

1* (c). 

Cependant quand il euc r&echi que fi 
le Comte venait a etrc inftruit de cette 
violence, il pourrait en recevoir des re- 
proches , il voulut appaifcr un peu le 
Bouvier & fit figne qu'on lui donnat a 
manger. Raoul affec"tant de rire , mais 
dans fon ame tres - reToiu de fe vengex 



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|o6 Fabliaux 

s'il le pouvait , fe retira dans un coin , 
oii il s'arrangea comme il put ; & apres 
Avoir bien bu , blctx mange* , il palla dans 
h Me. 

Le Comte venait d'y faire entrer Jcs 
Menemers & les Jongleurs pour amulet 
l'aflemblde ; & afin de les exciter a bica 
faire , il avait promis fa belle robe neuve. 
d'^carlate a cclui d'entr'cux qui ferait iq 
plus rire. Tous aufli-tot fe piquant a, renvi 
de fe furpafler, on vit les uns comer 
des Fabliaux ou chanter , les autres faire 
des tours de pafTe-pafle 5 celui-ci contra 
faire. Hvrogne , celui-la le niais ; d'aotres 
=repreTenter des querelles de femmes ; cha- 
cun enfin s'ingemer a qui imaginerait quei- 
que cnofe de plus plaifant (d). Raoul, 
dehout au milieu de. la falle , fa ferviette 
.. en main , s'amufait a les regarder & riait 
de tout fon coeur. Mais quand tout fut 
fini , il s'approcha du Se&echal qui ixztc 
aupres du Comte 5 & lui lan^ant dans les 
feffes a fon tour un tel coup de pied qu'ii 
lui fit donner du ncz en terre , il ajouta ; 
« Sire, voila votre ferviette & puis votrc 
m fiege que je vous reads : rien n'eft wl 



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OU CONTES. 3O7 

„ que les honn&es gens , voyez - vous ; 
„ ayec eux ricn n'eft perdu „. 

Cependant la chute du Sene*chal avait 
lait Jerter un cri a raiTembiee. Les do- 
mefKques etaient accourus , & d£ja ik 
s'appretaient a emmener le Villain pour 
charier fbn manque de refpecT j quand Ic 
Comte le faifant approcher , lui demanda 
pourquoi il avait frappe* fon OiEcicr. 
** Monfeigneur , repondit Raoul , on m'a 
i, <Kt que je pouvais fairc aujourd'hui 
„ bonne chere au chateau ; & j'y fuis 
„ venu , puffque e'eft un effet de votre 
„ bonti ( c). Mais ks autres avaient e'te 
„plus alertes que moL J*ai done ' prii 
M monfieur votre Senechal qu'il me pro- 
„ curat one petite place ; & lui , qui eft 
l % fort poli , rH'a fait tout de fuite preTent 
, 9 <r\in coup de pied , en difant qu'il me 
>. pretait ce fiege-la. A preTent que j'ai 
„ mange" & que je n'ai plus befcin de fort 
»fiege , je fuis venu le lui rendre : & 
„ je vous prends a dmom , Monfeigneur, 
» que je n'ai plus rien a lui ; car > quoi- 
w qu'un pauvre homme , fai de la conf- 
wQcnccSi pourtant il en voulait encore 



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308 Fabliaux 

„ un poor le louage du fien, il n'a qu'a 

„ dire , me voila tout pret „ } 

A ces mots , le Comte & tous les fpec- 
tateurs dclaterent de rire. Le Senechal 
pendant ce terns fe gratait le dcrrierc 5 & 
fon air d&ontenance' ajoutait encore an 
comique de la fcene. Enfin , on rit & 
fon & fi long-tems que le Comte adjn- 
gea fa robbe a Raoul , & que les Jongleurs 
cux-memes convinrent qu'il l'avait merited 

En s'en allant , le Villain faifait cettc 
reflexion. „ On dit comraune'ment que 
„ pour fairc quelque chofe dans ce bas 
„ monde , il faut fortir de chez £bi. Lc 
„ proverbe a parbleu raifon : car fi je 
,, n'£tais pas venu ici , je n'aurais pas 
„ cettc bonne robbe qui me vaudra bien 
„ de Pargent „. 



NOTES. 

(a , Un Conteur qui a quelque talent* • . . ) 
On a dejA vu aflez de ces debuts triviaux 5c 
impofans , pour n'etre point dupe de celui-ci , 
qui allurement ne pouvak plus mal rcmplircc 
gu'il annonce* 



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O.U. C O K T E 5 3^9 

( b , Certain Comle ay ait un Se A n£caaL„% ) 
Lc Senechal etak ce que dans certains en- 
viroits on appellaic Bailli ( 11 en Cera pa tie" 
plus bas. ) Celui-ci eft en mime terns Maitre- 
d'Hotel , & il a les cles de la depenfe , parce 
que les Seigneurs qui n'etaienc pas afiez riches 
pour avoir tous les Officiers que comportait 
un grand Itat , & qui par vanice voulaient ea 
avoir au moins les litres , donnaient a la meme 
perfonne plufieurs emplois. 

( c , Affeou - tot la- deffus , je te prite ce 
Jlege. ) Dans 1'original il s'agit d'un fbufflet , 
& non d'un coup de pied. Le Senechal die £ 
Raoul qu'il va lui donner un buffet pour s'af- 
feoir 5 6c en mime terns il lui donne un bufit^ 
e'eft-ii-dire, en vieux langage, unfoufflet fue 
la joue. Cell fur cette equivoque de mots 
que roule la plaifiuuerie du Conte. On fent 
bien que a'ayant pu la faire fztkt dans notre 
langue , il m'a rallu y fuppleer par quelque 
chofe d'cquivalent. En consequence j'ai change 
le titre , qui dans le manufrk eft incicule , 1a 
Dit [plauanterie] du Buffet. 

( d , On vit chacun s'ingtnier a qui imagi* 
$erait queiqut chofe de flu* plaifant. ] La 
Chronique d'Alberic , parlant du mariage de 
Robert , frere de Saint Louis » en 1237 • 
tvee Mathilde , fiUc du Due de Brabant , dit 



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4 10 Fabliaux 

qu'aux quaere coins de la fallc £taient de* 
Menetriers qui monuienc des occurs habiiiif 
d'ccarlarc > & qui cornaienc 4 cbaque fa- 
vice. C'etaic - la joindre £ la fois la ma- 
gnificence a la plaifantcric. Lc manufcric da 
Roi , n° 75S8 , nous reprefente , dans one 
occafion a peu-pres pareille, des chiens dao- 
- fant , des fin ges allanc 4 cheval , un oon 
faifenr lc more , une chevre jouant de la 
harpe. Un autre parle de Jongleurs qui con- 
trefaifaient le chien ou le chat/ Quelqaefeii 
ces bouffons imaginaicnt une querelle; & 
apres s'fitre die bien des injures , lis finiflaknt 
par fe battre. Le Dit des Hcrauts , par Baa* 
douin de Conde , ( les Menccriers etaienr ap- 
pelles Herauts , parce qu*i caUfe de leur rout 
forte , on les employait i faire les proclama- 
tions dans les Tournois & les ceremonies); 
n'eft que Thiftoire fore detail lee d'unc de ccs 
fcenes. Le Poete s'y glorifie d'avoir 6tc le 
battant , & devoir recu du Seigneur , qu'il 
avait amuie, vingt fous en argent avee un 
^ar de- corps ( forte de robbe avec des manches) 
& un chaperon de camelin (camelot); tandis 
que le batm n'avait eu que des draps de Un 
'( du linge , dts chemifes ). On pourra juger, 
par ce peu d'exemples ,' de la maniere done ' 
Vamufcicm nos peres quand il* roulazent bien 



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O CONTES. JIT 

tire. Xaurais peur qu'on ne fe moquat d'eux 
bictt davantage encore , fi je rappellais ici no* 
gtet moderncs , nos bals par6* , nos ban- 
quets Royaux , &c j mai* au moins dans 
toures les defcripcions que j'ai vues de leurs. 
diverofTemens gtofliers , j'ai reraarque une 
chofc qui confole pour eux $ on y trouvc 
toujour*, & Us r iaient, 

(e) Les gens du peuple qui dans sous les 
fiecles ont da neceffairerrient avoir , par lc 
defaut de leur tducation , un langage corronw 
pu 8r un patois- a eux r chez les Fafeliers n'onc 
rten de tout cela. Le Bouvier & le Roi y parlenc 
abfolument la meme langue. Jenefais i quoi 
attribuer ee de&ut de cofttime , fi ce n'eft sfc 
Tignorance de ces I^oetes , qui ne connaiflanc 
point les bienfeances de fttlc , ont fait parlet 
coutle monde comme eux. 

On remarquera auffi que dans les Fabliaux 
on ne donne jamais £ perfonne des titres ho- 
norifiques en lui parlant. Les Rois, les Grands, 
les Chevaliers , font apppelles fire ou mcflire , 
& yoili tout ; du rede point d'Alteffc , de 
Majefte , &c. Ces rafinemens de flattens 
ttaient encore inconnus alors clans la bouche 
des Sujets 5 quoique depuis long-tems les Pa- 
pes , les SySqucs , les Grajuls, les cmployaiTea* 



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312 Fabliaux 

par politefle en Scrivant aux Rois , & ^j« 
• ceux-ci eux-mfimcs s'en ferviffent dans leurs 
lettres & diplomes n patlaut de lcur pcrfoa- 




UES 



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CU CONTES. 



?*f 



LES DEUX MfeNfcTRIERS. 

'A ce que vient fapprendre fur les Mtnitricrs 
U Conte prtctdent, je demande la permif- 
Jion d'ajouter ici cette piece curieufe , qui, 
h, proprement parler , rCefi point un Fabliau 9 
mats qui, en achevant dt faire connattre dew 
gens dontil eft fi fouvent fait mention dans 
€et ouvrage,furprendra, j'enfuis stir, pat 
I* quantity prefque incroyabh de talent 
qu'onverra qu'exigeait une profejjion dicriiu 
Cependant eonune cei article ne peut gucreb 
ttre qu'inftruaif^ & qu'il confiftera prefque 
tout entier en dijbujpons , je confeille A 
eevx qu'intireffe faiblement Vhiftoire denotrt 
ancUnne Poefie, de Vomettre en entier, on 

- tout an plus de s'arrtter a la Paftourcli* 
qui fe trpuvera parmi les notes. 



E X T R A I T. 



JL/Eff x troupes de M£n&riers fe rencon* 
treat dans un chateau , & veulent , comrofc 
on a yu plus haut que c'&ait la Coutume* 
amufer le Seigneur par une querelle. L'um 
Tome II. S 



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ji4 Fabliaux 
<feux fe demche de fa troupe ,il va 1ft- 
fulter un Menemer dc 1'autre band* 5 &t 
apr& lui avoir reproche* devoir tout fac* 
coutrement d'ungueux , d'etre un ignorant 
qui jamais ne mentera le don d'une robbe 
neuve, 6c autres gentilleffes pareilles ^ que 
j'omets parce qu ; elles n'apprennent rien , 
il fe yante dc valoir mieux que lui ; & 
il cntre , pour le prouver , dans le detail 
4e tous fes talens. Il peut, dit-il, confer 
*n Roman & en Latin ; il Gut plus.de 
4oLais, & des. Ckanfonsde gefies, & toures 
ley Chanfons poflibles qu'on imaginera 
dc lui demander. H connait aufG Jes 
Romans d'aventure , & en particulier 
cent de la Table Ronde. 11 fait enfin 
Vkanter bcaucoup de Romans , tels que 
Vivien, Renaud le Danois , &c. & confer 
Flore & Blanchefleur. 

Je m'arx&e un inftant pour dormer fur 
tout ceci quelques e^^ciffemens , ou 
propofer mes conje&ures. 
- Quoiqu'aprfc; tout il put tres-bien fc 
:feire qu'un Menemer sut le Latin , & fik 
par confequent en eatt de compofer des 
pontes dans cctte languc, je fuis convaincu 



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eu Coktbs. JI/. 
ppurtant qu'on s'en gardait bien. Pen ai 
vu tres - peu au moins dans toutcs les re., 
cherches que f ai faites > & Ton conviendra 
fans peine qu'il n'y avait pas affez de gens 
capables de les entendre pour qu'ils fuffent 
bien communs. Ainfi ce dont fe vante lc 
querelleur ne ferait ici qu'une forfanterio 
pare, o_u qu'une efpece de cartel qu'il 
propofe & fe fait fort de foutenir quand 
on voudra. 

II a &e parle* des lais a Toccafion dc 
celui de LanvaL 

Ces Chanfons de gefies , fliftingue'es ici 
des autres Chanfons ordinaires , font pro* 
bablernent ce qu'Albenc appelle jQeroic* 
cantilenA, c'eft-a-dire , celles qui cele^ 
feraient ks gefies 8c a&ions des preux 
Chevaliers , foit fabuleux , foit ventables. 
Dc ce nombre e*tait la chanfon de Rolland 
dont il a ix£ parle* ailleurs, Elle n'eft point 
parvenue jufqu'a nous. Mabillon en a pu- 
blje une en ancien langage Teuton , qui 
fiit faite fur Louis III , a Toccaiion d'une 
Ti&oire que ce Prince remporta en 881 , 
fur les Normands , & qui a de grandcs 
beaute's. J*cn ai trouve' plufieurs autres di| 
• Si 



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316 Fabliaux 

mSme genre chez nos Po&cs , 8c en par- 
ticolier une fur la vi&oire de S. Louis a 
Taillebourg. Je me ferais fait un plaifir d*ea 
titer ici quelques-unes comme modelcs ; 
mais dies font toutes fi niaifes & (i plates 
qu'il a fallu y rcnoncer : & celle de 
Louis III m'eft interdicc , etant en languc 
ctrangere. 

Lcs Romans (Taventures font fans doute 
les Romans de Chevalerie , & fur - tout 
ceux dont les h£ros e'taient Chevaliers 
errans ; comme les pr&endus' Paladins 
d'Artus. 

On voit par ce qu'a dit le M£n£trier , 
qu'il y 'avait des Romans qui n'etaienr que 
comes ( car Flore & Blanckefieur eft un 
Roman > ) mais on voit aum* , & je pour- 
rais en dormer d'autres preuves , qu'll y 
en avait qu'on chant ait. Or mainteciant 
qu'ltait ce chant dont on ne trouve aucun 
monument dans les manufcrits \ Eft - il 
vraifemblablc qu'on ait jamais pu fe re^ 
foudre a mettre en mufique & entrepren- 
eur de chanter des Ouvrages dont les 
plus courts ont deuz ou trois rnillicrs do 



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OtJ COKT!S» JI7 

ws * Siit ccs (fifficukeY , void ma con? 
je&ure. 

L'auteur de Gerard de Rouffillon dk 
au commencement de Ton Roman qu'il Pa 
fait fur le modele de la Chanfon d'An- 
tioche > & que fes vers ont la meme me- 
fure. Cela veut dire , felon moi , que 
fon Poeme peiir (e divifer par couplets , 
ainfi que eette Chanfon > & ces couplets 
fc chanter de meme. Ainfi quand on de- 
mandait a un Menemer Gerard de Rouf- 
fillon , il choifiiTait ( comme autrefois les 
Rapfbdes Grecs , ) un morceau particulier % 
une avcnture , un combar $ & le chantait 
fur Tair de la prife d'Antioche. C'&aic 
probablement la meme chofe pour les 
autres Romans chance's ; & fans doute 
chacun avait, par fa coupe particuliere, un 
air qui lui pouvait convenir. Je fens qu'on 
peut me fake encore fur tout ceci plus 
d'une difficulte* 5 mais le fujet n'eft pas 
affez important pour que je m*y arretc 
davantage 5 & encore une fois ;e ne 
donne mon explication que comme une 
conjecture qui nc manque pas de vrai«* 
fembUnce. Retouxnons au Meaetrier. 



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318 Fabliaux 

II finit l^numeration de fcs talens pa* 
quelques plaifanteries 5 & pretend que s'il 
a pris le metier qu'il fait , cc n'eft pas 
qu'il n'en ait beaucoup d'autres capables 
de lid procurer unc fortune confid&able : 
car il fait tres-bien cercler un <*uf , (ai- 
gner les chats , ventoufer un boeuf , & 
couvrir les maifons en omelettes. II fait 
faire aufli des coeffes pour chevrcs , des 
brides pour vaches , des gants pour chiens, 
des haubcrts pour lievres, des fourreaux 
pour trepieds, des gaines pour ferpes 5 & 
£ on lui donnait deux harpes , il fe fent 
capable de faire une mufique telle qu'on 
ti'en aurait jamais entendu de pareille. En- 
fin apres quelques nouvelles injures , il 
confeille au Menetrier qu'il a attaque' , dc 
fortir du chateau fans fe faire prier ; le 
meprifant crop , dit-il , pour fe disho- 
norer lui & fes camarades a frapper ua 
faomme fi meprifable. 

Celui-ci le ravalc a fon tour , & lui 
demande comment il ofe fe dire boa 
M^n^trier , lui qui ne (ait ni Comes ni 
Dits agreables. ( Les Dits font tantot des 
raqralit&ou des raorceaux d'inftru&ion » 



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OU CONTBS. 31^ 

tantot un Fabliau qui contienc un boa 
mot ou une plaifanterie , tcl que celui 
qu'on vient de lire pre'cedcmment , & qui 
en porte le ticre. ) Pour moi , dit-il , jc 
ne fuis pas de ces ignorans dont tout le 
talent eft defaire le chat, leniais, rhomme 
ivre, ou de dire des fottifes a leurs ca- 
marades ; je fuis du nombre de ces bona 
Trouveurs qui inventent tout cc qu*ils 
difent. 

Je joueur 

Ge fuis Juglere de vide f 
Si fai de mufe 5c de freftele 
Et de harpe Sc de chiphonie , 
De la gigue , de rarmonie # 

du 
Et el falteire, & en la rose* 

II a deja e*te* remarque* que la Vieltt 
des Fabliers eft notre Vlolon (faujour- 
d'hui , & que leur Rote eft unc forte dc 
Guitarre. 

Je trouve ailleurs dans une Chanfon B 
ou il s*agit d'un berger ,. qu*/7 chalemelc 
de la Mufe au gros bourdon. La Mufe 
eft done probablement la Cornemufe dc 
bos pay fans , ou bkn notrc Mufette $ 



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J2& Fabixaux 

car routes deux ont un bourdon 8c un 
chalumeau* 

Le Fret el ou Fretiau eft cctte flute com- 
po£ec de (ept tuyaiix inegaux , que les 
Ancicns mettaient cntre les mains du diea 
Pan , & qu'on connait fous le nom de 
flute de* Chauderontuers, 11 en eft (buvcnt 
fait mention dans les Chanfons de bergersj 
& c*eft , avec le Pipeau , la Mufe & le 
Chalumeau , L'raftrument que leur pretcnt 
nos Poetcs. 

Je n*ai pu trouverd'eldairdffemcnt fur 
la Chiphonie , qui ailleurs , chez nos 
vieux Auteurs , eft nominee Cyfoint % 
Sifointy Sympkonie. Du Gange rapporte 
certaines citations qui prouvent que c'eft 
un inftrument a vent ; & d*autres par lei* 
jquelles on voit que c'^tait une efpece-de 
Tambour , perc£ dans le milieu commc 
un crible , & qu'on frappait des deux 
cot& avec des baguettes. Un autre fieri- 
vain pretend > fans autre preuve. , que 
.e'eft la Viellc. II pararr par une anecdote 
,dc la vie de du Guefclinque cet inftrument 
n'avait pas une grande confidexation ; ou 
<dumoins qu'au XIY« fiecle il&au tomW 



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o v Contis. 311 

dans Ie mepris. Le Roi dc Portugal, dit 
THiftoricn , avait deux Men&riers qu'il 
cfHmait & vantait beaucoup. 11 lcs fie 
venir, & ils jouer^nt de la Cyfoine\ 
mais le chevalier Mathicu de Gournai 
qui &ait la , fe moqua d*eux, en difant 
que ces inftrumens en Frdnce & en Nor* 
mandie rietaient qua tufage des men* 
dians & des aveugles , & quon les y ap- 
pellant inftrumens truands. 

Tignore ce que e'eft que VArmonie St 
U Gigue. Je trouve dans quelques Auteuxs 
que cctte derniere eft une efpece de 
flute. Le Di&ionnaire de la Crufca , qui 
en parle d'apres le Dance , la donne comme 
un inftrumerit a cordes. 

Le Salteire eft notre Pfidtenon ou Tim- 
panon. 11 eft appelle' Saltirion dans le 
Roman du firuc L'Auteur de ce Roman 
parlanc d*un Mu/icien fameux , & non> 
mant tous les inftrumens done il favait 
jouer , met dans le nombre eclui-ci , 8c 
il en ajoute deux autre* qui ne font pas 
dans la lifte qu'on vient de voir 5 la 
Lyre & le Choron. Cettc lyre eoiit-eile 
unc de celles des Ancicns* Je Tignore. 



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jii Fabliaux 
Tout cc que je puis dire fur 1c Ckdron ± 
e'eft que c'^tait un iriftrument a cordes. 
L'Auteur de la vie de Louis III. Ducdc 
Bourbon ( mort en 1419. ) dit qu'on W 
trouva le corps ceint , par penitence , 
d'une corde a fouet & d'une corde de 
Choron. 
Notre Men&rier ajoute : 

Je fais chanfoa 

Sai ge bien chanter une note ; 
, Fabliaux 
Ge fai Contes, Je fai Fatileax, 

beaux Dits nouveaux 
Ge fai comer beax Diz noveax, 

vieilles nouvelles 
Rotruenges viez 3c noveles , 
Et Servawois, & Paftoreles.- 
d'amour 
Si fai porter confeil d'amors^ 

chapel ft tur * 
Et fairc chapelez de flois t 

d'amoureux 
Et $ainture de druerie , 

courtoifie. 
Et beau patler de cortoifie. 

Les derniers vers n'ont pas befoin 
d'explication. Mais je crois qu'il y aurait 
aujourd'hui peu de Muficiens qui puflenc 



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\ 



o0* Courts*. 31$ 

tm^qui' oCuTent fe vanter dc pouvoir en 
certains cas confeiller un amoureux, ou 
lu'i enfeigner la fine fleur des compliraeos » 
ou lai faire une couronnc galante dc fleurs % 
ou nouer fa ceinture avcc grace. 

Le Menemer cite plus bas les Fabliaux 
qulL fait 5 je les ai retrouv^s , except^ 
jdeux , Richard & M 9 Emu : cequi 
prouve que tous ne nous font point 
parvenus. 

Les Rotruenges £taient des Chanfons k 
ritournelle , qu'on chantait en s'accompa- 
gnant de la Rpte y les $ervantpifi ou S/r- 
ventesy des pieces ordinairenient fatiriquesj 
jtelesPaftQurel/es, celles ou il etaitqueftion 
jfaventures de bergers ou de bergcres. 

Ces dernicres font de toutes les plu3 
agreablcs. Elles ofFrent de Paction , beau* 
coup de naturel , un dialogue plein dc 
naivete' 5 & fi elles ^taient plus varices 8c 
moins libres , feufTe entrepris d'en donner 
un recueil. Mais qui en lit une en a lut 
mille. Lc Poet£ fort pour aller fc prome- 
ner 5 & e'eft tou jours au printertls : il 
trouve une jolie bergere a laquelle il fait 
4cs proportions. Quelquefois clle appettr 



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524 Fabliaux 

k fon fccours les bcrgcrs qui Ie feat 
fair promptcment. Ordinairement tile | 
accepte le march£, doat la conclufico 
eft decrite avee toutes fes circonftanccs ; 
Be voila le cannevas de toutes les Pafiou* 
relies. Cependant pour faire connaiere a 
tries Le&eurs ce genre de Po&ie , je 
vais en donncr une done le denouement 
eft aflcz plaifknt , & ou l'on reconnaitra 
d'aflleurs cette Chanfon & Annette & L* 
bin , devenue populaire : II itait une 
fUlc 

Pastoukelle. 

. « Je me promenaisla cheyairautre Jour, 
» & je fuivais le grand chemin , quand a 
** l'ombre d'un bofquet j'appercus jolie 
« bcrgere. Joyeux de la rencontre , j'allai 
•> aufli-tot m'afleoir aupres d'elle. Dies 
n vous gard, la belle enfant : depuis le 
» jour que je vous ai vue ici , je fonge 
m a vous , & je vous aime plus que ma 

* propre mere ». 

« Elle ne fe dlconcerta pas $ & en me 
» rendant Vehement mon falut 5 paflcs 

• votrc chemin , dit-elk , & nc vena 

»p*s 



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O V C O NT E S, }lf 

* pas ici, mc feire gronde*. Mon pere 
» eft-la vis-a-vis qui laboure danS ce 
to vallonj s'il me voyait vous^parler, il 
to fbupconnerait du mal. — Ratfurez- 
to vous , la Belie ; je ne iuis point un 
to trompeur* mais un homme qui vous 
•to aime tant qu'il veut fc faire berget 
»» avec Vous. Je vous donnerai p&i^on , 
*> ceinture a deux tours , & furcot d'e'car- 
*> late. Nous ferons riches d'amour , nous 
» irons enfemble cueillir la violette, U 
» vous ferez plus gaie que l'alouette k 
» Paube du joun *— Sire , vous m'avez 
to perfuad£e, & je confens a foire tout cc 
» qull voiis plaira ; mais laiflez-moi au- 
•» paravant aller raffembler mon troupeau 
to* & attendez-moi ici un inftant. » 

En difant cela , elk entre dans le bois 5 
& il la fuit deS yeux en lui iancant des 
ceillades tendres. Mais elle rejoint fon 
pere , & l'autre refte-la comme un fot. 
Maudit foit l'imb&ille qui laiffa £chapper 
fi jolie proie. 

Cette digreffion nous a fait oublier le 
Me'n&rier. Aprcs le detail de fes tatens 
comme muficien & commc bel-e{prit # U 
Tome II. T 



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$i6 Fabliaux 

pane a ceux # qu'il a pour ics tours d'adrcifc 
& rcfcamotagc. 

jouer 
Bien fai jouer de l'efcambot , 

I'efcarbot 
Et faire vcnir Teicharboc 

fautant ' 

Vif & failfanc deflfus la table* 

main* y«ii 

Et fi tax mcint beau gcu de cable 

d'adrejfe de magie 

r Et d'entregiet & d'artumaire. 

Bicn fai un enchantemenc fake • • • 1 

jouer b&ton* 

Ge fai joer des baafteax, 

eouteaux 
Et fi fai joer des cofteax, 

fiande 
Et de la corde , & de la fonde* 

II fc vante de plus de {avoir toutes Ic$ 
Ckanfons de gefles que fait le premier, 
& d'autres encore, qu'il cite , Ogiei , 
Roland , &c 5 & iinit de meme par quel" 
ques piaifantcries. II connait , dit-il , rous 
les bons Sergens & les Champions renom- 
mh de fon terns 5 Augier Poiipe'e qui 
d'un coup d'ep^e a tranche^ Toreille a un 
chat j Herbert Tue-boeuf qui 'd'un coup 



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OU C O N T E $. }27 

dcpoing brife iin ceuf , &c; & les MeV 
ncmers les plus celebres , Fier-a~bras , 
Brife-verre, Tourne-en-fuite , Tranche- 
cote , &c. ( ce qui fait voir que its 
Menemers fe dortnaient des noms dc 
guerre & des fbbriqucts. ridicules ). Enfin 
s'adrefTant a fbn rival , il lui confeille , 
s'il a un peu de honte , de ne jamais 
enrxer dans les lieux cm il le faura : & 
vous , Sire , ajoute-t-il , fi j*ai mieux 
parle que lui , je vous prie de le mettre 
a la porte & de lui prouver ainfi que 
c eft un ignorant. 



*d 






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328 Fabliaux 
LES DEUX BOURGEOIS 

ET LE VILLAIN. 



D, 



~evx Bourgeois allaicnt en pfleri- 
nage (a). Un Payfan qui fe rendait au 
rneme terme s'e'tant joint a eux dans le 
chemin , ils firent route enfemblc & 
le'unirent m^me leurs provifions (£). Mais 
a une demi-journ^e dc la. ma if on du Saint, 
dies leur manquerent, & il ne leurrefta 
plus qu'un peu de ferine , a peu-pres ce 
qu'il en fallait pour feire un petit pain. 
Les Bourgeois , de mauvaife fbi , com- 
ploterent de le partager entfeux deux & 
d'en fruftrer leur camarade , qu'a Tair 
groflier qu'il avait montre* ils fe flattaient 
de duper fans peine. " H faut que nous 
„ prenions notre parti , die Tun des axzr 
„ dins 5 ce qui ne peut fuffire a la faim 
„ de trois perfbnnes peut en raflaiier une , 
„ & je fuis d'avis que le pain foit pour 
M un feul. Mais afin dt pouvoix le manger 



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OU C O N T E S. }Z9 

„ fans injuftice , voici ce que ie propofe. 
„ Couchons-notis tous trois , fJifons cha- 
„ cun un reve , & • qu'on adjuge Ie pain 
„ a celui qui aura eu le plus beau „. 

Le camaradc , comme on s'eft doute 
bien , applaudit beaucoup a cette ide>. 
Le Villain m&ne l'approuva & feignit de 
donner pleinement dans le piege. On fit 
done Ie pain , on le mit cuire fous la cendre , 
& Ton {e coudia. Mais nos Bourgeois 
&aient fi fatigues qu'involontairement 
bientot fls s'endormirent* Le* Manant , 
plus malin qu'eux, n'epiait que ce moment. 
U fe leva fans bruit , alia manger le pain , 
& revint fe coucher. 

Cependant un des Bourgeois s'&ant 
reVeille* & ayant appelle* fes deux com- 
pagnons : " Amis , leur dit-il , &outez 
„ mon reve. Je me fuis vu tranfporte' 
„ par deux Anges en Enfer. Long-tems 
„ ils m'ont tenu fufpendu fur l'abime du 
„ feu kernel. La , j'ai vu les tourmens..... 
„ Et moi , reprit Pautre , f ai fong^ que 
„ la pone du Ciel m'&ait ouverte : les 
„ Arcanges Michel & Gabriel a apres 
„ m'ayoir enleve* par les airs , m'ont 



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539 Fabliaux . 

, conduit devant le trone de Dicu. Tz 
]] hi temoin dc fa gloire „ > & alors lc 
fongeur commence a .dire des merveillcs 
du Paradis, comme Tautrc en avait dit 
de l'Enfer, 

Le Villain pendant ce terns , quoiqu'il 
les entendit fort bien , feignait toujoars 
de dormir. lis vinrent le reveiller. Lai , 
affeclant Tefpece de faififfement d'un 
homme qu*on tire fubitement d'un profbnd 
fommeil , criaavec un toneffraye j " Qui 
„ eft-la 1 -t Eh 1 ce font vos conlpagnons 
„ de voyage. Quoi I vous ne nous con* 
„ naitfez plus? Allons , levcz-vous, & 
„ contez-nous votre reve. — Mon rerei 
„ Oh 1 j'en ai fait un fingulier , & donr 
9y vous allez bien rire. Tenez , quand je 
„ vous ai vus tranfport& , Tun en Paradis, 
„ I'autre en Enfer , moi j'ai fong£ que 
„ je vous avais perdus &que jencvous 
„ reverrais jamais. Alors je me fuis lcv£ j 
„ & ma foi > puifqu'il faut vous le dire, 
f > je fuis alte manger le pain ,„ 



Se trouve dans les Fancies & mots fubrill 
mn fransais U en Iwlicn , foU XXIVm 



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O V C O N T E $. 3JX 

X)<mm fc* Facetieufes Journces, p. is*. 

JEt dans Us Contes,du fieur d'Ouville, /. z , 
P+ 363. 

Dans Us Scelta di facezie cavate da diverfi 
autori , />. i22, it s'agit de trots Thiolo- 
giens qui n'ont qu'un aeufa partager, lis pro- 
pofent de Vadjuger a celui qui dira U plus 
beau pajjage de VEcriture. Le plus fin des 
trots I * ovale , en difant confummatum eft. 

Se trouve ainfi ripttf dans le* Contes dll 
fieur d'Ouville , tome 2 , p* 233. 

Dans Giraldi , au lieu de deux Bourgeois 
# d'un Payfan , c'efi un Soldat avec un Af- 
trologue & un Philofophe, IV. Journ. Nov. III. 

Dans Us nouveaux Contes a rire , p. 273 , 
U iagit d*un Efpagml & d'un Gafcon. 

Notre Fabliau a eti mis mis en vers par 
M. Imbert. 



NO T E S. 

i a , Deux Bourgeois allaient en pelerinage. ) 
La devotion des pelerinages , l'une de celles /K 

qui n'obligent point a* devenir meilleur, & 
faite pour reuflir en France , parce qu'eUe 
exer<;ait Pinquietude naturelle & la mobilite 
qu'on reproche i la nation , y Stait devenue 
fort 1 la mode $ & elle eft Porigine de cR 

T 4 



4i 



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3$i Fa'biiaux 

Hofpices qui fubfiftent encore dans mille en- 
droits du Royautne. Les Pelerins jouiflaient 
de beaucoup dc privileges ; ils etaient regar- 
, des commc des perfonnes facrees ; & Pon a 
vu dans lc Lai de Gruilan que e'etaic un des 
objecs fur lefqucls s'exer^ait la bienfaifance 
des Grands-Seigneurs. Chez les Romanciers, 
quand quelqu un veuc penecrer , fans crainte 
d'etre arr£tc , dans un camp ennemi ou dans 
une rille affiegee, il fe deguife en Peleriiu 
Tqut le rnpade allait aux lieux de devotion , 
du l'Abbe de Fleury, me*me les Princes & 

*M*urs les Rots \ Le Rot Robert pagan Us Caremts 
Cnr. en ptferinagg % $ fi t / e VO yage de Rome, Les 

"' ' Eviques ne faifaient point de difficult* de 
quitter leurt Eglifes pour*ce fujeu Le peleri- 
nage de Jtrufalem devint entrautres trh fre- 
quent vers Van 1033. De la vinrent Us Croi- 
fades : car Us CroiJ^s n*itaient que des Ptte* 
rins armis & affembUs en. grandes troupes* 
L'Auteur ajoute que des le onzieme Cede 
OH fc plaignaic des abus ' qu'entrainaient ces 
pieux voyages. Des Pritres & des Clercs cri- 
minds fe prStendaient purge's & rehabilitts* 
Les Seigneurs en prenaient occqpon de faire 
des exactions fur Uurs fujets , & ceHait un 
prjfexte aux pauyres pour men die r fir vivre var 
f&onds* ' 



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O U C O N T n, 33$ 
lb , lis riunirent leurs provifions* ] Les au- 
berges ne fc trouvant gueres quo dans les 
villes , & etant tres-rares dans les campagnes 
©u il n*y avaic prefque que des chateaux 
ifoies, & des villages peuplcs de Serfs, les voya- 
geurs , fur - tout ceux de la clafle du peuple 
qui n'avaienc point la reflburcc de pauvoir 
aller fe prefenter dans les gentil-hommieres, 
etaient obliges de porter en route* avec eux 
leurs proviuons. Ceft ce defaut d'hotelleries 
qui engagea la plupart des anciens fondateurs 
d'Ordresi prefcrire par leur Regie rhofpitalire, 
& beaucoup de perfonnes devotes a fonder des 
hopitaux pour les voyageurs & les Pelerins« 
Charlemagne dans fes Capitulaires avait dGfendu 
de leur refufer le couvert, le feu 5c l'eau. 




Is 

Digitized by GoOgle 



334 Fabliaux 



p« LE REVENANT. 

Pierre 
4'AnfoU 



UANSun plus long preambule , je vais 
tous conter une aventure arrivee n'aguercs 
en Normandie a un Chevalier. 

II voulait feire fa Mie d'une graack 
Dame, epoufe d'un riche Seigneur Cha- 
telain (a) ; & dans ce deffein il employa 
long-tems , fans fe d^courager , tout cc 
qu'il put imaginer de moyens pour l'inf- 
truire de fon amour & parvenir a lui 
plaire. Vous ennuyer de tout ce detail, 
e'eft ce que je ne ferai point. Je vous dirai 
feulement qu'il la prefTa tant , qu'un jour 
enfin elle lui demanda comment il pouvait 
fe flatter d'oBtenir fon coeur , lui qui 
rTavait encore fait pour elle aucune de 
ces actions eclatantes capables de rendre 
fenfible une femme qui s'eftime. " Vous 
„ voulez que je vous aime , ajouta-t-elle 
„ en fouriant $ eh bien, fachez que jamais 
w je n'aurai d'ami que celui done je 



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V CONTIS. }}J 

„ pourrai hautement me gk>rifier , & qui 
„ par plus d'un beau fait d'arraes , m'aura 
„ montre* comment fied dans fes mains 
„ la lance & l^cu-Agrdezdonc., Madame, 
M repondit le Chevalier , que pour vous 
„ fournir les moyens de vous en con- 
„ vaincre , j'indique avant peu un Tour- 
„ nois a la porte de votre chateau , & 
„ que ce foit votre epoux lui-meme que 
„ j'y ddfie. Vous pfcurrez dc vos fenestras 
„ appr&ier les coups , & juger enfin par 
„ vos yeux. qui de nous deux eft le plus 
9 , digne de pofRder YOtre coeur „. 

La Chatelaine le lui permit > & d'apres 
cet aveu il fit annoncer un Tournois , oii 
flit invitee , a plus de dix lieues a la ronde > 
toute la NoblefTe de la contrde. Jamais 
on ne vit afTemblde plus nombreufe , & 
jamais on n'en vit une plus redoutabk & 
plus impofante. Voias n'eumez pu vous 
empecher de trembler , quand parut dans 
la lice cette fbule de braves , le haubert 
fur le corps & le heaume en tete. lis fe 
partagerent en deux troupes qui allerent 
chacune fe placer a leur pofte en atten- 
dant le moment du combat. 



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33<J Fabliaux 

Lc Tournois devait s'ouvrir par le d£fi 
de Pamant & de l'epoux. Us fortirent dcs * 
rangs 5 & la lance au poing , dreffes fur 
Icurs emers, & la tete enfonce*e fous 
T^cu , au fignal donne" Us s'&ancerenr 
Tun fur Pautre avcc le bruit & Pimp£- 
tuofite* de la foudre. Tous deux s'attei- 
gnirent 5 & d'une telle force , que le man , 
enleve* avec la felle fij Ies (angles de fon 
cheval , fut jettc* au loin fur le fable. 
Quant au Chevalier 11 ne parut pas plus 
ftranle* qu'un rocher, la lance de fbn 
adverfaire fe brifa , comme le verre , fur 
fon eoi. La Dame , qui de fes fenetres 
dtait fpe&atrice du combat , ne v;t qu'avec 
chagrin fans dbute fbn epoux vaincu ; 
mais le vainqueur &ait fon amant , & 
cette idee la confola. 

Que vous dirai-je ? On fe mela enfuite , 
on fe batt.it avec ardeur , & chacun a 
fenvi cherchait a fe diftinguer. Mais 
malkeur &pecke vinrent troubler la fete ; 
un Chevalier fut tue\ Comment & par 
qui arriva cet accident , je Hgnore. II 
jfuffit au refte pour interrompre le Tour- 
now. On. inbumale mort fou* un orme <J>) % 



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ou Contes. 3J7 
Be commc d'ailleurs Ie jour &ait fort 
avance* , Ton fc fepara. 

La Chatelaine qui voulait re'eompenfer 
fon Chevalier & lui tenir parole a fon 
tour , lui envoya dire de fe rendre au 
chateau , la nuit , a une certaine heure 
qu'elle indiqua. II n'eut garde d'y manquer , 
& trouva a la porte une fuivantc qui 
l'attendait. Sans lui dire un feul mot , 
celle-ri Ie prit par la main , lui fit faire 
dans robfeuriti plufieur% detours pour' 
n^tre yqs de perfonne /& le conduifit 
dans une chambre od elle le laifla , en 
ft priant de ne point simpatienter. Mai9 
bientot , foit ennui d'attendre , (bit plutot 
la fatigue du jour , il s'afToupit. 

Obligee d'entrer au lit avee fon epoux f 
la Dame ne pouvait s^chapper que lorf- 
qu'il ferait endorml j & e'eft ce quiTavait 
retenue fi long-tems. Elle accourut enfin , 
& de*ja s'appr&ait a Sparer par fes carefles 
le tourmentinyolontaire qu*elle avait caufi* 
a fon ami , quand elle le trouva dormant 
II n'eft pas poffible d'exprimer Pindigna- 
tion dont la pen&ra un manque audi 
ifenfibte de refjpedfc & d'amour dans un 



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5 j8 Fabliaux 

parcil moment. Ellc fc rcrira fans pie- 
noncer une parole , & l'hiftant d'apres 
cnvoya au dormeur fa fuivante , avec 
ordre de fortir fur le champ de chez elle , 
& ddfenfe de fe trouvcr jamais dans les 
licux ou elle pourrait etre. . 

La Pucelle alia done Teveiller. II fc leva 
en furfaut j & croyant parler a la Cha- 
telaine, il commenja, les yeux encore 
troubles, a begayer quelques pbrafes 
d'amour & de reconnaiflance. " ReTervez 
„ ces douceurs! pour une autre , dit la 
„ Dcmoifelle j elles vous feront d^fbrmais 
„ inutiles ici „ : Et alors elle lui annonc^ 
ce qu'elle &ait chargee de lui dire. In- 
terdit & cotifus il convint de fes torts ; 
& fans vouloir excufer une faute inexcu- 
sable , il ne fongea qu'a la reparer. 

Une rufe heureufe qui lui vint tout-i- 
coup a l'efprit , lui en fburnit le moyen. 
Avant de fortir il demanda a voir lc 
mari , pr&extant un befoin efTentiel dc 
lui parler $ & pria la Pucelle de lui indi- ' 
quer la chambre oii il repofait. Celle-ci , 
trompde par le motif qu'on lui alleguait , 
U lui montra. Le Chevalier quitta fes 



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OuCoNTES. JJ9 

vStemens , ne garda que ft chcmife ; & 

sTavanjant avec grand bruit , l*£ple a la 

main , vers le lit des deux ipova , il refta 

ainfi debout pres d'eux , fans remuer & 

fans profirer une parole. Comme leur cou-^ 

tume &ait de tenir toutes les nuits une 

lampe aliunde , il pouvait egalement les 

voir & en &re vu. En effet le Chatelain , 

r£veill£ par le bruit , apperc^ut a fes pieds 

ce phantome toutblanc, dont il fut d'abord 

ef&ay£ ; & d'qnc voix trouble , il s^cria , 

qui es-tu } " Raflurez-vous , r^pondit le 

„ phantome. Vous voyez une ame fou£ 

„ frante qui , loin de fonger a vous 

„ irriter contfelle ? ne veut au contraire 

„ qu'implorer votre bonti. Je fuis lc 

„ Chevalier tu£ aujourd'hui au Tournois. 

„ Puhi d'une feute que j'ai commife il 

)> f'y a pas long - terns envers Madame , 

„ jc viens ici lui en demander pardon , 

„ & j'y viendrai toutes les nuits jufqu'a 

„ ce qu'ette me I'ait accord^ , fi vous ne 

„ daignez , Sire , vous joindre a moi pour 

„ la fiechir , & des ce jour obtenir d'clle 

„ ma grace „• 

Le mari dupe de ce ftratageme interc^da, 



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540 Fabliaux 
de bonnefbi pour le Chevalier , & pria 
fa femme d'oublier les torts qull pouvait 
avoir eus. Ellc avait tr£s-bien reconnu (a 
voix 5 mais cllc ^tait encore irritee , fie 
refufa de pardonner. Le Chatelain furpris 
d'un pareil reflentiment demanda quel 
^tait done ce crime enorme dont le cout- 
roux s'&endait jufqu'au dela du tombeao. 
« Ma faute eft grande , fans doute , puif- 
„ que je ne me plains pas de la punition , 
„ repondit le Chevalier ; mais je nepuis 
„ la dire , car fen ferais une plus grande 
„ encore & meriterais alors la colere dont 
„ on m'accable ,,. 

Ce dernier trait de prudence & de iou- 
miflion acheva de defarmer la Dame. 
« Sire Chevalier , dit-elle , retirez-vous , 
„ & allez en paix 5 tout vous eft par- 
„ donne\ — C'eft la feule chofe qu^je 
„ (buhaitais, Madame; & que le Ciel 
„ en re'eompenfe vous accorde une vie 
„ toujours heureufe. Mais puffque vous 
„ confentez a oublier ma faute , le -cha- 
„ timent va done finir aufli , & mon bor*- 
„ hcur fans doute ne tardera gueres a 
„ commencer „. En difant ces mots ilfc 



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OUCONTES. 54I 

letira ; &* la Chatelaine qui reconnut alors 
la rufe ingenieufe de fon ami , fe prit 
a fourire. Ce fiit ainfi qu'il regagna fon 
cceur : fans cette adrefle il la perdait pour 
CQujours. 



Vergier, u t , p. 176 , a auffi un Conte 
de Revcnant 5 mats les chofes s'y pajfent de 
concert avec la femme. Uamant vient la nuit 
reveiller Vipoux ; il fe dit fon frere mort de* 
puis peu , Venvoie a VEglife prier Dieu pour 
lui , & pendant ce terns prend fa place. 

Notre Fabliau a ete mis en vers par M. 
Jmberu 



NO T £. 

(|, Un riche Seigneur Chatelaln. ) On nom- 
mait ainfi, 8c celui d qui un haut Baron ou 
un Souverain confiait le goiivernement & la 
garde d'un de fes chateaux; & le Seigneur 
qui pofledait une Chatellenie , e'eft-a-dire 
tin fief ayant droit de chateau & de haute- 
Juftice. Ceft pref^ue coujours dans ce der- 



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34* Fabliaux 

nier fens que les Fabliaux emploieat le mot 
4e Ch&telain, 

( b, On inhuma. le mort fous un orme. ) 
Les Papes , en lancant des anathSmes concre 
les Tournois, avateno /defend u d'inhumer en 
terre -fainte ceux qui etaient tues dans ces com- 
bats. Ordinairemenc merac on n'enterraic point 
les excommunies. On jetcaic leurs cad a vr ex 
dans un champ; & pour en derober le fpec- 
ucte & Todeur aux paflfans, on les couvraic 
«f un monceau de pierres. 




*wt^f* 



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O U C O N T E S. J4J 



LE LIBERTIN CONVERTI. 



D, 



"epuis- hicr je fuis dans unc grande 
incertitude , & nc fais quel parti prendre. ' 
De quelque cote* que je me tourne , j'ap- 
pcrc/ois des inconveniens : car entre deux 
jnaux le choix n'eft pas aife. Enfin dois- 
je prendre femme , ou non ? 

Me voila bien confcfR , bien abfous. Lc 
Patriarche m'a fait dormer maints, coups 
de difcipline , & il nous dit que , felon 
5. Paul , on eft ainfi purge* de tous fes 
p&hes (a). Pai promis de vivrc en bon 
Chreuen , il faut tenir parole : je me 
damnais. Avec une femme on a dequoi fe 
fauver 5 ainfi je me marierai , c*en eft 
fair. 

Mais audi cette rage d'epouferne fera- 
t-elle pas fuivie de regrets 1 Ne vais-je pas 
(aire unc fottife } Si ma femme eft 
Demoifelle , elle me meprifera 5 fi elle eft 
Jolie, cllc mc fera iofidellc j mkhantc , 



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344 Fabliaux 
die me fera damner. Ceft un treTor qu'unc 
bonne femme , j'en conviens : qui ft 
trouve' , qu'il le garde ; mais oii chercher 
ce phdnix ? Une femme eft un terrible 
7 fardeau ; fen ai deja tant fouffert , quand 
elles n'&aient pas a moi I Que *fera-ce 
quand j'en aurai une qui m'appartiendra 
& que je nc pourrai m'en d^barraffer ? 

D'un autre cote* , fi je me marie , tout 
va etre regie* dans 'mon manage. Plus de 
foins , plus d'embarras pour moi : rien a 
faire que manger & dormir. Si ma Moitic 
me voit trifte , elle .viendra- rire & 
m'egayer; fl j'ai de l'humeur, elle pre- 
viendra jufqu'au moindre de mes defirs. 
Quelle joie , chaque fois que je rentrerai , 
de la voir accourir au-devant de moi , me 
bailer tendrement , me ferrerdans fes bras ! 
Oui, il n'y a pas a heater, je ne (aurais 
rien faire dc mieux. Une femme non- 
feulement rend heureux fon mari , elle 
£gaic encore fa maifon. Je fais fort bien 
que ce miel attirera chefc moi quelques 
firelons; mais je faurai m'en d^barrafler, 
& ne fuis pas d'humeur a faire tous les 
jpurs des noces pour nourrir mes voifins. 



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O U C O N T E S. J4f 

D'aflfcurs je connais un pcu trop par moi- 
•tncmc les fuitcs dangereufes qu'ont pour 
lcs maris toutcs ces amities pr&endues. 
Jc ferai done des ferviteurs a Dicu , 8c 
des fujets a l'£tat. . . . Que . dis-je 1 Je 
ferai : en fuis-je bien sur } Helas i combicn 
en nourriiftnt , dont d'autres ont en le 
plaifir d'etre les peres ? Ce n'eft pas tout 
encore ; mon epoufe pcut-etrr. aura unc 
coquetterie qui me ruinera. 11 lui faudra 
joyauz , bagues , ceinture , ajuftemens ; 
car elles aiment tout cela plus que fer- 
mons. Peut-etre auifi voudra-t-elle fc 
rendre maitrefTe. J'en ai tant vues ! Et 
dans ce cas ce ferait a moi une grande 
folie de changer mon £tat pour un pire. 
Mais non , fai tort dc m'allarmer. Jc 
la choifirai douce , honnete & incapable 
de me tromper. Elle paffera lcs jours a 
m'aimer & a prier Dieu , ce fera Texemple 
du quartier. Dieu a fait la femme pour 
l'homme , difent nos Pretres > il ne faut 
pas feparer ce qu'il a r^uni. Eux-memes , 
qui ne peuvent en avoir a eux , ne cou- 
rent-ilspas apres celles des autres? L'ftvcque 
a beau la en reprendre & les charier , 



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54* Fabliaux 
il ne lcur eft point poflible dc flSpaJTer 
de ccttc confolation. Ainli je veux me 
jnaricr , mon parti eft pris. Je ne defire 
plus qu'une jolie compagne, & dejajc 
Toudrais e^tre aux noces. . . .... 

Mais cependant , toutes reflexions Bates, 
je crois que ce regime ne* me couvicnt 
pas & que meme il m'eft contraire. Pat 
appris a mes depens a connaitre les femmes > 
& fi la mienne fe mettait en tete dc 
feire mal , il n'y a prifbn , tour , chateau 
ni fortereffe , il n'y a puiffance fur la 
terre qui fut capable de Ten empeeher. 

Cetce piece a etc mife en vers par M. Imbert. 



NO TE S. 

f (a, Le Patriarche nCa fait dpnner maktt 
coups de difciplinc , & il nous dh que felon 
S* Paul , on eft ainfi purge* de tous fet pi* 
ches* ) La flagellation , foit avec des verge* » 
foic avec des cordes notices , fait un chad- 
ment raonaftique employe dans les Convents 
pour certaines fauces. L'Eglife le mic an nom- 
hre des peines canontques qu'elle impofaif 
*ex pecheurs penicensj & pourne cucr que 



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ou C 6 N t e J, 347 

ties exemples connus parmi nous , Louis-Ie- 
Debonnaire , ap res avoir etc force d'abdiquer 
la couronne , rut frappc de verges i Soiflbns 
dans Paflcmblee <ies Ev&juei. Les Papes , 
avant de donner l'abfolution dc certains cri- 
mes , impofcrent quelquefois , entre autres 
penitences , une flagellation publique \ lis y • fl t uri * . 
foumirent meme des Princes : tels fiirent Hift. Ec. 
Raimond - le - Vieux , Comte de Touloufc , £* K/ / 
accufe de favorifer les Albigcois ; Henri II , ^J 3 * 
Roi d'Angleterre , caufe, par un mot im- 
prudent , de la mort de 1' Archeveque de Can- 
torberi , &c. Tappelle fupplicc , die l'AbbS 
de Fleury , ces fpcclacUs affreux que Von don- 
nait au public , faifant, parattre le pinitent 
nud jufqiia la ceinture avec une corde au cou 
& des verges a la main dont il fe faifaitfufii- 
ger par le Clergi ; comme on fit entre autre* 

a Raimond • • . Je ne doute point que 

ce ne foit Vorigine des ameades-bonorables , 

refues , depuis plufieurs Jiecles , dans les Tri- 

bunaux ficuliers , mais inconnues a toute I'an- 

Uquite *\ Une Chartre de 1'an 1240, ordonne * Idem* 

que les excomraunies , qui vondront rentrer Dif.jr* 

en grace , affiftexont i la Proceffion nus pieds , 

«n chemife 6c tenant en main des verges qu'ils w Vti 

prefenteront enfuite i genoux au Scmainier Can 8 e * 

pour tore fiiftigcs par lui *\ procefc 



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348 Fabliaux 

Plufieurs perfonnes e,mployaient par «* 
votion cc genre de penitei*e. S. Louis fe 
£ai£aic doaner tous les Vendredis la difcipline 

* Duche- P ar fon Confcffeur '» H Y avait dcs Pr £" cs 

ne , gefta qui , avant de donner l'abfolution a leurs pe- 

Sandi n i tcns> i es frappaient de verges *. Dans i'Oc- 

^ U «°n ** rc dc cluni » on nc fc P« f « mait a confeife 

Canst < l uc * e & os decouvert , par cette raifon *\ 

Suppl. En 1260, s'eleva en Italie une Cede de Fa- 

aumot natiqucs, qu*on nomma Flagellars , & qui 

tcs. couraient les eampagnes & les villes , n«s 

'* Ibid, jufqu'i ia ceinture, fe dechirant le corps a 

au mot cftups de fouet. pour appaher la colere de 

Flagella- p ieu ^ & chantant des caqtiques ajuftes a cette 

devotion degoutante. lis fe repandirent dans 

to »te l'Europe 5 & il fallut l'autorite des 

Princes pour arreted ou pour detruire leurs 

progres. Le*s confrairies de penitens de nos 

Provinces meridionals , qui , i certaines Fetes 

de Pannee fe jpue'ttent publiquemfcnt dans les 

Procefllons , la coutume ou font encore quel- 

ques PrjSdicateurs zeles d'ltalie de finir leurs 

Sermons par une difcipline fanglante , &c« 

font des redes de cette fuperftition* 

LA 



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LA CONFESSION DU RENARD (a). 
it son Pblerinage. 



Ze Fabliau qu'on va lire , & dans UquS) h 
trovers quelques traits de fatire aJTe{,fine 9 
on fent pourtant toujour* la plaifanterit 
d*un JlecU grojfier , femble n^ avoir eu prtn- 
cipalemtnt en vue que de ridiculifer les p£- 
lerinages , & fur-tout celui de Rome. 



«/adis vivait tranquillement dans Con 
palais de Mau-pertuis un vieux Renard. 
Mais l'age dcpuis quclquc terns coifimen- 
$ait a l'app^fantir. De jour en jour il 
fentait diminuer (es 'forces , & entre- 
voyait deja une fin malheureufe. « Helas I 
» je ne puis plus mal-faire , fe difait-il.. 
•» Qu'eft devenu ce terns od , sur de ma 
» proie quand je Tavais une fbis faifie , 
» & plein d'afTurance en mes pieds,je 
» necraignais la pourfuhed'a'ucunenncmi ? 
» Que de vols, que de fang repandu fai 
1 Tom it V 



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jyo Fabliau 
» a me rcprocher 1 C'en eft fait , U faut 
» changer j c'eft trop long-tems etre crainc 
» & hai ». 

Tandis qu'ii s'occupait ainfi de ce pieux 
projec , un Villain , enfonce* dans fon cha- 
peron (£) , pafTa par-la , & le voyant 
^eurer lui demanda ce qu'il avait. — 
« Ce que j'ai , bon Dieu 1 Eh i ne dois- 
» tu pas le deviner } Apres une vie paffee # 
» dans le brigandage & dans le crime > 
» mes larmes peuvent-elles te furprendre ? 
to Mais j'ai entendu precher dans ma jeu- 
* neffe que qui demande pardon l'obticn- 
*> dra; 8c j'efpere en la mifencorde du 
» Ciel ». Alors il pria le Payfan de iui< 
enfeigner dans le voifinage quelque faint 
homme auquel il put aller s'accufer de fes 
fautes & en demander l'abfolution* L'autre 
qui connaiflait le dr61e crut d'abord qu'il 
voulait fe moquer ; cependant quand il 
le vit infifter & avec ferment proteftcr 
de fa bonnefoi , il lui nomma un bon 
Hermite qui habitait dans un bois aflez 
pres dela , & s'ofFrit meme a le conduirc. 

Si la vue de ce brigand , connu au loin 
par fes rapines^ furprit le Solitaire , fon 



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O V C O N T E S. JJX 

rcpentir & fes larmes It toucherent. II le 
loua fur Con recour a la vertu & ^cputa 
le r£cit dc fes fautes 5 mais elles &aient 
telles qu'il nc pouvait lui en donner 
l'abfolution , & il lui enjoignit d'aller a 
Rome. « Eh I pourquoi , fe dit a fui-meme 
» le pdnitent , m'envoyer chercher fi loin 
» un pardon que le Ciel peut m'accorder « 
» ^galement ici * Ceft done pour nous 
» faire courir que le Pape * fe reTerve a 
n> lui feul un pouvoir qu'il eft le maitre 
» de communiquer » 1 N^anmoins comme 
c^tait une n&eflite 4 , il s'y foumit , prit 
un bourdon , fe pafla une dcharpe au 
cou & partit (c). 

Une feule chofe le fachait , rftait de 
voyager feuL D*un autre cote* , le grand 
nombre d'ennemis qu'il s'e'tait faits lui 
donnait lieu de craindre pour fes jours. 
II fe vit done oblige* de smarter des 
grandes routes & de fuivre des chemins 
d&ourne's. lMp> au bout de quelques 
lieues , fa blfime fortune lui fit trouver 
un compagnon. 

En traverfant une plaine ou paiffaient 
des moutons, U appercut Belin , le Wlicr 

V* 



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1 



3ji Fabliaux 

du troupeau 5 lcquel s*e*tait retire* a V&cart 
& revait triftcment , couche* fur l'herbe. 
Le Pterin s'approcha pour lui en demandef 
le fujet. « Helas ! je pleurc ma mort 
» prochainc , repondit B^lin en foupirant. 
» Voila pliifieurs anne'es que je fers cc 
» Villain 5 & c'eft moi qui fuis le perc 
» de prefque tout ce beau troupcau que 
»> tu vois. J'elperais au moins que , pour 
>» prix de mes fervices , l'ingrat me laif- 
» ferait mourir en paix. Je me fuis tromp^: 
» il vient de me defUncr a nourrir fes 
» mouTonneurs , & ma peau eft vendue 
» pour faire des houfeaux a quelqu'un 
» qui part pour Rome. Rome encore I 
» 6*&ria le Renard , je n'entends parler 
» que de Rome ; mais tout va done- 
•> la (d) ? Du moins , ii Ton t*y envoyait 
» com me moi , tu ne fburnirais pas de 
» houfeaux. Ah ! mon pauvre ami , tu 
» me fais grande pitied , & je vois qu'on 
» te jouera un madvais torn, fi tu ne 
» prends bien vite ton parti.^- Eh 1 quel 
» parti prendre ? Pai beau rcver , il ne 
» me vient rien ; confeille - mbi done , 
m toi qui a de. I'efprit. — Le confcil eft 



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O U C O N T E S. 3 5-5 

*° aiie - y $c d* abord il faut commencer par 
» t'enfuir. Ecoutc 5 j'ai 6t6 long-terns , • 
** comme tu fais , un afTez grand vaurien ; 
» mais a tout $6ch6 miCencorde , & j*ai 
* lu dans Tfecriture que les Anges fe 
» repuifTent plus au Ciel pour un larron 
» qui vienta reTipifcence, que pour quatre- 
xi vingt-dix Juftes qui perfeverent. Qu'eft- 
» ce apres tout que ce monde & fes plai- 
» firs ? du vent & de la fum<fe. Dieu 
*> nous commande d'y renoncer & de 
» quitter tout pour lui , pere , mere , 
» herbe 8c pre , j'ob&s, & j'efpere bien 
» que tu me verras un jour couche* dans 
*> la Legende. En attendant , je vais cher- 
*> cher a Rome une abfolution du Pape. 
» Veux-tu me fuivre 1 J'y vois pour tot 
» double profit ; des pardons a. gagner > 
» & point de houfeauxafournir». Belin % 
fort fimple. de fon naturel , trouva le 
confeil admirable. II embrafTa fon ami en 
pleuranr de joie x &; fe mit en route avec 
lui. 

Us n'eurent pas fait cent pas qu'ils 
apper£urent Bernard lArchiprhre * , qui *Un 
-cungeaic des chardons dans un fofR. Anc. 



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374 Fabltavx 
C'ltaie unc fi ancienne connaiflance qu'il 
n'eut pas 6t6 pardonnable de paiTer fans 
Jui rien dire. On le falua done. Bernard 
levant la tete , & furpris de voir M e Re- 
nard dans Wquipage de pterin , lui 
demanda ce que e'etait que cette mafca- 
rade. « Mon cher , repondit celui-ci , rien 
» nc coute pour fauver fbn ame y & , fi 
» tu £tais fage , tu ferais comme nous. 
» Car enfin , au lieu de porter du bois 
»3 & ducharbon, d'avoir le dos pele* , de 
» recevoir cent coups de batori par jour , 
» il ne tient qu'a toi de n'avoir plus de 
» maitre & de vivre fans travailler, 
» puifque tu es sur de trouver partout a 
» manger ». Ce dernier article fut celui 
qui frappa le plus Bernard 5 il fe le* fie 
aflurer bien exprefRment encore. l/autre 
le lui jura foi de Renard $ & d'apres cette 
prbmefTe , voila nos trois Pterins en 
campagne. 

Comme lis avaient un grand bois a 
traverfer ,' la nuit les y furprit$ & cc 
fut alors qu'ils commencerent a fentir Its 
inconveniens du p^lerinage. Le Renard , 
6it aiut injures de i'air , propofa de cou« 



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O U C O N T E S. JSf 

ener furl'herbe au pied d'un arbre. Belin , 
accoutume* a rentrer tous les foirs dans 
ufte bonne Stable , ne goutait pas trop 
cette fajon de dormir 5 & d'ailleurs il 
craignait les loups. L'Ane appuya tr£s-fort 
Tavis de Belin. Le Renard done, fbrci 
d'y deT<£rer , propofa de faire encore quel- 
ques pas , affiirant qu'ils trouveraient 
Photel d'Ifangrin * , fon bcau-frerc & * Le 
fon ami , chez lequel ils feraient surement *- ou ? • , 
bicn re£us (e). A ce nom dlfangrin les 
deux autres reculerent d'effroi; ils crai-» 
gnirent quelque trahifon. Mais le Renard 
les raflura fi pofitivement fur fa probit£, il 
leur fie rant de fermens , qu'enfin nos deux 
idiots confentirent a le fuivre, 

Il n'y avaij pcrfonne au logis d'lfan* 
grin , quand ils arriverent. Celui-ci & fa 
femme Herfant &aient a la chaiTe : mais 
les voyageurs trouverent force provifions 
de toute efpect s & fans attendre leurt 
notes, ils commencerent fans fact>n k 
boire & a manger. Peu^-a-peu la bonne* 
chere & la gaiete* animerent les cerveaux j 
on oublia la devotion , & chacun de foa 
cote* fe mit a chanter a qui raieux micux* 



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5fj6 F A B L I A U X 

Pendant ce terns les deux chafleurs 
revenaient avec leur proie. lis entendirent 
de loin cette orgie bruyante dont reten- 
riflait toute la foret , & d'abord la crainte 
Jcs fit art&er. Mais Herfant , s*eemt 
avanc£e avec precaution pour favoir ce 
que c'^tait , vit , par le trou de la ferrure , 
les trois Pterins Itendus gaiment autour 
de la table , ou ils s'egofillaient a chanter. 
Elle revint auffi-tot avertir fon man , 
qui courut en fureur frapper a la porte 
pour fe fairc ouvrir , & qui d'une voir 
terrible leur annonca qu'il allait les dcvorer; 
itous trois. 

Si nos deux imWcilics eurent peur 
alors, vous n'en ferez point furpris* Le 
Renard les raffura. « Poltrons que vous 
» etes , leur dit-il , eft-ce que vous ne 
*» me connaifTez point ? Je vais vous tirer 
» de ce mauvais pas j ne craignez rien. 
»» Toi , Bernard , entr'oiwre un pcu la 
» porte 5 Ifangrin va s'y jetter &ourdi- 
-» mcnt. Des qu'il aura la t£te paiKc , 
» referme auffi-tot $ tiens bicn ; & pen- 
» dant ce terns Belin fe chargera du refte ». 
Le ftratageme reuffit. Ifangrin fe ttouva 



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bu Coniis. 3J7 

fcris comme au piege. AuiH-tot vous eufliez 
vu B&in fbndre fur lui pour le frappcr dc 
fcs corncs , puis s'elancer de nouveau , 
puis rcculcr pour le frapper encore. Jamais 
porte de ville afliegee rt'effirya de (i ter~ 
ribles coups. Bref, tant & fi bien'fut 
heurre* que h cervelle du captif en fauta. 
Herfanc voyaic de dehors ce ipe&acle 
douloureux fans pouvoir Pempecher. Elle 
courut dans le bois pour appcller du fe- 
cours s & dans l'inftant arrivereht plus 
de deux cens loups qui , a la vue du 
corps de leur camarade poufTant des hur- 
leraens efFroyables , s'animerent mutuellc- 
ment a le venger. Les ''prifonniers frif- 
fonnaient de tous leurs membres ; & e'e'tait 
bien finc^rcment que Bernard fe repentait 
d' avoir quitti fcs fees de charbon , & 
Belin fon Berger. Le Renard lui - meme 
n'etait pas fans inquietude. Cependant 
comme befoin eft la mere d'invention , 
il propofa de grimpcr fur le toit de la 
loge , & de s^lancer dela fur un arbre 
ou Ton n'aurait plus rien a craindre. En 
meme-tems , fans artendre la reponfe des 
deux autrcs., qui , ne ie fentant point 



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3jS Fabliaux 

audi lcftcs, n'euflent probablement pas 

4t6 de {on avis , il fauta fur un chene 

voifin. 

Quand ils fe vlrcnt abandonnds , ils fc 
crurcnt mom 5 mais il leur dit: « Chcrs 
» camarades , nous avons encore une 
» resource. Jevais, par ma ^>ix , jettcr 
» I'epouvante parmi nos ennemis j fecon- 
» dez-moi Tun & l'autre : & lorfque vous 
» les verrez £branl& , fondez fur eux 
» pour achever de les diffiper ». Il com-* 
menca aufli-tot a crier haro , ha ro s & 
a contrefaire le bruit des cors & Taboie- 
ment des chiens. Les loups fe crurent 
attaques par des ChafTeurs 5 ils ne (on- 
gerent plus qu'a fuir. Bernard alors fai- 
(ant retcntir fa voix eiFrayantc , acheva 
tcllcment de les troubler qu'il fe culbu- 
rereht les uns fur les autres. Belin lui-» 
meme , cnhardi par leur fuite , forth & 
vlnt les frapper par derriere avec fes 
cornes. Enfin en moins d'un inftant tout 
di(parut, & il n'en refta pas un feul. 

Les deux Champions , par ce ftrata- 
geme , fe virent d^livrfe du danger ; mais 
U pcur qu'ik en avaient eue les gu4ri* dc 



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O V C O N T B S, J/9 

Penvie des p&erinages, & ils dircnt adieu 
a leur camarade* « Vous avez raifon » 
» repondit le Renard* & je veux vous 
» imiter* II y a tant d'honnetes gens qui 
» n'ont pas ixi a Rome , & il y en a 
to tant qui , apr£s y avoir (x6 , en font 
to revenus piresl Je vais retourner dans 
to mon manoir ; j'y travaillcrai , je ferai 
to du bien aux pauvres , je vivrai en bon 
to Chretien $ & je crois que cette conduits 
to plaira autant a £)ieu que & je courais 
to les chemins pour lui »♦ 

Bernard & Belin s'^crierent qu'il avaic 
raifon 5 & tous trois , de compagnic , s'en 
revinrent chez eux. 



CtContefe trouve infirS dans le Roman du 
Renard & d'Hangrin, Po'eme fingulier, com* 
pofe fucceffivement par trois auteurs; achevi ', 
comme Vapprend le manufcrit, en 2339, & 
dans lequel on a fait *ntrcr tout ce que les 
fables & les poifies du terns fourniffaitnt fur 
le Renard. Ce libertin eft accufi par le Loup 
de V avoir fait C ... & traduit par lui a la 
Cour du Lien. Celui-ci Htm Ifangrin d'un 



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3<Jo FABUAtt 

&/<** <&n* /<?,/*«/ fruit fera de rendrefa home 
puUiquc , & il le renvoie , en I'exhorunt a 
fe confuler d'un ivinement qui arrive aux Rois 
& aux Comtcs, & qui de jout en jour devienc 
_' i la mode 5 trait de fatire £autant plus hardi , 
qu'il faifait . allufwn probablement a Vaven- 
ture des trots fits de Philippe-lc-Bcl t donths 
femmesfurent toutes trois publiquement accuffes 
d' adulter e* Enfuite viennent different tours du 
Renard ; celui du fromdge quit attrape m 
corbeau ; celui du puits dont il fe tire en 
faifant defcendre le Loup dans V autre fee au ; 
fon piUrinage a Rome t e'eft-a-dire , notre 
Fabliau en entier , &c. & c, II difie enfin J fan- 
grin aux ichecs ; & dans la confiance ouil 
eft qu'il le gagnera , il propofe par malice de 
jouer ce quits ont tous deux le plus d'inUrit ' 
de conferver* II perd , & meurt des fuites de 
cette fotdfe* 

Differens traits , recueillis des poejies du 
terns, m'ont prouvi que notre Fabliau, tout 
fcahdaleux qu*il parattra avjourd'hui, eut une 
tres-grande vogue chez nos devots aieux. On 
V employ ait mime en tableau; & un Pocte mo* 
ralifte reproche aux Pritres de faire platCt 
peindre ce fujet dans leurs filles que le por- 
trait de la Vierge dans leurs eglijes* 



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o ty C o n t e ss j(Jr 

* En Ieur Mouftier ne font par fere 
Sitofl 1'iraage Notre-Dama 
€ommtils 
Com font Ifangrin & fa feme , 
En ieurs chambre?, & de Renart. ' 

Vies <•p^ F#r« tntnujt. 

Dans la fuitt , quand Paris tut des tr£» 
Uaux, fir qu'ony reprifenta des Mifteres, on 
fit, des divers Contes du Renard, quelques- 
Wies de ces Farces qui, comme je Vat dit 
plus haut dans la note fur V origine du Tk£&- 
tre 9 fervaient d'intermede aux different actes 
de la Piece fainte. On a In dans cette mime 
note qu'a la fete que donna en 1313 Philippe- 
le-Bel , on vit, entrt autres fpefiacles, la vie 
enticre du Renard , lequel finijfaif par devenir 
Pope t mangeant cou jours poules & pouflins. 



NOTES. 

(a) L'Hiftoire parle d'un certain Reginald 
ou RcYnard , policiquc tres - rufe , qui vivait 
dans le Royaume d'Auftrafie au IXe fiecle Sc 
fuc confeiller de Zuencibold. Exile par fon 
Sou ve rain , il alia , au lieu d'obeir , fe met- 
tre a couvert dans un chateau fort done il 
Tome IL X 



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$6z Fabliaux ( 

etait le maitre , & d'oti il fufcita aii Prin€« 
toutes fortes ■d'afeires fAcheufes, armantcon- 
tre lui tantot les Franqais , tantot lc Roi de 
Germanic. Cetre conduite artificieufe & faufle 
rendic fon nom odieux. 4 Son fiecle fit fur lui 
differences Chanfon* , dans lefquelles il eft 
appellc Vulpecula; & les fiedes fuivans com- 
poferent de meme plufieurs Poemcs allcgori- 
ques fie fatiriques en Romane , qui depuis 
furent traduits en plufieurs langoes , & oil 
il eft toujours defigne fous PemblSme de Pa- 
nimal , auquel dans la notre il a donne fon 
nom. Ces allegories qui pretaient A la m6- 
chancete de nos vieux Poeces furent long-terns 
A la mode parmi cux. J*ai vu plus de vingt 
pieces differences fur le Renard. II ftifl&ra de 
faire connaitre Tune des principals. Ceft lc 
Roman du HHouvtau Renard , par Jacquemar* 
Gielee d© Lille, fini en HI?. 

Le Lion convoque tous les animaux A (a 
Cour. Le Renard lui joue mille tours 3c en 
vient A une re volte ourerte. Affiege dans fon 
chateau de Mau-pertuis , il emploie tanc dc 
rufes , que le Monarque , apres avoir perdu 
bien du monde & defefperant de le reduire, 
lc fait excommunicr par TArchipretre PAne. 
Cependant ils fe rtconcilient dans la fuite; mais 
le Renard , qui eft toujours le ni&ne , qui 



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OU CONTES. J^J 

role , qui debauche des femmes , $cc , met le 
Gerge dans fon parti afin de n'avoir plus 
rien a craindre. Lcs Pretres fuivent let princi- 
pes d'hypocrifie qu'il leur enfeigne , & de- t 
▼iennene par fon moyen fi puiffans & fi ri- 
ches quails fe profternent devant !ui pour l'ado* 
rer. II fait un de ies flls Jacobin, Un autre 
Frcre-Mineur. Enfin il fe confefle a un Her- 
mit e , lequei l'envoie a Rome. La il trouve 
la Fortune qui lui met une couronne fur la 
tScc & quiTeleve au plus haut de fa roue ; 5c 
e'eft ainfi qu'il eft reprcfente dans la minia- 
ture du manufcrit. 

Toute cette multitude d'allegories fur le Re- 
iwrd pourrait, bien au refte n'6tre primitive- 
meiit qu'une imitation de celle de Bid-pai. On 
(ait que l'ouvrage de ce Philofophe Indien, 
qu'on nomme Fables, n*eft rien autre chofe 
qu'une inftru&ion qu'il fit pour le Prince foa 
fouverain, & dans laquelle il fuppofe un 
Renard qui apres avoir fupplantc St fait met- 
tre a mort un Bceuf , grand Vifir du Lion , 
p{ fit enfin lui-meme vidime de la calomnie. 
Tout cela eft entremele , A la maniere des 
Orientaux , de Sentences , de Maximes , d'A- 
pologues , de Comes abfolument Strangers au 
fujet principal & propres a le faire fans cefle 
ouMicr. Nos Poetes ont connu cet ouvrage, 



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364 F A B L I A tJ X 

comme on le verra par pluficurs morceattX 
qu'ils ont i mites ; 8d il fc poilrrait tres-bien , 
encore utie fois , que ce fdt li , pi u toe que 
dans PHiitoire de Reginald , qu'ils euflenc 
pris Pid6e dc tous ce* Poemes dont j'ai parle. 
< b , Epfonct dans [on chaperon. ) Sorte de 
couvercure de t£ce prefque audi ancienne que 
la Monarchic , &c done l'ufage n'a com- 
mence a s'abolir que fous Charles VI , quand 
Its chapeaux devinrent 4 la mode. Cecaic one 
efpece de coqueluchon qui fe portait par- 
deiTus la chape , qui couvrait Its epaules , SC 
fe rclevaic fur la tete quand on voulait fe ga- 
rantir du foleil , du froid ou de la pluie. On 
voit encore aujourd'hui parmi It peuple de* 
voyageurs en porter d cheval par-defllis leut 
chapeau. Souvent on les garniffait de fourrures 
precieufes. On en faifait raeme entieremenc 
en peaux ; & ceux-ci fe nommaient aumujfes* 
Quant a la forme des chaperons , elle a fore l 
vatic , quoique le nom en foic tou jours rede 
le meme. II y en avait de quarres , de poin- 
cus , de grands , de pecks , quelques-uns faits 
comme ies capuchons de nos Moines , 'd'au- 
tres avec des houppes, &c. &c. La plupart 
des habillemens de femmes en avaiene auflij 
£c ces coqueluchons inuciles qu'elles portent 
encore & leurs ditferentes fortes de mantelets 



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ou ConteS. 36/ 

It l quelques-uns de leurs deshabilles , paraif- 
fcnt n'avoir d'autre origine. 

( c , Prit un bourdon , fe paffa une icharpe 
an cou. ) Ceft probablement ce Fabliau qui a 
donne lieu a Tacception , fubiiftante encore 
dans, nocre langue , du mot ptltrin , pour 
fjgnifier un homme rufe & matois : Je con/fait 
le peUrin. 

(d, Je n'entends parler que de Rome. Mais 
tout v* done la, ) Ces forties violentes con* 
tre Favidite des Papes , fi communes chez 
nos Poeces , n'exigeaient alors aucun courage* 
II n'y . avait fur cet objet qu'un cri genital* 
S. Louis lui-meme, fi devot , fi foumis an 
Saint-Siege , dans une Ordonnance ' concer- * Or&* 
nanc la Collation des Prelatures fe plaint des des Roi* 
exactions infupportables par lefyuelles la Cour e * 

de Rome avait malheureufement appauvri It ia ^g # 
Royaume ; & il defend touie levee d'argent , 
i moins que ce ne foit dans une neceflite' ur- 
gente , Sc avec le confentement du Roi Sc celui 
de lJEglife Gallicane. 

( e , Ifangrin. . , . Be'lin, . . ) Le nom d*J« 
fangrin eft donne au Loup a caufe de fa cou- 
leurgrife ; celui de Be'lin vient du mot biltr. 
Le* premier fe x trouve aufli dans les poefic* 
des Troubadours, 

x J 

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366 Fabliaux 

£> LE MlEDECIN DE BRAL 

Alias 
* LE VILLAIN DEVENU MiDECIN. 



J adis fut un Villain qui a force d*ava- 
rice & de travail avait amafR quelque 
bien. Outre du bl^ & du vin ea aboo- 
dance , outre de boa argent , il avait 
encore dans Jbn £cutie quatre cbevaux 
& huit boeufsl Malgr^ cette fortune ce- 
pendant il ne fongeait point a fe maricr. 
Ses amis & fes voifins lui en faifaicnt 
fouvent des reproches. Il s'excu(ait en 
difant que s'il rencontrait une bocnc 
fcmme, il la prendrait. Eux fe cbargereot 
de lui choifir la meilleure au moins qu'oa 
pourrait trouver, & en conKquence ils 
firent quelques recherches. 

A quelques lieues dela vivait retire' un 
vieux Chevalier veuf, & fort pauvre, 
qui avait une fille tres-bien eievec & 



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V C O N T E S. 367 

#une figure charmante. La Demoifelle 
itait en age d'etre mariee 5 mais corame 
le pere n'avait rien a lui donner , per- 
fonne ne fongcaic a elle. Enfin , les amis 
du Villain £tant venus en fon nom en 
faire la dejpande , elle lui fut accordee j 
& la Pucelle qui etait {age & qui n'ofait 
deTobliger Ton pere , fe vie ,• malgre* fa 
repugnance , obligee d'obeir. Le Villain , 
enchante\de cette alliance, fe prefTa bien 
vite de conclure & fie fes noces a la hate. 
Mais elles ne furent pas plutot faites 
que des reflexions chagrinantes furvinrcnt , 
& qu'il s'appercmt que dans fa profeffion, 
rien ne lui convenait moins qu'une fille 
de Chevalier. Pendant qu'il fera au-dehors 
occupy a fa charrue on a quelqu'autre 
travail , que deviendra fa femme , elevee 
a ne rien faire & dont Ktat eft de refter 
au logis? Le Curl, pour qui tous les 
jours de la femaine font Dimanche , ne 
manquera pas alors de s'emprefTer a lui 
tenir compagnie: il y viendra aujourd'hui , 
Wy rcviendra demain 5 puis gare rhonneur 
du fot mari. Comment done faire, quand 
il n'y a plus de remede ? « Si le matin , 

X 4 



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?68 Fabliaux 
» avant de partir , jc la battais r fe <fit-3 
» a lui-meme , elle pleurerait tout le refte 
» du jour 5 & il eft sur que pendant qu'elfe 
*> pleurerait * elle ne fongerait point a 
w ecouter les galans. Le £bir, en rentrant , 
» fen ferais quitte pour tui demander 
» pardon > & jc fais bien Comment fl 
» faut s'y prendre pour ft>btenir»* 

Rempli de cette belle id<£e , il demande 
a diner. Apres le repas , il s'approche de 
la *Dame 5 & de fa rude 8^ lourde main 
Iui applique fur la joue un tel foufftet 
que la marque de fes cinq doigts y refte 
imprimee. Ce n'eft pas tout. Comme {1 
elle lui eut eiTentiellement manque', il 
redouble de quclques autres coups & 
fort enfuite pour aller aux champs. La 
pauvrette fe met a pleurer & fe deTole. 
« Mon pere, pourquoi m'avez-vous fa- 
» crifie'e a ce Villain } .IvTavions-nous done 
» pas encore du pain a manger ?'& inoi 
to pourquoi ai-je &e afTez aveugle pour 
« confentir a ce mariage ! Ah ! ma pauvre 
to mere ," jfi je nc vous avais pas perdue , 
» je ne ferais pas malheureufe. Que vais- 
* je devenir* } Elle ferit fi afflige'e qu'clle 



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OU COTTTES. }6$ 
nc voulut ccouter ni recevoir de confb- 
lation de pcrfonne , & qu'clle pafla tout 
le jour a pleurer , comme l'amit preVa 
le mari. 

Le foir , quand il rentra , fon premier 
fbin rut de cherchcr a Tappaifer. C&ait. 
le Diable qui 1'avait tenti , difait-il. II 
jura de ne jamais porter la main fur elle , 
fe jetta a fes pieds & lui demanda pardon 
«fun air & pen^tre* que- la Dame promit 
<Foublicr tout. lis fouperent de la meil- 
leure amine* & firent la paix. Mais le 
Villain qui avait vu fbn ftratageme reulfir > 
s'^tait propofe* de Temployer encore. Le 
lendemain done a fon lever , cherchanc 
querelle a fa femme , il la frappa de 
nouveau & la quitta comme la veflle. Elle 
fe crut pour le coup condamneVians efpoir 
a etre malheureufe & s'abandonna auz 
larmes. 

Tandis qu'efle fe deTe(perait , entrerent 
chez elle deux Meflagers du Roi , months 
fur des chevaux blancs. lis la faluerent 
au nom du Monarque & lui demanderene 
un morceau a manger (<z) : ils mouraicne 
de faim. Elle leur appreta auul-tot c« 

Xj 



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570 Fabliaux 

qiTelle avaic , j8c pendant le rq>as lcs prtt 

dc lui dire od ils allaienc ainfi. « Nous 

*» nc fai^ns trop , repondirent-ils ; nsats 

♦ M6dc- " nous cherchons quelque Phificien * 

*iiu » habile , & nous paflerons s'H le fasr. 

» jufqu'en Angleterre. Demoifcllc A3e, 

>» la fille du Roi , eft maladc. II y a 

*• huit jours qu'en mangcant du poiflb-^ , 

» une arete lui eft reftee dans le gofer. 

» Tout ce qu*on a imaging depuis ce tern; 

« pour Ten d&ivrer a £te fans fuccr. 

» Elle he peut ni manger ni dormir , £: 

» fouffre dcs doulcurs incroyalslc^ Le 

» Roi qui fe deTefpcre nous a dcpccr.'s 

» pour lui amener quelqu'un capable tfc 

»> guerir fa fille. S'il la perd , il en mourra. 

» — N'aUez pas plus loin , reprit la Dame ; 

« j*ai ' l'homme qu'il t vous faut , grzcA 

» Phificicn 8c plus expert en urines 

*> quHippocrate. — Oh 1 Ciel I fe po*»«-- 

» rait-il 1 & ne nous trompez-vous pa«: ? 

» -Non, je vous dis la pure vcrirl 

p Mais le M^dccin dont je vous parlc eft 

n un fantafque , qui a particulierement Ic 

» travers dc ne vouloir point exerccr f.^n 

m talent 5 & jc vous previens que fi vcirs 



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O U G O N T E S. 37I 

*» ne le battez fortcment , vous n'en tirerez 
»» aucun parti. — Oh i s*il ne s'agit que 
» de battre , nous battrons * y il eft en 
» bonnes mains. Dites-nous feulement ou 
>* il demeurc ». 

La Dame alors leur enfeigna le champ 
oii labourait fon mari & leur recommanda 
fur-tout de ne point oublier 1c point 
important don* eite les avait prevenus. 
Us la remercierent , s'armerent chacun 
d'un baton 5 & piquant vers le Villain , 
Ic -faluerent de la part du Roi & le prie- 
rent de les fuivre. « Pourquoi faire , die- 
» il ? — four gucrir fa fille. Nous favons 
>» quelle eft votre fcience , & nous venons 
»*expr& vous chercher en foh nom >*. 
Le Mangnt repondit qu'il favait labourer ,' 
& que fi le koi avait befbin de fes 
fcrvices en ce genre , il les lui offrait ; 
inais pour la Midecine il protefta , lur fa 
confeience qu*il n*y. entendait abfolument 
rien. « Je vois bien , dit Tun des Cava- 
*» liers a fbn camarade , qiie nous ne 
» reuflirons point avec des compliniens 
» & qu'il veut etre battu ». Aufli-tot ils 
lairetit tous deux pled a terre & frappe- 1 

X* 



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JpJL J A B L.I A U X 

* tent fur lui a qui mieux-mieux. D'abord 
if voulut leur rcprefenter l'injuftice de 
leur prodde* > mais comme il n'etait pas 
le plus fort, il lui fallut filer doux , & , en 
demandant grace bien humblement , pro- 
mettre d'ob&r ,en tout ce qu'ils exige- 
raient. On liii fit done monter une des 
jumens de fa charriie , & on le conduifit 
ainfi au Roi. 

Le Monarque itait dans la plus grande 
inquietude fur Wtat de fa fille. Le retour 
oes deux MefTagers lui rendit Tefperance j 
& il les fit entrcr auffi-tot pour favoir 
quel euit le fucces de leurs rechercbes. 
Ceux-ci, .apres beaucoup d'&oges de. 
rhomme merveilleux & bifarre qu'ik 
amenaient , . raconterent leur aventure. 
« Je n'ai jamais vu de M^decin comme 
» celui-la j dit le Prince : mais , au refte % 
» puifqu'il aimc le baton & qu'il f^ut 
» cela jppur guirir jna fille , foi; , qu'on 
» le batonne, ». 

11 ordonna dans Ilnftant qu'on defcejpdit 
la PrinceuV; & falfant approcher 1c yil-, 
lain: Maitre, lui dit-jl , vojcicelle qu'it 
Jaut guenr^Le pauyrc diable Ve jettt a 



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O U C O N T E S. 37J 

gcnoux en criant merci & jura par tous 
les Saints du.Paradis qu'il ne favait pas 
un mot , pas un feul mot de phifique* 
Pour toute reponfe , le Monarque fit .un 
figne ; & a l'inftant deux grands Sergens 
qui ^taient la tout-prets , arm& de batons , 
fircnt pleuvoir fur fes epaules une grele 
de coups. Grace , grace , s'&ria-t-il j je la. 
gue'rirai , Sire , je la guerirai (£). 

La Pucelle &ait devant lui pale & 
mourante 5 & , la bouchc ouverte , elle 
lui montrait du doigt le fiege ScAsl caufe 
du mal. II fongeait en lui-meme com- 
ment il pourrait s'y prendre pour operer 
cette cure $ car il voyait bien qu'il n'y 
avait plus a reculer & qu'il fallait en 
yenir a bout ou perir fous le baton. « Le 
» mal n'eft que dans le gofier , fe difaic- 
>? il : fi je pouvais reu/fir a la faire rire , 
» peut-etre l'arete fortirait-elk. » Cette 
ide'e lui parut avoir quelquevraifemblance; 
H demanda done au Monarque qu'on 
ajlumat un grancj feu dans 1^ fallc 8c 
qu'on Je laifsatiin; infiant , feul f , avec la 
Princeile- 

Tout le monde reuri , il la fait affeoir , 



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374 Tabiiaux 
fe deshabille , s'etend le long du feu , SC 
de fes ongles noirs & cro'chus commence 
a fe grattcr & a s'etriller la peau avee des 
contortions & des grimaces fi plaifantes 
que la Pucclle , malgrc' fa douleur , n'y 
peut tenir. Elle part tout-a-coup d'un eclat 
de rire ; & de TeiFort qu'elle fait , Tarete 
lui vole hors de la bouche. It la rama/Te , 
coun a la pone : Sire , la voici , la void. 
Vous me rendez la vie , s'£cria le Mo- 
narque tranfporte"; & il promit de lui 
dbnner en r^compenfe des habits & des 
robbes (c). Le Villain le remercia. Il ne 
demandait que la permiflion de s*en re- 
tourner, & pr&endit avoir beaucoup a 
faire .dans fon manage. En vain le Roi 
lui propofa de devenir fon ami & fon 
•Son Me- iiiaitre * 5 il rlpondit toujours qu'il £tait 
dedn. prefix , qu*il n'y avait point de pain chex 
lui quand il e*tait parti & qu'il lui fallait 
abfolument porter # du b\6 au moulin. 

Mais lorfqu'a un nouveau fignal du 
Prince les deux Sergens recommencerent k 
jouerdu baton, lorfqu'il fentit les coups, 
il cria miftricorde & promit de refter 
non-fcujement un jour , mais toute fa vie M 



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O V C O, K T B 5, 37/ 

fi Ton voulait. On le conduifit alors dans 
tine chambre voiitne , oii , apres lui avoir 
6te* fes haillons, apres Pavoir tondu & 
rafe* , on le revetit d'une belle rbbbe 
d'lcarlate. 11 ne s'occupait pendant tout 
ce terns que des moyens-de s\khapper,8c 
comptait que , ne pouvant toujours ctre 
gard£ a vue , il en trouverait bientot 
l'occafion. 

Cependant la gu£ri(bn qu'il venait d*o- 
p&er avait fait du bruit. A cette nou- 
velle plus de quatre-vingt maladcs de la 
vilk , dans Te(pe*rance du meme fucces 
pour eux &aiene venus an chateau le 
confulter, & ils avaient pri^ le Monarque 
de lui dire un mot en leur faveur. Ld 
Roi le fit appeller : " Maitre , lui dit-il , 
» je vous rccommande ces gens-la 5 gue*- 
» rifTez-les tdut de fuite , & que je !cs 
» renvoie chefc eux. Sire , repondit 1c 
» Villain , a moins que Dieu ne s'eti 
» charge avec moi , cela ne nVeft pas 
» poflible 5 il y en a trop ». Qu'on fade 
vcnir les deux Sergens , reprit le Prince. 
A Papproche des exeaiteursle malheureux % 
trcmblant dc tous fes membres , demand* 



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yjG Fabliaux 
<Ie nouveau pardon , & promit de gnerir 
tout le monde, jufqu a la dernicrc fervanrc. 
II pria done le Roi de vouloir bicii 
encore une fois fortir de la falle , am& 
que tous ceux qui fe portaient bien. Reft£ 
avec les feuls malades , il les arrangea tow 
autour de la chemme*e , dans laquellc il 
fit faire un feu d'enfer, & leur parla 
ainfi. « Mes amis , ce n'eft pas tine petite 
» befbgne que de rendre la Xante a taut 
>? de monde, & fur-tout auffi promptc- 
*> ment que vous le defirez. Je n'y lais 
w qu'un moyen 5 e'eft de choifir le plus 
» malade d'entre vous , de le.jetter dans 
» le feu , & quand il fera confume , de 
» prendre fes cendres pour les faire avaler 
» aux autres. Le remede eft violent , j'ca 
» conviens j mais il eft sur , & je re- 
» ponds apres cela de votre guerifon fur 
».ma tete ». A ces mots ils fe regardercnt 
les uns les autres , comme pour examiner 
leur etat f refpe&if. Mais, dans toute la 
t>an4e il n,'y ( avait perfonne * e'tique on. 
enfld , qui j pour la Normandie entierc , 
cut youfu convenir alors que fa maladic 
4ttai grave. ^ . 



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o v Copies, 377 

Le gu&iffcur s'adreflant au- premier du 
cercle -> <* Tu me parais pale & faible , 
» lui dit-il $ je crois que e'eft toi qui es 
» le plus mal. Moi , Sire 1 point du tout , 
» repondit l'autre $ je me fens beaueoup 
*> foulage dans ce moment & ne me fuis 
» jamais & bien porte\ — Comment , 
» coquin , tu te portes bien 1 Eh 1 que 
» fais-tu done ici » 1 Et mon homme 
aufli-tot d'ouvrir la porte & de fe fauver. 
Le Roi etait en dehors, attendant levene- 
ment , & pret a faire batonner le Villain , 
s'U fallait encore en venir la. 11 voit ibrtir 
un malade 5 es-tu gu&i , lui dit-il 1 — • 
Oui , Sire. L'inftanjt d'apres , un fecond . 
parait > — & toi 1 — je le fuis aufli, Enfin , 
que vous dirai-je } il n'y eut perfonne , 
jeune ou vieux , femme ou pucelle , qui 
vouliit confentir a feire des cendres 5 & 
tons fortirent , fe pr&endant gu&js. 

Le Prince , enchante , rentra dans la 
falle pour fSliciter le Me*decin. Il ne pou- 
vait aflez admirer comment en aufli peu 
de terns il avait pu op&er tant de miracles. 
Sire , repondit le Villain , je pofTede un 
charme d'une vertu fans pareille , & e'eft 



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378 Fabliaux 

avcc ccla que jc guens. Lc Monarquc k 
combla de preTens; il lui donna de Par- 
gent & des chevaux , l'aflura de fon 
Amine* , & lui permit de retourner aupres 
de fa femme 5 a condition cependant que 
quand on aurait befoin de fon fecours , 
il viendrait fans fe faire batonner. Le 
Manant pric ainfi conge du Roi. Il n'eut 
plus befoin de labourer , ne battit plus 
fa femme , l'aima , & en fut aime* > mais 
par le tour qu'elle lui joua , elle le rendit 
Medecin fans le {avoir. 



Je crois inutile de privenir que c*eft ce Contt 
qui afourni a Moliere le Medecin malgrc lui. 
Mt Bret dans la nouvelU Edition quit a don- 
ntc de ce pcre de la bonne Come die , en a 
fait la re mar que , en ajoutant que cette ven- 
ture fc trouve aujji copiee dans une relation 
du famcux Grotius & dans OUarius. On a 
pretendu que c'itait che\ le premier que Mo~ 
liere Vavait prife, Ce ne peut fore au moint 
que dans un Auteur moderne, Rien ne nous 
apprend quit ait connu nos Poites ; & je U 
regrette bitn. Que de perles il eut tirt'es <k 
ce fumier ! 



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O U C O N T E S* J7j> 

Se trouve auffi dans I'Enfanc fans Souci A 
pag. 288, 

Dans Us Screes de Boucher, pag. 322 , 
10« Seree. 



Za feconde partie du Fabliau a ete coptie 
comme la premiere. 

On lit dans le Poggiana , que le Cardinal 
de Bar , Napolitain , ayant a Verccil un H6- 
pital dont il tir.iic fore peu de profit , parce 
quit y av ait beaucoup de malades, fan In- 
iendant , pour fe debarrajjer de ces impor- 
tuns qui confumaient le revenu de fon maitre , 
s'avifa de fe de'guifer en Midecin , & leur d£- 
clara qu'on ne pouvait les guirir quavec un 
cnguent de graiffe humaine. Mais des qifil eut 
propofe de tirer au fort a qui ferait mis dani 
la chaudiere, tous vidurent VH6pital. 

Se trouve ainfi dans le Courier Facetieux , 
p. 129. V 

Dans les Hiaoires Phifarjtes & Recreatives , 

Dans li Gibeciere de Mome, p. 45^ 
Dans Ls Screes de Bouchet, j>. $3+, 3** S& 
tie. 



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j8o .F A'B L I A V X 



N O TES. 

la, ••• Deux Me/pagers du Rot , monies 

fur des chevaux blancs. lis la falucrent am 
nom du Monarque , & lui demanderent am 
morceau a manger* ) Nos Rois , quand lis 
voyageaient , euflent regarde comme ui« 
chofe indecente de loger dans une horelkric 
publiqiie. S'ils n'avaient point , dans le lieu 
ou ils paflaient , de chateau ou de raerairie , 
ils defcendaient chez quelqu*un de leurs Vaf- 
iaux. Ceft ce qu'on nomma fous la premiere 
Race Droit de Man/ion * & fous la troiCenie 
Droit de Gite, Lts couvens & les Eveqnei 
<jui pofledaient des biens Regaliens s*y tron- 
vaient aflujetis. Ce privilege , le Prince le 
communiquait £ fes Meflagers ou delegues) 
& ceux-ci pouvaient , en route , exiger ca 
logement, comme il l'eut exige lut-memc 
Ceft fans doute en vertu de quelque droit 
femblable que les deux Couriers du Fabliau 
defcendent chez la femme du Laboureur. i*i 
chevaux blancs qu*ils montaient annongaicat 
a(Tez , comme je l'ai dit dans une note da 
Xai dt Lanval , qu'ils appanenaient au Roi. 
(b , Grace , grace , s'tcria-t-il , je la gae- 
rirau) II y a, de mime dans le Bel^gQr dc 



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o U C O N T E S. }Sl 

Machiave! & de la Fontaine , un Payfan que 
le Roi fait venus, pout fa fille tourmentt'e par 
tin mauvais Efprit. On le menace du gibec 
s'ilnedelivre la Princeffe ;&, comme le Vil- 
lain du fabliau , il n echappe au danger que 
par une rufe. 

[ c , Promit de lui donner en recompevfe 
des hdbits & des robbes. ) Une galanteiie d'u- 
fage ches les Rois & les Princes etait de faitc 
dans certains' ferns de l'annee , a Paques &: * 
Noel fur-tout , des ptefens de robbes , de 
manteauX & d'habits aux perfonnes attachees 
a leur fervice & aux Seigneurs qui compo- 
faient leur Cour. Les habillemens qu'on livrait 
a ces cpoques s'appellaient Livries ; nom qui 
s'eft conferve pour ceux que les Gens de qua- 
lite font porter a leurs valets. On fait que ce 
fut dans une de ces diftributions f que, par 
une fupercherie pieufe, S. Louis engagea plu- 
fieurs Seigneurs a fe Crolfer avec lui. Les Ir- 
vries leur furent fournies dans l'obfcurite. 
Lorfque le jour paruc , tous fe* crouverent 
avoir fur l'epaule une Croix coufue ; Sc ils fe 
crurent lies comme s'ils Tavaient prife de leur 
propre choix. fcdouard III , Roi d'Angleterre , 
ayant i fa Cour , vers les fStes de Noel , 
quelques Gentils-hommes Francois, faits pri- 
fonniers dans une eiureprife fur Cahis , qui 



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382 Fabliaux 

nc leur avait point reuffi , il voulut par cour- 
coifie & par eftime pour leur valeur les hire 
comprendre dans la distribution des Livrees 
qu'il devait fairc pour la fttc. 

Quelquefois la feulc acceptation de ce pre- 

fent etaic un engagement contra && de fervir 

pendant une annce le Souverain qui 1'onrait. 

Ainu* quand le Roi , dans le Fabliau , p r $- 

met des habits au Medecin , il lui annoncc 

qu'il le regarde des ce moment corame etanc i 

ion fcrvice 5 ou qu'il veut qu'ils y engage. Ceft 

ce qu'on appellait itre aux drops d'un Prince. 

Hy avoit un Chevalier qui efioitdoupaXs dePulle 

(Pouille ) & efioit aux dnps Robert de Flan- 

' Froiff, **'* * Quand lcs ch evaliers ecaient aux drapt 

zvoLch. d ' un R°>» on les nommait Chevaliers le Roy 

J7. ou Chevaliers deVOflel du Roi. 

II ne faut pas confondrc les fburnitures dc 
Livr6es qui fe faidient toujours a des terns 
fixes , avec les prcfens accidentels d'habits, 
fairs aux Fabliers dc aux Menemers. Cetaient 
fes propres habits que le Seigneur donnait en 
recompense a ceux-ci , & ordinairement celui 
qu'il portait le jour meine. 



© 



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O V C O N T E S. 3$$ 

LA BATAILLE 
DE CHARNAGE ET DE CAREME. 



M, 



essieurs, je nc puis plus vou* 
c&er davantage unc avahture qu'on a fuc 
dans le terns par toute la tcrre, & done 
la relation , perdue pendant bien des an- 
nees , vient enfin d'etre retrouvee par mes 
{bins. Jamais Rois , Comtes ni Dues n'en 
ont entendu de plus belle. Au refte jc 
n'ai pas befoin^Tinfifter fur la foiqu'elle 
merite 5 je penle etre connu de vous , 
& vous favez que je ne mentirais pas, 
quand on me donnerait cent marcs d'ar- 
gent. 

Le Roi Louis avait annonc^ Cour-Ple- 
niere a Paris pour les Fetes de la Pen- 
tccote ; & une multitude infinie de per* 
fonnes s'y &aient rendues , foit dans 1c 
deuein de participer aux plaifirs, (bit pour 
y contribuer. Du nombre de ces dernierg 



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3S4 F A fc L I A V X 

furent deux Princes puiflans qui arriverent 
chacun avec un cortege nombreux. L'un 
&ait Charnage a riche en amis, honore 
des Rois & des Dues , aime par toute la 
terre 5 & l'autre , Careme le felon , Ten- 
riemi des Pauvres , le Roi des grofles 
Abbayes & des Moines , & le Prince fou- 
verain des ^tangs , des fleuves & de toutes 
ks mers. 

Quoiqiie celui-ci foit peu aime* , quoiqae 
peu de gens reflemblcnt a ceux du Beau- 
vaifis & d'Olonne qui pour un poiflbn 
donneraient un becuf , neanmoins , comme 
il vint efcortd d'une grofle fuite de Sal- 
mons & de Raies , on k recut fort bien. 
Mais cet accueil fut Porigine d'une que- 
relle fameufe , ainfi que vous l'allez voir. 
Car Charnage , choqui de la preference 
injufte qu'on donnait a fon rival , ne put 
commander a fa colere,.& il s'emporta 
oontre iui en menaces & en outrages. Ca- 
r&ne a qui furent rapportfo ces difcours 
injurieux, & naturellement fier & hau- 
tain , iclata a fon tour. Il s'avanca vers 
fon ennemi pour le. defier , lui de'clara 
la guerre : guerre terrible 8c fanglante 

qui 



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ou Contbs. 3?f 

qui ne devait finir que par la mine de 
Tun des deux rivaux. 

Tous deux aufli-ffit fe rendirent dans 
leurs Etats, afia de hater par eux-memes 
les preparatife dt cette'grande journee , 
& convoquer leurs Vatiaux ( a ). Careme 
ckpecha aux fiens un Hareng qui , avec la 
rapiditi d'unc fleche , parcourant les mers* 
alia conter par-tout i'infuite faite au Roi 
kur Suzeiain. r Tbu$ , jufqu'a la lourde 
Balcine , promirent, d*accourir pour ven- 
ger Con honneur. offenft. Pas un feul 
ne s'en dilpenfa. Qui eut vu l'ardeur 
generate n'eut pu s'empecher d'etre 
^ronne* , les mers ce jour-la fe trouverent 
deTertes. 

Un Em&illon , dans l'autre parti , fut. 
charge* de meme d'alier notifier aux Feu- 
dataires de Charaage la declaration de 
guerre. Les Grues & k% Herons vinrent 
aufli-tot preTenter leurs ferviccs. Le Cigne 
& le Canard ofFrirent de veiller a l'em* 
bouchure des rivieres, & promirent de 
ies garder fi bien qu'aucun de leurs en« 
nemis ne pourrait pafler. Agneaux, Pores , 
Lie v res , Lapins , Pluviers , Ouurdes & 
Tome II. Y 



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}86 Fabliaux 

Chapons , Poules & Butors , ks Oies 

graffes enfin , le Pan ficr de fon plumage 

cancelant , tous , julqu'a la douce Co- 

Jombe, fe rendirent fous Wtendard de 

lcur Souverain. Cette troupe bruyante & 

timide-, fiere de fon nombre, c6Ubnit 

d'avance fa vi&oire 5 & par-tout fur fon 

paflage , die faifait retentir' lcs airs dc 

fes cris difcordans. 

Caremc, arme* de pied en cap , s'avanca 

* Poiffon monte* fur un Mulet , * & portant un 

ftaudou- f roma gc en guife d*£cu. Sa cuirane £tait 

I'on wn- une Raic » ^ cs ^P crons unc ar & c y & f° n 

nait. epec une Sole tranchante. Les traits & 

les munitions de guerre confiftaient en 

pois , marons , beurre , fromage, lait ( b ) 

Si fruits fees. 

.- Charnage avait fon heaume fait d'un 
pate* jde Sanglier , furmonte* d'un Pan ( c ). 
Un bee d'oifeau lui fervait d'eperons , & 
il montait un Cerf dont le bois ramu 
^tait charge de Mauviettes. 

Des que les deux Gen^raux s'apperc/urent, 
ils fondirent Tun fur l'autre , & fc bae- 
tlrent avec fureur ; mais les troupes de 
chaque parti s'&ant avancces pour les fc- 



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OU CONTES. 387 

Courir , ils furent bientot fepare's, & l'af- 
feire devint gen&ale. 

Le premier corps qui eut quelques fuc- 
ces fut celui des Chapons. II tomba fur 
les Merlans qu'on lui avait oppo(cs, & 
les culbuta fi vivement que , fans les Raies 
armees d'aiguillons , lefqueiles , foutcnues 
<les Maquereaux & des Flcts , vinrent r£- 
tablir le combat , le d^fbrdre peut-etre 
fiic devenu plus corilide'rable. Les Archers 
de Careme alors. commencerent a faire 
pleuvoir fur leurs ennemis une grclede 
figues feches , de pommes & de noix 5 
& les Barbues aufli-tot , les Brcmes do- 
ries , les Congres aux dents aigues s'e- 
lancerent dans leurs rangs e'tonn^s 5 tan- 
dis que les Anguilles fr^tiilantes , s'en- 
tortillant dans leurs jambes, les renver- 
faient fans peine. On rcmarqua fur-tout 
un jcune Saumon , & un Bar courageux , 
qui firent des prodiges inouis de valeur. 
Non , une femaine entiere nc me fuifi- 
rait pas pour vous raconter tou'tes les 
prouefles que vit cette brillante journ^e. 

D6)k 1'armle aquatique gagnait du ter- 
xein, Qc la victoire allait fe declarer pour 

Y % 



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3S8 Fabliaux 

ellc ; ' mais tout-a-coup les canards paf 
leurs cris appellant du fecours, deux He^ 
rons & quatre femerillons s'dlevent dans 
les air» & fbndent , comme la fbudre , 
fur les vainqueuis. Le Butor & la. Grue 
viennent les feconder Crf ). Tout ce qulls 
attaquent eft devore* , & le carnage de- 
cent terrible. Le Bocuf pefant qui , juf 
qu'alors avait vu , fans s'^mouvoir , le 
danger de . fon parti , s^branle enfin. Ii 
s'avance tourdement, abat & renverfe des 
files entieres, £crafe tout ce qui ofc lui 
r&iftcr, & feul jette i'epouvante & 1c 
deTordre dans toute I'arme'e. 

C'en &ait fait a jamais dc Careme , s'il 
fe fut opiniatr£ a cerabattre plus long- 
tems. II cdda prudemment au danger, & 
fit promptement Conner la retraite , dans 
1'cfpdrance qu'il pour rait , pendant les t& 
nebres , rallkr & ranimer fes troupes , 
pour recommencer le lendemain la bacaillc. 
La nuit fut employee de part & d'autre 
a faire de nouvelles difpofitions ; mais 
tin eVe*nement imprevu vint decider pour 
jamais du fort des deux Mouarques. 

Au point du jour , Noel ( e ) , fiiivi 



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OU CONTES. . 389 

#un renfbrt confiderable , arriva au camp 
<!e Charnage ; & la joie qu'excita fa pr£- 
fence y eclata par des railliers de cris 
d'allegrefle. Ces traofports bruyans^ qui 
retentirent jufqu'au camp ennemi , y jet- 
tcrent Tallarme. On voulut favoir ce qui 
les occafionnait , & Pon d^tacha quelques. 
clpions pour s'en £claircir. Mais quand 
ceux-ci , de retour , eurent fait leur rap^ 
port , a l'inquietude fuccj£derent l'abatte- 
ment & la confirmation. En vain Ca- 
reme , par fes difcours , efTaya de r£- 
cbauffer les courage*; la terreur- ies avaie 
glaces. Chacun jectak fes armes , & de 
toutes parts Ton n'entendait que des voix 
l&litieufes crier la paix , la paix. 

Force* done de traiter malgr^ lui, 8c 
fur le pojnt de fe voir trahi par fes propres 
foldats , le trifle Monarque envoya , pour 
n^gocier , un Depute au Vainqueur. Char- 
nage qu'avaienr enorgueilli la vi&oire 
de la veille & fes nouvelies efperances , 
^xigea d'abord que fon ennemi fortfc 
pour jamais de la Chretiente\ Cependant , 
fur les reprefentations de fes Barons , ii 
cAtr* en aceommodement , & conjointe- 

Y3 



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$90 Fabliaux 

mcnt avcc cux (/) conclut un traiti par 
lequcl il confentit que Careme parut pen- 
dant quarante jours dans Tannee , & deux 
jours en outre environ dans chaque fe- 
.maine > mais ce ne fut qu'aux conditions 
que les Chretiens , en d£dommagement , 
pourraient, non-feulement pendant ces jours 
de penitence , mais encore pendant tous 
les autres de l'ann^e indiftin&ement , join- 
drc au poiflbn , ' dans ieur repas , le laic 
& le fromage. £t ce fut ainn* que le Roi 
Charnage rendit le Roi Careme Con yaiTaL 



NOTES. 

(a, Tous deux ft rendirent dans lews Etsa i 
efin de hater par eux-mimes les preparadfs de 
tettegrande journie , 6» convolver lews Vajfaux). 
Telle fur pendant bien des ficcles ,.cn France , la 
% Dan., maniere de lever des armies & de faire la guerre \ 
# 'at/ IV n'y avait point de Troupes regimes 5 mais la 
#r« * plt>P art des terres, foitlaffques, fore ecclefiafti- 
ques 6u moniales , 6taient affiijetcies & une re- 
devance de fervice militaire, pendant un cer- 
tain nombre de jours & avec un certain nom- 
kte d'homrnes. Ainfi quand le Prince avait line 



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ou Contis, 391. 

guerre a foutenir , il publiaic un Ban pour foro- 
mer tous fes Feudacaices dc vcnir a* Ton fecours. 
Ceux-ci , en confluence , convoquant 4 leur 
tour leurs Vaflaux, les faifaient conduire , au 
lieu dcfigne , par dcs Baillis , dcs Ayoucs 4 dcs 
Vidames 5 ou u* la nature du fief les obligeaic 
de les conduire eux-memes , ils marchaicnt 
avec eux en pCrfonne : e'eft-a* dire , que les 
Bannerets amenaient les Chevaliers , Ecuyers , 
Gens-d'armes & Sergens qui devaient former 
la Cavalerie 5 & lc$ Comtes ou Vicomtes , les 
Milices des villes & des bourgs , dont l'lnfan- 
rerie etaic en grande partie compose. 

Le tems du fcrvice variait felon Ja terre. Le 
terme le plus long etaic de quatante jours. S. 
Louis exigeadeux mois,& Phjlippc-Jc-Bcl qua- 
tre. On ne pouvait s'en difpenfer ( au moins 
quand on n'ecait pas a(Tez fort pour pouvoir 
refufer impunenient , ) fans encourir une forte 
amende ; a* laquelle Philippe-Augufte fubftitua 
en 1 11 3 la con fife ado n du fief. Mais auili , ce 
terme expire , le Monarque ne pouvait plus 
rien demander £ fon Feudataire , & celui-ci etait 
libre alors de fe rearer cbez lui & d'esnmener fa 
Troupe, 

Avec cette armec de quelques jours , avec 
cctic dependancc dc lcurs proprcs Yafl* u * V* 



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tyi Fabliaux 

fculs avaient droit d*en lever & d*en comman- 
der Us difftrens Corps , que pouvaient nos 
Rois^ Un evenemenc arrive'fous Louis- le-Gros 
donna lieu £ ce Prince-, ou plutot i Ton habile 
Miniftre Suger, de d€truire une parcie de cet 
efdavage, en otant £ la Noble fle la levee des 
Miliccs , & la tranfportant eh des mains dont 
it fuc plus aife d'etre le maitre. Quelques yiI- 
les , opprimccs par fa tyrannic infupportable de 
leurs Seigneurs , s'adreflerent au Monarquc , 
comme & leur Suzerain , pour reclamer Ton 
affiftance. II les affranchit , y forma des Com-. 
munautes ou Communes gouvernces par un* 
Corps municipal , auquel il donna , entr'aurrcs 
droits , celui de hver & de conduire Its Mi-« 
lices. 

Dans cette administration , plus de Comter* 
de Vicomtes, &c; & ce point etait fi impor* 
tant, que Louis VII regardait comme a lui tou-* 
tes Ics villes ou il f avait Commune. En terns 
de guerre les Bourgeois , divitfs par paroiflcs 
dont chacune portait , pour fe rajlier, une ban* 
nicre reprefentant fon Saint , ( ain(i qu'on le 
voit aujourcPhui dans nos proceflions ou cette 
c6remonie ne (ignifie plus ricn ) , fe rendaient 
amfi au camp , le Cure" k la tfite. Mais, comme 
il fallait Us manager-, on n*exigeait d'eux quq 



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O TJ C O N T 1 s. 39} 

le terns de fcrvicc ordinaire ; & ce n'etait pas 
c^ec de pareils fee ours que le Monarque pou- 
Vaic accroitre Ton autorite & aggrandir fes Etats. 

Vers la fin dc ce raSmc fiecle , il s'etait form^ , 
«n divers endroits de PEurope , des corps d\A- 
venturiers , compotes de Tecume de touces les 
Nations , & qui adopcant la guerre comme un 
metier fe vendaient au plus ofrjranc. Philippe- 
Augufte trouva dans certaines fommes qu'il 
leva fur Ton peuple & dans quelques epargnes 
qu'il avaic eu la prudence de faire , le moyen 
de prendre de ces Bandes a fa folic ; 8c ce fut 
particujierement avec ces foudoyes oufoldats, 
dont il ne craignait plus de fe voir abandonn6 
au bouc de quarance jours parcc qu'il les payait, 
qu'il executa cant de chofes contre les Anglais 
&; qu'il devint le premier Roi conquerant dc la 
tioifieme Race. 

Philippe- le Bel prit 4 fon fervice des Troupes 
fctrangercs done il crana avec les Souverains 
leyrs maitres^ 

To us ces cfcangemens , au refte , n'interef- 
faicnt gueres que l'lnfanterie ou la Cavalerie 
l£gere. La panic effentielle des armecs , cclle 
qui par l'avancage de Ces armes decidait ordi.- 
nairement du fort des batailles , lps Gens-d'ar- 
mes dc les Chevaliers furcne coujours natio* 



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394 Fabliaux 

naux & continuerent d'etre fournis & com? 
mandes par les Bannerets. Mais fous Cbarlei 
VII enfin, ces Bannerets epuifes par les guerres 
fanglantes que la France avaiteuesi foutenir 
contre V Angleterre , ayanc reprefente que de 
pluficurs annees ils ne pourraient^ £cre en ctat 
de foutnir leur contingent , Chatles , bicn con* 
feille , les en difpenfa pour tou jours & crea, 
pour les rem placer, des Compagnies qu'il ap- 
pella d'Ordonnance ; Troupes regulieres qui fu- 
tent exercees aux armes , qui eurent une foldc 
& durent fcrvir fans interruption. II cue mime 
radreflTe de faire confentir le peuple a fc char- 
ger de cette paie ; & a cette occafion fut ren- 
due hahituclle la Taiile qui jufqu'alors n'avaic 
etc qu'accidentclle. 

Ce coup de politique , peu important en ap- 
parence , eft cependant l'un des evenemens de 
]a Monarchic qui ait eu les fuitcs les plus in- • 
tcrcflantcs , & celui qu'on doit regard er com- 
nie la vraic epoque de Tautorite Royale. Des 
que les Souverains eurent les Troupes, ilsfu- 
rent tout-puilTans ;& la Noblcflc, a qui on 
defendit d'en lever parce qu'elle n'avait plus 
la charge d'en fournir, cefla d'etre quelque 
chofe, ou ne devint redoutable que quand 
cllc pofleda de graudes places. 



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O U C O N T E S. 39f 

L'Jnftitution des Compagnies d'Qrdonnance 
produific encore un autre effct ; ce fut de faire 
cefler les foncYions d'Ecuyer , les diftin&ions dc 
Bachelier .& de Banneret , & toute cette consti- 
tution & legislation de l'antiqua Chevaleric. 
Le nom de Chevalier fubfifta cependant touw 
jours avec honneur;& j'ai deji remarque que 
Francois Ier voulut recevoir Paccolade des 
mains de Bai'ard : mais ce ne fut plus qu'un 
litre honorable ; la chofc avait r6ellemenc 
change. 

Nos Rois , au milieu de toutes ces revolu- 
tions fi avantageufes pour eux , n'en confer- 
verent pas moins le droit de convoquer la 
NoblelTe, dans les befoins de l'Etat, par la 
publication tiu Ban & de l*Arriere»Ban. Ce 
remcde , toujours alarmant , a etc depuis mis 
en ufage pluficurs fois 5 mais le peu d'utilite 
qu'on lui a reconnu , Fincommodite rcdle 
qu'apportait cette Milice altiere , indocile dc 
pleine de pretention^ , fit qu'enfln J*on s\m de- 
gouta. Depuis 1674 elle n'a point ete em- 
ployee , fi ce n*eft pendant la derniere guerre 
en i75 5,qu'une efcadre Anglaife s'etaut em- 
paree de Tile d'Aix-4 Tcmbouchure dc la Cha- 
rente & mena^ant les cotes yoifines , la No- 
blcflc d'Aunis & des Provinces limitrophes fuc 



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3<>6 Fabliaux 

convoquee 6c marcha au fecours. Encore 
cecce convocation , fake fans les for ma- 
lices , ordinaircs en pareil cas , doit-elle 
e^trc plutot cenice une invitation qu'un Baa 
veritable. 

( b , Les traits to munitions de guerre conff* 
talent en pois , marrons , Uit , beurre , fromage j. 
Le lait& Ie beurre on etc long-terns un ali- 
ment prohibe en carcme , parce qu'on les re- 
gardait comme fubftances grades & animates. 
Un Pape les permit a Charles V , & un autre 
£ Charles VIII , mais pour raifon de fame ; 
& encore leur fut-il impofe de faire , en com* 
penfation , quelqucs prieres ou ccuvres pies. 
Les alimens , en maigre , s'accommodaient avee 
de l'huilej Si la recolte de cette denree £tait 
mauvaife , on nc favait plus comment faire. 
Pour la defaute fhuille^ , on mangeoit in 
beurre en icelui quarefme , comme en char* 
naigt , dit le Journal de Paris fous Charles 
VI fie Charles VII , Mangeoient char tn kd- 
refme , fromalge , lait 6* ceufs comme en «n 
mare terns , ajoute ailleurs le meme ouvrage. 
Ce n'eft que long-tems apres nos Poe'tes qu'il 
rut permis k tout le monde d'ufer , les jours 
maigres , de beurre & de lait. Cependant le 
Fablier donncrair ici lieu de *croirc qUe de 

fon 



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OU.COM T E S. J97 

Ton terns ccs deux alimcns etaient en ufage pen- 
dant le carcme* 

( c, Vharnagt avait fon heaume fait d'un 
pite de finglier > Jkrmonti d y un pan ). Ccs or- 
ncmens ajoutes. a la cimc du heaume s*ap- 
fellaient cimiers , & paflerent dans le Blafon ,- 
ou ils fubfiftent encore. Les differences nations 
qui avaient des Tournois s'ecaient piquSes & 
1'envi de rendre ces jeux guerricrs , galans & 
magnifiques. Les Francois , lcurs inventeurs , 
y introduifirent les devifes , la forte d'habil* 
Jement qu'on appella Cotte-iTarmcs , & lea 
Armoiries qui » ainfi que les devifes , confer* 
vees dans chaque Maifon comme marque 
d'honneur* & adopties par PEurope, y font 
dc venues le figne diftin&if des families no- 
bles. Les Maures <f£fpagne , auxqUels leur re* 
ligion deYcndait toute figure le par confequenc 
les Armoiries, inventerent les infenptions ea 
devifes , les livr£es , Its applications mifterieu-. 
fes des couleurs a 1 'amour , & 1'cfpcrance , i 
la triftefle , & aux autres pafllons de fame; 
enfin les chinres & enlaflemens de I e teres qui, 
extant arabes & inconnucs aux Chretiens, paf- 
lerent chez eux par des enroulemens de 
famaifie qu'ils nommerent Morefques ou % Minitr* 
Arabefques\ On doit, aux Goths & aux AU ^roiWdfl 
Tome II. • 2 Carr ' 



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398 Fabliaux 

lemands ces muflei de lion , ces tetes armeet 
de cornci, jadis ,en ufage chez les Gaulois, 
& ces difffcrens cimiers qu'on pla$a fur le 
heaume pour infpirer plus dc terreur , & dent 
on futchargea affcz inutilement cctte arme, 
dejl fort lourde par ellc-meme. Dans la ge- 
nealogie de la Maifon de Montmorenci par 
Puchefne , on voir qu'un Seigneur de ce nom 
portair (bus Philippe - le - Bel un pan pour 
cimicr. 

( d , Le Butor & la Grut viennent les Se- 
conder ). Jc n'infifte pas fur quclques ufages 
anciens , peu importans , que conflate le Fa- 
bliau , tels que ceux de fervyc gras & niaigre 
dans les grands repas , fcc 5 mais on obfer- 
vera que parmi les Troupes de Charnage, 
c*eft-a-dire , parmi les oifeaux qu'on man- 
gcair alors , /e trouvent le Butor , la Grue', 
l'Emerillon, le Cigne , le Heron & le Pan. 
U y a beaucoup de preuves qu'on fervait ces 
oifeaux aux meilleures tables , 6c qu'on les rc- 
gardait niSrae comme cxcellens. L'eftomac vi- 
goureux de ces hommes chaffeurs & guerriers 
6c accoummes a des exercices violcns , ne de- 
vair rebuter aucune nourrkure. Le Pin fur- 
tout , que les Romans quaMent toujours du 
utre de noble oifew & qu'ils appellcnc la 



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\ 

O U C O H T £ S. 5519 

plande des preusi ou la noitrriture det amans , 
ctaic dans la plus grande eftime & faifait 
rorneincnr ordinaire des rcpas d'appareil. Un 
de nos Pofc'tes parlant des fripponS , die qu'ils 
*iimcn« autant le merifonge qu'un affame la 
cbafr de part. • 

Plarine, qui ccrfvait fur la fin du XV f 
Cede, met encore dans fon Traire des Ali- 
niens, parmi les oifeaux done on fe nour- 
*ric, le Pan, la Grue*, la Cigogne , le Cigne 
& 1c Heron. Taillevant, premier Cuiiinier 
du Roi Charles V, Auteur done il nous 
i-cfte un Traite de Cuifine , enfeigne de 
m^me a accommoder le Heron , le Butor & 
le Cormoran. 

Je prie de remarquer aufli que dans la 

Tifte des "Troupes dc Carc*me fe trouve la Ba- 

• leine ; ce qui fuppbferait que la pfcche de <e 

poiflbn ctaic connue , puifqu'on le mang^ait. 

Xes Pontes Proven^u* parlenc en plufieurs 

.endroks de cette peche. 

( e, Noel , fuivi fun renfort confiderable , 

crriva au camp dc Charnagey On s'atcendraic 

a voir le Poe'cc faire arriver ici Mardi-gfas 

*vec Noe'l. Apparcmment qu'alors Tun etaic 

. <mOrns folcmncl que 1'aucre, 

(J. , Sur It* reprijtnfwous de fes Barons H 

I * 

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400 Fabliaux 

tntra en accommodement , & conjointemtnt 
avec eux coficlutwi traite* ). Tout ccci repre- 
fence des ufages du terns ; & ces ufages , apres 
ce qu'on vicnt de lire plus haut, ne doiyeut 
pas etonner. Dependant , comme on l'a Vu , 
de fes principaux Vaflaux, le Prince leur de- 
vait des deferences , des attentions & meme 
des prevenances. La vadalite qui , au pre* 
mier coup-d'oeil , ne parait £tre qu'un fiftenie 
raifonne de Subordination, n'etait pourtant, 
a proprement parler , qu'un pa&e de convc* 
nance & un traite entre le Vaflal & Con 
Suzerain , dans lequel les conditions fe trou- 
vaient meme alTez egales. Car fi Tun petdait 
Ton fief quan'd il ne venait pas au fecours de 
fon Seigneur, l'autre perdait fa fuzerainete 
quand il negligeait de proteger 6c de dc- 
fcndre fon Vaflal. Celui-ci ne pouvait, il 
eft vrai , ni fe marier , ni marier fes eM 
fans fans l'aveu de fon Suzerain ; ainfi en 
vertu de ce droit , Saint Louis ne vouluc 
pas permettre le mariage du Comte de Cham- 
pagne avec la PrincefTe de Bretagne 5 ni celiii 
de la ComteflTe de Boulogne & de la Com- 
refle de Flandres avec Montibrt , Comte de 
Leiceftre ; ni celui de Jeanne , fille du Comte 
de Ponthieu, avec ie Roi d'Aflgleteixe. Les 



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O U CONTES, 401 
Hiftoriens remafqucnt memc que , quand Fer- 
dinand , Roi de Caftille , voulut 6poufcr cette 
Jtttf&k , il 6crivit au Monarque Francois pour 
le prier d'agr£er la demande qu'il all ait faire 
de la Princeffe. Allurement void un des droits 
les plus rigoureux qu'on connaiffe 5 & quel- 
que chofe que la politique puiffe alleguer en 
fa faveur , je crains fort qu'il ne nous pa- 
raifle tyrannique. Eh bien I ce meme Sai&t 
Louis qui ne permettait pas £ la fille d'un de 
fes Vaflaux de s'allier a* un Souverain , quand 
il accorda Ifabelle , Tune des fiennes , au Roi 
de Navarre , il confulta aufli fes Barons fur ce 
manage 5 & quelque avantageux qu'il le trou- 
vlt, ne vouluf point le cbnclure qu'il n'euc 
!eur aveu. Le Sire , difait l'ancien axiome du 
droit feodal , ne doit pas moins au Vajfal que 
le Vajfal au Sire, 

II en etait ainfi des droits refpetYifs. Le plus 
petit Seigneur avaic Its fiens , qu'il pouvaic 
exercer en d6pit du Monarque , & contre le 
Monarque lui-meme. Les baeeliers de l^onne 
s'etant adreffts a Saint Louis pour obtenir 
que la riviere £ui d£gag£e de tout ce qui in» 
«rceptait la navigation , ( je choifis , autant 
qu'il m'eft poffible , mes exemples dans le 
regne de ce Monarque > parce que e'eft le terns 

X } 



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4oi' Fabliaux 

ou fut compofee , comme jc l'ai deja xcpctfc 
plufieurs ibis, la plus grande parcie des Fa- 
bliaux ) , le Prince envoya des Comi 
qui s'eccuperenc de ce travail* Arriv 
percuisd'Auxerre , ils y plantcrent des potcanx 
aux armes de France. Gui de Mcllo , Ere- 
% LeBeuf t °4 UC de 1* Ville > ^ cs &* arracher\ Somme de 
Mim.jur comparaicre a* la Cour du Roi pour Ce dif» 
A A t cu *P cr » ^ repondic que , comme Eveouc de 
VelyHi&k v iM c * Mnt Seigneur du pertuis , il arait 
de Fr, cru devoir conferver fes droits* Le Roi con* 
vine qu'il avaic raifon , & Gui retouina dans 
Ton Diocefe. 

En r z6q , le Monarque rendic une Ordoa* 
nance pour deYendre les combats judiciaires 
& y fubftituer la preuve par cemoios. Mais 
ce reglement fi Chretien , fi raifonnable & 
& fage, il ne l'etablit que dans Ces domai- 
ncs j il ne put , die Beaumanoir , I'lntroduce 
a la Cour de fee Barons j & (I quclqucs-nns 
d'erur'eux l'adopterenc , ce rut de leur pleat 
grc. Un Baron i qui le Roi eiit refu£ jaf* 
rice , avait droit de lui declarer la guerre , 
ic memc d'obb'ger ies arriere-vaflaux a s'&sic 
avec lui contre le Prince. S'il avait fair quelqne 
dime , ou s'il vexait d'une maniere crianae 
ie* fiijets, le Monarque nc pouvait pas k 



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CU CONTEI. 4©| 

pubir direftement par lui-mcme ; il fallait 
^u'il It ciut 4 /a Cout , qu'il lc fit jugcf 
par fes Pairs en dignite ; & fi lc coupablo 
7 ccaic condaamc , lc Roi ne coftfifquajc ^e 
Con fic£ N 




24 



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404 Fabliaux 



m 



r?LA BATAILLE DES VINS. 



V ODLiz-vouSjMcffieurs, entendre 
one hiftoire bien jolie > e'eft cellc qui ar- 
riva au gentil Roi Philippe j ecoutez-moi. 
Ce Prince , vous Ie favez , aimait lc 
bon vin. U l'appellait i'amj de lliommc; 
& toutes les fois qu'ii en rencontrait 1'oc- 
cafioov il nc manquait gueres^de renou- 
veller ramit& Neanmoins , commc il nc 
TOulaitpoint prpdiguer la fienne, & commc 
en tout on v doit etre^prddent & &ge, 
il entreprit, un jour, de faire un choix, 
fc^envoya par toute la terre chercher 
ce qtfoffraient de meilleur les vignobies 
les plus rcnomme's. Tous briguerent avec 
empreflement l'honneur de deTalterer lc 
Monarque. Chacun d'eux deputa vers lui; 
& des differens pays du monde ( a ) , on 
vit arriver a fa table les vins les plus 
'exquis(^). 

Il's'y trouvait en ce moment un Pretrc 



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ou Conies, 40 j 

Anglais , fon Chapelain , mais cervelle 
un peu folk , qui l'^tole au cou , fe char- 
gea d'un examcn preliminaire. D'abord 
Ct prefenterent a hri Beauvais , Etampes 
& Chalons ( c ) 5 mais a peine les eut-il 
vus que les excommuniant aufE-tot, H 
les cha/Ta honteuferaent de la fallc , & 
leur deTendit d'entrer jamais oii fe trou- 
yeraient d*honnetes gens. Ce d^but fevere 
fit une telle impreflion fur ceux du Mans 
& de Tours quHs tournerent d'efrroi , 
( il eft vrai qu'on e'tait en itc 9 ) & le 
fauverent fans attendre leur jugement. II 
en fut de meme d'Argence, de Rennes 
& de Chambeli ( d ). Un ieul regard que 
lc 'Chapelain , par hafard , jetta de leur 
Cote' , fuffit pour les deamcerter. lis s'en* 
fiiirent auffi , & firent bien : Slls eulTent 
tarde* plus long-tems , je ne fiis crop cc 
qui leur ferait arrive*. 

La falle un peu debarrau^e par la for- 
tie de cette canaille , il n'y refta que cc 
qui &ait bon ; car le Pretre ne voulait 
pa<? meme foufFrir le mediocre. Clermont 
& Beauvoifins ( e^ parurent done, & ils 
furent re^us d'une maniere diftmguec. En* 



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4v6 Fabliaux 

hardi par cet accueil favorable, Argen- 
tcuil s'avan9a d'un air de confiaacc , & 
fc donna , fans rougir , pour valoir micur 
que- tous fes rivaux > mais Pierre-Fine, 
rabbattant avec les termes qui convenaicnt, 
f orgueil d'une. pretention pareifle , prc- 
tendit a fon toqr marker la preference, 
& appella en timoignage Marli , Mont- 
morency 8c Deuii fes voifins (/). Auflbis 
de meme, pour prouver fon merite, 
allegua qu'il avait avec les vins de Mo- 
felle , la gloire d'&ancher la foif des Al- 
lemands , de qui il recevait , en retoiir, 
de belles 8c bonnes pieces, (bnnantes. La 
Rochelle vint enchexir encore fur celnt- 
ci. II fe vanta d'abreuver non-feulemeot 
les Flamands , les Normands & Bretons , 
mais encore TAngleterre, TEcofle, llr- 
lande , le Dannemark; 8c il montra quan- 
tity de bons cfterlins qu'il rapportait dc 
ccs voyages ( g ). Andeli enfin ( k ) , Bor- 
deaux , Saintes , Angoulcme , Saint-Jean- 
d'Angeli , & le bon vin blanc de Poitiers 
fur-tout s'avanccrent pour demander lion- 
neur du choix 5 mais Chani, Montrichart, 
iajois, Montmorillon , Buzancais, Chsh 



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o v C o n t e r. 407 

*cauroux & Iflbudun lcs arr&ant , fbu- 
tinrcnt contrc eux la gloirc des vins fran* 
$ais ( / ). €< Si vous avex plus de force 
„ que nous , dirent-ils , nous avons en 
„ rkompenfe une finefle & une feve qui 
„ vous manque 5 & jamais on rientend 
„ ni les yeux ni la tete nous faire des 
„ rcproches „. Les autres voulurcnt x£- 
pliquer, on £e querella.. Ces haleines am- 
brces & &hauffees par la dilpute parfu* 
maienc la falle. C'ecait une jolie quin- 
taine (^k ) que celle de ces Champions 
dilpofts au combat* II n'y a perfonne f 
Chevalier ou Moine , Chanoinc ou Bour- 
geois , eut-il iti iclop^ ou aveugle , qui 
ne fut venu-la volontiers brifer une lance 5 
& je gage memc qu'aucun <f eux n'eiit. 
demandd la quarantaine ( / X 

Le Roi , dont toutes ces pretentions & 
ccs querelles ne fai/aienr que redoubler 
encore l;irr£folution & l'embarras , decla? 
j:a qu'il voulait faire lui-rneme reflaid^ 
tous les afpirans. C'^tait le moyen de 
decider ce grand proems d'une manierQ 
sure & fans que performs eut a fe plaindre. 
J,c Chapelain Hmita , & vouluc goutcf 

2 * 



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'408 Fabliaux 

auffij mais trouvant alors que le via 
valait un pcu mieux que la cervoife (m) 
de (a patrie, il jctta uhc chandelle a 
tcrre & excommunia toute boiffbn , faite 
en Flandres*, en Angleterre & par de-la 
rOife. A chaque lampee qu'il avalait* 
car telle e'tait fa maniere de faire Teuai , 
il di&it, ift goute («). Bref, il gouta 
fi bien qu'on fat oblig£de le porter fur 
un lit oii il dormit trois jours 8c trois 
units fans fe reveiller. 

Philippe enfin affigna les rangs. II nonv 
ma Chypre , Pape ; Aquilat , Cardinal, 
Quant aux vins de France ( o ) , il choifit 
parmi cux trois Rois, cinq Comtes 8c 
douze pairs ( p ). Ah ! qui pourrait s'af 
furer d'avoir tous les jours un de ces 
Pairs a fa table, pourrait bien fe promettre 
audi de n'avoir plus a craindre aucune 
xnaladic. Si cependant , Mcffieurs , qucl- 
qu'un parmi vous e'tait priv£ de ccttc 
confolation , lui confeillerai-je pour cela 
d'aller fependre? Non, vraiment ; bon 
cm mauvais , buvons-le tcl que Dieu 
nous l'a donne* 5 couchons-nous le fbir 
aupres de notrc vicillc , 8c viyons content* 



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O V C O N T E S. 40^ 



Tal trouve plujieurs autres pieces allegoriques , 
dans It genre des deux Fabliaux ju'o/i vient dc 
lire ; unc bataille d'Enfer contre Paradis , 
contenant des allufions d ces guerres que firent 
pendant la regence de la Reine Blanche plu- 
jieurs Princes ligue's contr'elle ; une bataille 
des Vices contre les Vertus ; un Tournois d'Anr 
techrift par Ungues Merry , mime fujet $ue 
le precedent , C/c. Mais tout cela m'a parufi 
jnifirahle & fi plat que je riai pu en rien 
tircr* 



NOTES. 

( a Sc b t Des dijfirens pays du monde 0* 
»ir arrwer les vins les plus exquii ); Tous cei 
fays du monde fe reduiront A l'lle de Chypre, 
a PEfpagne , aux bords du Rhin , a Tltalie 
& a la France. 

Le Poe'te , en cet endroit , nomme une qua- 
rantaine de vins difrerens. Les voici. Ces 
noms > joints & ceux qu'on trouvera repan- 
dus dans le cours du Fabliau* donnent la 
lute , exfreaiemenc curjeufc , des vins qui an 



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4io Fabliaux 

XItI e ficclc avaient quelque reputation ; &* 
c'eft ce que le Conce a de plus inteteflant. 

Auflbis , Mofellc , Aunis , La Rochcllc , Tail- 
lebourg , Saintes > Me u Ian , Trennebourg . 
Palme , Plaifance , Efpagne , Narbonne, 
Montpcllicr , Provence , CarcafTonne , Beziers, 
Moifiac, Sain c-Emilion , Saint- Yon , Orchefe, 
Orleans , Jergeau , Meulan , Argtnteuil , Ver- 
xnancon , SouTons , Hauvillers , Epernajr , Se- 
Xanne , Samois , Anjou , G&tinajs > Iflbudun y 
Ch&teauroux , Saint- Bricc , Never 5 , Trie , San* 
cerre , Rheims , Auxerre , Vezelai , Flavigny » 
Tonnerre , Saint Pour^ain , Savigny , Chabli 5 
& Beaune , que l'Auteur dit n'Scre pas jaunt t 
mais verd comme come de bctuf. 
% Hiji. de Vkbhi Vely * rapporte , d'apreiBrufTel qu'il 
r, om. ne c j tc p j tft ^ q UC noJ ^ Q j s buvaient i leuc 

0f s table les feuls vins qu'ils recueillaient de leun 

▼ignobles; & que ces vignts n % haunt ni en 

Champagne ni en Bovrgogne , mais dans VOr* 

Uanaism Notre Fabliau decmit l'aflertion de 

rs „ cet Hiitonen. 

Com* en 

Fr. feus I<es vins d'Orlcans avaient de la reputation 
la pre- dk)i fous la premiere Race , ainfi que ceux 

UfecoUt de Vl)0n * de MScon * dc Cahors *• 

race , par (c * D'abordfe prifenterent d lui Beauwais i 

TAbb6 Bfiampes <* Chdlons )• Riea n'iadique fi ct 



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Otf'COMfUi 411 

Chalons eft cclui de Boulogne ou celui dc 
Champagne* II y a un Beauvais en Querci, 
tin autre en Sainton ge. C'eft fans douce dc 
Tun des deux cju'il s'agit ici $ la capicale da 
Beauvaifis ne produkant point de vin. 

( d,Il en fitt de mime d*Ar genet > de Ren- 
lies, de Chambeli). Argence eft en Langue- 
doc. Si Chambeli eft le m£me que ChamblJ » 
e'eft un bourg du Vexin Fian$ais 5 une autre 
verfion porte , au lieu de Chambli , Chmn- 
hire qui eft en Bourgogne. 11 y a deux Reu- 
ses £ vignobles j Tun dans le Maine > l'auxre 
dans le Languedoc. 

( c, Clermont & Beatvoijins parurentdonc )• 
Beauvoifins eft en Bourgogne. Cleririont eft 
la capitate de l'Auvergne 5 l'Agenais & le 
languedoc en one audi chacun un. 

(f» Pierrefite • • . appelU en tc'moigntge 
Marti, Montmorenci t? Deuil fes, voifins )• 
Les vins-des environs de Paris fe buvaienc 
done Hz table du Roi j & ils etaient meme alort 
regardes corame treVbons. Argenteuil fc trouve 
deji nomine parmi ceux de la note(fc), Cet 
vins , aujourd'hui fi faibles , auraient-ils d£- 
genlre avec Is terns? on fera porte i le croire, 
G Ton fe rappelle que TEmpeteur Julien qui 
peadanc, foa fcjour dans Lutecc fiic 1 pQttt* 



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412 Fabliaux 

de lc$ connafcre , en fait Peloge : Ou l'art ; 
qui a fu ameliorer les aucres, n'aurait-il pa 
ricn op£rer fur le fol ingrat de ceux-ci ? Lcs 
m£thodes, perfe&ionnees par l'experience, ont 
du produire , quand la Nature ne s'y eft pas 
©ppofte abfohimenc , de$ changemens favoia- 
bles. Le Fabliau en fournk la preuve dans Id 
Tins dc Tours & du Mans qu'il donne corame 
fujets £ s'aigrir en ete , & qui aujourd'hui oe 
s'aigriflent pas plus que les autres. D'un autre 
cote" le vin d'Orleans qui avait une telle cc- 
J6britfc que Louis-lc-Jeune l'employait en pre- 
fens, n'eft plus regarde que corame un via 
mediocre. Je m'abftiens d'iin plus grand de- 
tail fur les differens articles de ce Fabliau, 
parce qu'en traitant , dans l'Ouvrage que j'at 
annonce , ce qui regarde les boitibns da 
franeais, j'aurai occafion de parlerplus anK 
plement du vin. 

( g , La Rochelle *..fe vanta Fabreuver non> 
feulement Us Normanis , Flamands & Bri- 
tons ; mais encore VAngUterre , VEcoJfe , Vb» 
iande , le Dannemarc ; & U montra quanuii 
de bons efterlins qu'il rapportait de fes voya- 
ges ). C'eft une chofe intereflante que de 
voir nos vins crre des-lors pour la France en 
pbjes de commerce confidfrable & attircr dans 



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x *>v C o n t n, 4t j 

•los Provinces Pargcnt de Tccranger. D'un 
autre coc6 on doic etrc aflcz furpris de se 
compeer dant ce nombre que ceux de La Ro- 
chcllc & d'Auflbis. II y auraic fur ccla beau* 
coup de remarques 2 faire. Eft-il probable ; 
par exemple > que la Rochelle & fon petit 
canton puflent fournir nos Provinces fepten- 
crionales k une parcfe des Royaumes du Kord i 
On ne voit pas que dams cet apprivifionnement 
immenfe il foit que (lion de la Sainconge , de 
2'Angoumois , & fur-tout dc Bordeaux qui de- 
puis fi long- terns fait une grande par tie de 
ce commerce , & dont les rins etaient renom- 
mes de*s le terns du Poe're Aufone. Cependant 
ce n'eft pas oubli ou inexactitude de l'Aiiteur > 
puifque , dans la phrafe fuivante , il nomme 
expreflement les vins de ces Provinces , qui 
viennent bien fe vaster de leur roerite , mais 
qui ne fe donnent nullement Pavantage de 
ceux d'Aunis* Guillaume Breton , dans fa 
Philippidc, cite au nombre des objets de com- 
merce que faifait la Flaodre , les vins de la fc Ro- 
chcllc & ceux de Gafcogne ; ce qui con fir me 
la remarque que je viens de fairc. 

( h , Anieli enfin .... Cet Andeli eft: celuS 
du Querci , ou celui de Saintonge. 
( f i Chsni , Montrichart , Lafois , Montmo-, 



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414 Fabliaux 

rillon, Bu\anfais t Cbdteauroux 6* IJfoudunJbu* 
tinrent contre eux la gloire des vins franfais )• 
Montrichart eft en Touraine. Chateau- Rcux 
( qui eft nomme Chatel-Raoid , ) Iffoudun & 
Buzan$ais font en Berry* Je ne connais point 
Chani & La<;ois. II y a pluficurs Montmoril^ 
Ion ; celui done U s'agit ici eft probablemenc 
lin des deux du Bourbonnais. 

Ce Contc a etc fait fous Philippe- Augufte , 
avant les Conquetcs de ce Prince fur Jean- 
fans-terre , & Jorfque les Rois d'Angleterrc 
pofledaient la Guienne , la Sainronge x PAn- 
goumois , lc Poitou , &c. Les, vins de ces Pro- 
vinces font ici reputes grangers $ le Poece les 
met en oppofition avec quelques- uns de ceux 
des Provinces foumifes imraediatement au Roi* 
XI nomme ceux- ci francos , & Jcur fait fontcnir 
enu'eux la rivalice qui rcgnaic ontre Jes deux 
Couronncs. 

( k , C'c'tait me jclie Quimaine que edit d$ 
€ts Champions ). La Quintaine ecaic un exer- 
cice en ufage chez les Ro mains, lequel confif- 
taic & lancer des filches contre un potcau. Nos 
Ai'eux , qui avaient befoin de beaucoup de juf- 
tcfTe pour le coup de lance, puifqu'il etaic de- 
fendu dans les Tournois de fiapper ailleurs 
qu.'au bufte, avaient fait 4c ce potcau una 



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C U C O tf T ES, 4IJ 

figure de Chevalier , mobile fur un pivot & ax* 
mee d'un bouclier 6c d'un baton. C'etait centre 
cct homme de bois qu'on venaic s'exercer* 
routes les fois qu'on le frappait au milieu dtt 
;orps , il reftait immobile , & la lance fc brifait. 
fciais pour pcu que le coup s'eloignat de la 
ligne centrale le qu'il ponat foit d'un cote , 
foit 'd'un autre , fa violence faifaic tourner la 
figure avec tant de rapidite qu'elle frappait de 
fon baton le mal- adroit , & moins qu'il ne fut 
affez lefte pour l'efquiver. Les Seigneurs qui 
voulaient s'amufcr & rire aux depens de leura 
Vaflaux , les obligeaient quelquefois £ venir 
dans certains jours de Tannee jouter contre la 
Quintaine. Cette extravagance redevance , plus 
plaifante au moins que cclle de venir , ou bai- 
fer le verouil d'unc porte , ou mettre une bu- 
che au feu la veille de Noel , ou contrefaire l't- 
yrogne , ou fe laifler tirer le nez & les oreilles, 
©a faire un p. . , &c. fubfifte encore dans quel- 
ques endroits pour des baceliers , des ineu- 
niers , de nouyeaux marics. Si le Gouvernemenc 
aboliflait tous ces inonumens, odieux de Tabus 
du pouvoir , qu'y perdraient les Seigneurs * 

La Quintaine , dont l'ufage devait nature^* 
lement tomber avec les Tour no is, eut 1'avan- 
ta$c cependant de leur furyivre 5 parce que le* 



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416 Fabliaux 

courfes de bague Be de tcces erani toujour* M 
vogue , elle continua d'etre neceffaire peurap- 
prei^dre a" manic; la lance. C'eft & ce titrc que 
l'adoptercnt nos «coles d*cquitarion , fornixes 
fous Louis XIII. Depuis qu'elle nV * phis au- 
cutic utiliti rccllc , tile s*y abolit infenfible- 
menc 

( / , Aucun d'eux n'eut demand? la cuarcn- 
taint ). Un des droits les plus important qu*a- 
vaient ufurpes les Seigneurs , celui dont ils fe 
montrerent le plus jaloux & qu'ils difputerenrle 
plus opiniitrement contre l'autorite* Royalejc'f- 
tait le droit de fairela guerre. II n'eft pas poffiblc 
de dire cous les defordres affreux que produifit 
un abus qui rendait chacun juge & vengeur de Ct 
propre caufe. Un Gentilhomme fe pretendait-il 
offenfe? il armaic Ces Vaflaux , allait ravager les 
cerres & afliegec les chateaux ou villes de Con 
ennemi. Cclui-ci de Ton cote, armant les liens, 
vena it en faire autant chez le premier. On bru- 
laic les maifons , on egorgeait les habitans arec 
leurs beftiaux, on detruifait les moiflbns , les 
arbres , Its vignes 5 e'etair & qui ferait le plus de 
deglt. Louis le-Jeune , au moment de revenit 
de la Terre-Sainte , ayant^ eu Pimprudence de, 
rehvoyer en France avant lui une partic dc* 
Seigneurs Croifes qui I'avaient accompagne. 



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O U C O N T B S. 417 

fkyti miniftre Suger lui Scrivic qu'i! livrait le 
l&oyaume i des loups ravuTans \ N DarU 

Ces guerres privees n'etaient pas fculcmcnt Ki/?. dt 
ia. guerre 4c deux particulars. To us les parens nlu ll 
mlc part & d'autre, jufqu'au quatrieme degrc, gne dcS m 
< pendant long-tems on avait fak remonter To- £ouu» 
^ligation jufqu'au feptieme , ) etaicnt forces de 
prendre parti. Si quelqu'un d'eux cut refufe , il 
«ut perdu tput droit £ la parente&d la fucceflioa 
4I11 guerroyanr. Pendant que duraient ces guerres 
4knglantes , iMcmblait qu'il n'y edt plus dcSou* 
▼cxain ; on faifait la guerre, on faifaic la pair fans 
£■. participation , & de toutes parts il voyait Con 
JRoyaume livre a* l'incendie , au meurtre & au 
^pillage , fans pouvoir fouveat s'y oppofcr. 

Au milieu de ce brigandage cependant on s*e- 
^tait fait quelques principes* 14 etait; de l'hon~ 
neur , par exemple , d'envoyer d'abord une de- 
claration de guerre ou de/i , tc de ne coramen- 
cer les hoftilites que trois jours apres. Mai* 
quelle reflburce centre ceux qui agiflaient au* 
crement i On avait meme inceret a ne point, 
s'avcrtir -, parce que, le pillage enrichiflant , oa 
avait interSt I fe furprendre 5 & ce defordre 
combait particulierement fur Us parens , qui 
n'ayant aucun fujet de defiance fe trouvaienc 
(out 4'uii coup attaqucs fans avoir eu le terns 



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418 Fabliaux 

de fonger & fe defendre. Pour prevenir cei 
abus, Philippe-Augufte regla que les parent 
qui entraient en guerre pour caufe de parent^ 
nc pourraicnc 6tre attaqu6s que quarance jouo 
aprcs qu'elle au rait etc ouverre enrre les deal 
contcadans. Ce delai de quarance jours , dont 
S. Louis renouvella 1'Ordonnance , fuc nomine" 
la quaramaint'leRoi ; $C voili ce que pouvaic 
alors , pour le bon ordrc , l'autorit£ du Prince* 
Le Clerge avec routes fes excommunications fi 
redoutees , n'avait pas pudavancage. Ilcrutob* 
tenit bcaucoup en autgnanc dans la fcmainc cer- 
tains jourS pendant lefquels il ne feraic pas per- 
misde pourfuivre fes injures partkulieres ; Sect 
reglemenc qu'on decora , pour le rendre plus 
rerpeckable , du nom faint de Tttvt it Ditui 
tut annonce mfirae d'apres une viflon pretcn- 
due , & comme un ordre particulier du Ciel. 
hts Rois , fuccefieurs de Saint Louis , firenc ; 
au fujer dts guerres privies , dif&rentes Ordon- 
fcances que pendant long-temps leur faibleflc 
particuliere , ou celle d* leur pouvoir , rendi- 
rent prefque toujours inutiles. Peu-a-peu ce* 
pendant la puiflance Royale , en prenant dec 
forces , vinr i bout de les faire rcfpe&er ; & 
ces milliers de petirs ryrans' qui voulaient avoir 
comme clic le droit du glaive , le perdirenr 



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OU CONTES. 419 

infcnfibleraent , fans qu'on puifle affigner 1^- 
poque precifc ou ils cefTerent dc 1'exerccr. 

II y a dcs cxemplcs que lcs Rouiriers one ,- , 
gucrroye" quelquefois ainfi que la Noblefle \ <j M fo z > 
t>es Communes mime obtinrenr ce privilege**, de Fr. r. 
Tout'le monde pretendait au pouvoir d'aflaf- * J .»^ r *> 
finer fon ennemi. m Ibid, ft' 

( m , Trouvant que le vin valaii un peu mieux xi^Pr^f, 
que la cervoife de fa patrie ). Gilles Boileau ou P* **• 
Boileve , dans les ftaturs qu'il donna en 1164 
aux BrafTeurs, ordonne que la cervoife out 
bicrre ne pourra cere faite qu'avec de l'orge » 
du meteil Sc de la dragee. On nomme dragee 
le$. menus grains qu'on donne aux chevaux , 
comrae vefce , lentille , &c. Aujourd*hui la 
bierre a* Pa ris ne fe fair qu'avec dc Forge. 

( n , A chaqut lampie qu'il avalait , il difaitj 
i/e gouce ). C'eft ainfi que font Merits ces deux 
mots anglais qu'aujourd'hui Ton ecrirait is 
good ( il eft bon ). 

Le Chapelain ajouce enfuice , bonitoutt } 
mots de baragouin que je crois fignificr tout 
y eft bon > & par lefquels il voulait rendre ea 
francos fon is good. Voila" comme les An- 
glais > malgre" to us les efforts de Guillaume, 
parlaient notre langue. 

( 8c p , // nomma Chypn Fapt , Aquilat 



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4io F A B X I A U X 

Cardinal* Quant aux vins de France il choifit 
parmi eux trots Rois , cinq Comtes £f dou{t 
Pairs )• On remarquera ici que la dignite de 
Pape eft regardee comme la premiere de rou- 
tes 5 que celle de Cardinal 'eft la feconde^K 
que les Rois ne viennent qu'apres, & an 
troifieme rang. 

Par vins de France -, PAuteur dans cette 
phrafe entend, non pas les vins franpais comme 
ci-dedus, mais tous ceux du Royaume en ge- 
neral. On regrerte qu'il n'ait point affigne leurs 
rangs $ & quoiqu'il termine aflez plaiiammcnc 
fan Conte, la curiofite, piquee par toucc cecte 
difpuce , n'eft point fatisfaite. Il refulec au 
aioins de Ton Fabliau que : 

x°. Parmi les rins etrangers , on eflimaic 
ceux de Mofelle , d*Efpagne , de Chypre & 
d'Aquilat ( Aquila dans PAbbruzze au Royaume 
de Naples , ou Aquilee dans le Frioul ). 

2°. Parmf les vins de province oil de can- 
ton , ceux d'Anjou & de Provence ; ceux de" 
Gatinais dans l'Orleanais ; .ceux d'Auftois ea 
Bourgogne. 

|°. Parmi les vins particuliers des Provinces f 

L'Angoumois avait ceux d'Angoul£me, 

L'Aunis ceux de la Rochelle. 

X'Auvcrgue de Sainc-Pourc,ain. 



Le 



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ft U C N T I S. 42 f 

Le Bcrty de Sancerre , de Chiteauroux , d'lf- 
foudun & de Buzan^ais. 
1 La Bourgogne , tl'Auxerre , Beaune , Beau- 
Voifins , Flavigny & Vermanton. 

La Champagne , dc Chabli , Epernay , Hau-f 
villcts ; Reims , Sezanne , Tonnerre. 

La Guiemie 3 de Bordeaax , Saint-Emiliofi , 
Trie&MonTac. 

L'lfle de France , d'Argenteui! , DeUil , Mar- 
ly , Meulaft , Sdiflbns , Montmorency , Piene- 
fite 6c Saint- Yon. 

Le Languedoc , deNarboane, Beziecs , Beau* 
Vais , Montpellier & Carcaflbnne. 

Le Nivernais, de Nevers , Vezelay. 

L'Orleanais , d'Orleans , Orchefe , Jergeau \ 
SaxnoL . / 

Le Ihoitcm , de Poitiers. 

La Saratonge , de Saintes » Taillebourg , Sainft 
Jean-d'Angeli. 

La Touraine , de Montrichart^ • •-* ■ 



J'ignore ce que e'eft que Trennebourg. 

Je ne fais ou placer Palme. Eft-cc celui <U 
Languedoc , ou la capitale de PIfle Majorque * 

Le Plaifance du Fabliau eft-il le Placentia 
iTEfpagne , le Plaifance d'lsalie , de Languedoc l 
Time II A a 



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411 tABtt AUX 

de Guienne , du Itouergue ou du Poicou ! ie 
croirais volontiers que c'eft celuide Loinbardie, 
parce que dans une Ordonnance de Charles V, 
aim. 1*69 , je vois Its vins de cette villc afiii- 
jettis i des droits particuliers. 

II y a un Saint-Brie e en Limoufin , tin autre 
en Anjou , deux en Champagne , deux daas 
l'Agenais. 

Un Milan en Poicou & un en Provence. 

Un Savigny dans la Touraine , dans TOrlea* 
nais , dans le Nivernais , dans le Poitou 5 plu- 
fieurs en Champagne $ douae en Boulogne. 




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OU CONTES. 4lf 

* DU PRUD'HOMME 

QJJX * KETIRA DE I/EAU SON COMPERE, 



u, 



£ X' r n a i.t. 



k Pecheur jettant fes filets cri mer 

voit quelqu'un tomber dans 1'eau, Jl vole; 

a fon fecours , cherche a 1'accrocher par 

fes habits avec fa perche , & vient a bout 

de lc retirerj mais par malheur il lui 

creve un opil ayec le croc. Le naye* dtaic 

fbn compere , qu'ii reconnait.' II l'emmenq 

chez lui ou il le fait foigner & le garde 

jufqu'a ce qu'il foit gu^ri. Celui-ci n'eft 

pas plutot ford qu'il forme plaiiite contre 

le Pecheur pour I'avoir blefK. Le Maire 

leur afligne un jour auquel ils doiventj 

comparaitre, Chaciin expofe fes raifons * 

& les Juges, au moment de prononcer , 

fe trouvent cmbarrafTds $ quand un Fou (a ) 

qui £tait-la , eleve la voix. " Meffieurs , 

„ dit-il , la chofe eft aifee a decider, Cet 

„ hommc fc plaint qu'on l'a prive d'uji 



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4*4 Fabliaux 

„ ceil. Eh bicn , faites-Ic jetter dans l'eau 
„ au meme endroit. S*il s'en retire , il eft 
„ jufte qu*il obtienne des dedommage* 
„ mens contre le Pecheur : mais s'il y 
„ refte , il faut Ty laifler & re'compenfcr 
# , rautre du fcrvice qu'il a rendu i9 . Ce 
fugement fut trouve* tres-equitable. Mais 
le naye* , qui eut peur qu'on ne 1'ex^cu- 
tat, fe rctira bien-vlte & fe d££fta dc 
fa demande, 

" Ceft tems perdu que d'obKger un 
„ ingrat , ajoute VAutcur x il ne vous 
„ en fait nul gre\ Sauvez un ferron de 
„ la potence , vous. ferez fort heureux ii 
„ le lendernain il ne vous vole pas „. 



Ce Come a iti traduit en vets par M. Imberti 



NOTE. 

( a , Un Fou qui bait Id cltve la voix ). Prefque 
tousles Sogverains 6c Ics Princes avaient, pout 
leur amuferaent » des Najns & des Fous , & c«t* 
mode ccaic venue vraifemblablement des Cours 
d'Afic , ou elie fubfiftc de cpms immemorial U 



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O V G O N T I S* 415, 

<fe& elle eft neceflaire pour foulager Pennui de 

ecs defpotcs^condamncs dans leurs ferails a 4 d'& 

ternels plaifirs. Sur les anciens Etatsde la Maifon 

de nos Rois, ,. les Fous font toujours cornpti* 

parmi leurs Offiders. L'Hiftoire racmc n'a pas 

dedaigne die conferver les noms & les bons mots 

dc ^uejques-uns de ccs BoufFons. lis av-aicnt la 

s£te rafee , & po.rtaient un habillement ridicule * 

ordinairemcnc'blanc , avec utf bonnet jaune on 

verd , des fonnettcs, & quelquefois une marotte 

«n main. On les introduifit audi dans Jes Farces 

& representations de Mifteres t on, par dcrifion 

de Petit monaftique , on leur donnait un capu- 

chon & des oreilles d'ine. £e dernier Fou en 

titre qu'aient eu les. Rois de France , eft PAn- 

geli , donne par Ie Grand Conde & Louis XIV. 

, Mais le cara&ere decent , Pcfprit jufte & Tame 

ilev£e de ce Monarque n'etaient pas faits pou* 

un genre de plaifir auffi miprifable 5 il y re- 

non^a. Let Rejnes avajenc des Names & des 

foiled 



A** 

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4*6 Pabiiaux 

LE JUGEMENT DE SALOMON, 



EXTIAIT. 

•LiA premiere anne*e que Ie Sage Salomon 
monta fur Ie trone , mourut un de fes 
Vaflaux , Prince de Soiflbnne , Seigneur 
d'une grande terre & de trois chateaux. 
Celui-ci Iaiflait deux fils , d'un cara&ere 
bien different : Tun dur , inhumain & 
feroce 5 l'autre audi vertueux & auffi doux 
jque fon firere Ntait peu 5 c'etait Ie cadet. 
A peine Ie pere eut-il les yeux ferm& que 
faine* des enfans affemblant fes Barons 
Ieur demanda de regler Ie partage entre 
fon frere & lui. *' Eh 1 mon frere , 
„ s'^cria le plus jeune tout en larxncs , 
9> oublions ces disunions odieufes , que 
M nous ferons toujours les maitres de 
„ reprendre un jour. Vqus voyez dcvant 
* vous celui que nous vcnons de perdrc 1 



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OU CoNTfitf. 417 

*» nc fongeons en ce moment qu*a lc 
•» pleurer & a prier pour lui »• L'autrc 
xie voulut rien £couter. Les Barons curent 
beau le conjurer d'attendre que le corps 
fut au moins inhumij leurs repreTentations 
Furent inutiles , il exigca qu'on proc&lac 
fans d&ai au parage. 

Dans ce moment entra le Roi. Mein 

d'eftime pour (a m&noire & les venus 

du mort , il venait honorer de fa prdfence 

£es fun^railles. On l'inftruifit de la demandc 

de ce barbare ain& Il fe chargea d*y 

fatisfaire , & a Tinftant meme faifant 

placer le corps debout entre deux poteaux : 

cc Heritage de ce brave Chevalier , dit-il 

•9 aux deux freres, demande, pour ctrc 

*> dtfendu apres lui , un courage egal au 

* fen. Voyons qui de vous deux ft 

» montrera le plus digne de le pofRder».. % 

II leur fait alors donner a chacun une 

lance , leur aftigne un but pour qu'on 

puifTe appr'&ier leur adrcflcj & ce but 

eft le corps mort de leur perc. La r<*conv 

penfe de celui qui aura portd le coup le 

plus fcrme fera le don de la terre enticrc, 

Vzini accepte ians repugnance ccttc abo* 



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'428 Fabliaux 

minable condition , & il ofe frappcr celo? 
done il a re^u la vie. On propofc au 
cadet de prendre la lance. « Moi , s'&ric* 
» t-il en reculant d'cfFroij. moi., que je 
** porte les mains fur mon pere I Ah ! 

* que le Ciel au concraire m'ecrafe a 
» l'inftant > & je ne venge bientot l'outrage 
» qu'il vicnt dc rccevoir „. 

Salomon ne voulait qu'^prouver les. deux 
enfans. Quand il eut connu leurs fenti- 
mens , il prononca en ces termes : « Lc 
»> Chevalier mort ne doit avoir pour 
»> hlritier que fon fils ; & celui-la feu! 
to eft fon fils , qui a (u le refpe&er & 

• le chdrir. L'autrc eft un monftre d£- 
to nature^ avide de fon bien & indigne 
» de lui „. Il ordonna aufli-toc a celui- 
ci de fortir de fes Ecats , en lui declarant 
que fi le lendemain il l'y retrouvaic encore 
il le feraic pendre. 



Dans tes Comes Tartares t. j , un Calipht- 
meurt kt foijje quatrt fils qui prtiendent chacwi 
a ? Empire e> menaceng (Tune guerre chile* 
Le jeupte veut s*tn rapponerfir lain dixit* 



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b T7 CONTES. 429 

r A la premiere perfonne qu 9 on verra entrer 
dans la ville. Le juge qtfoffre le hafard eft 
tin Calender qui propofe aux fils du Caliphc 
la mime epreuve que le Salomon du Fabliau; 
|£» ftul rejufc , (* il ejl ilu Rou 



Tin du fccond Volume 



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TABLE 

D £ S FABLIAUX, 

Et autrcs Pieces contenues dans ct 
Volume. 



Obfervations fur les Troubadours 4 pag. x 
Lai de Courtois , Hj 

Le Miracle de Tkeopkile* 114 

Le Jeu de S. Nicolas , 131 

Le Jeu du Berger fy de la Bergere , 141 
Le Mariage , Xjtf 

Les Croifades, itfj 

LeSonge d'Enfer , 177 

Le Ckemin de Paradis , igo 

Du Villain qui gagna Paradis en flaU 

dant , i 9 o 

Du Jongleur qui alia en Enfer * i$6 

Le Paradis d Amour # 116 

L'Art d aimer , nj 

Grifelidis, x ^ x 

De la Femmequifit trois fois le tour des 

murs de tEglife , %^ 

La Rpbbe d' tear late # j,*j 



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TABLE. 
De la Dame qui fit aceroire a fort Marl 
quil avait rive> 18a 

Des deux Anglais* 18* 

L'Arracheur de dents * %$% 

L'indigefiion du Villain, 19 f 

Des Chevaliers , des Clercs & des Vil- 
lains , *99 
Des CatinS & des Menitriers > 301 
Le Siege prete & rendu , 3O5 
Les deux Menitriers * 3*5 
Les deux Bourgeois & le Villain* 318 * 
Le Revenant , 334 
, Le Libertin converti , 34S 
La Confejfton du Renard & [on Pitiri- 
nage , 34? 
Le Medecin de Brai , 3** 
La Bataille de Chantage & de Ca- 
rime,. 3* J 
La Bataille des Virts 9 x 4^4 
Du Prud'homme qui retira de teau fort 
Compere * * 4 1 J 
Le Jugement de Salomon* 4*-* 

Jin <k la Table dtt fecoad Volume, 

Nov r >- im 



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